FULFORD, GEORGE TAYLOR, homme d’affaires et homme politique, né le 8 août 1852 à Brockville, Haut-Canada, fils de Hiram Fulford et de Martha Harris ; le 20 janvier 1880, il épousa Mary Wilder White, et ils eurent deux filles et un fils ; décédé le 15 octobre 1905 à Newton, Massachusetts, et inhumé à Brockville.

George Taylor Fulford était le plus jeune des cinq garçons d’une famille d’agriculteurs d’ascendance loyaliste, mais il était bien résolu à ne pas être fermier. Après avoir terminé ses études dans une école publique et suivi le cours d’un collège commercial, il travailla à Brockville pour son frère William M., pharmacien. Bientôt, il atteignit une petite notoriété : élu au conseil municipal en 1879, il y resta 12 ans. Fulford savait reconnaître une bonne affaire, et en 1887, il décida d’exploiter le marché des produits pharmaceutiques, alors en plein essor, en fondant sa propre fabrique de médicaments brevetés. L’installation de son entreprise au Canada lui permit de profiter des tarifs qui protégeaient les médicaments de cette catégorie. Il expérimenta diverses préparations mais obtint peu de succès, jusqu’à ce qu’il découvre une pilule prescrite par le docteur William Jackson, un médecin de sa région. Il en acheta les droits pour 100 $ en 1890, puis lança la Dr Williams Medicine Company, filiale de la G. T. Fulford and Company, pour fabriquer et distribuer les « pilules roses pour personnes pâles ». Présentés comme un remède quasi universel, ces comprimés ne tardèrent pas à faire sensation, tant sur le plan commercial que publicitaire. Fait intéressant, Brockville était le siège canadien d’un autre empire de spécialités pharmaceutiques, celui de William Henry Comstock, originairement de l’État de New York et dont le produit le plus fameux était la « pilule à l’anis sauvage du Dr Morse ».

La compagnie de Fulford connut une expansion formidable durant l’âge d’or des remèdes « patentés », soit les décennies qui précédèrent la Première Guerre mondiale. Leur essor s’expliquait par les conditions sociales et par le progrès technique. Le prix élevé des visites au médecin ainsi que l’inefficacité qu’on lui prêtait faisaient en sotte que se traiter soi-même semblait une solution des plus raisonnables. L’invention de machines qui pouvaient fabriquer des pilules en grande quantité et les emballer à un coût modique permettait de réaliser un bénéfice énorme. En outre, comme le tarif postal était bas et que le réseau ferroviaire s’étendait sans cesse, on pouvait expédier à bon prix des marchandises au loin. Cependant, ce fut l’expansion de la publicité de masse qui rendit les médicaments brevetés si populaires. En effet, les entreprises qui les fabriquaient furent parmi les premières à financer des journaux à grand tirage en y publiant des annonces. Évidemment, bien des journaux hésitaient à dénoncer les faiblesses de produits dont ils tiraient une grande part de leurs revenus. Selon une brève biographie de Fulford écrite par Arthur Leonard Tunnell et publiée en 1934, le budget international de publicité consacré aux « pilules roses » dans la première décennie du xxe siècle dépassait le million de dollars.

Fulford connaissait les techniques de la « contrainte psychologique » et savait manier la publicité de masse. Il engagea le propriétaire du Prescott Telegraph, John A. MacKenzie, afin qu’il compose de la réclame pour les journaux. Presque dès le début, il recourut à toute une variété de moyens de diffusion : annonces dans la presse, dépliants, brochures. Puis, une fois qu’elle fut bien installée sur les marchés national et international, la Dr Williams Medicine Company cessa de fabriquer les pilules roses et se consacra à la promotion et à la distribution.

La publication de témoignages provenant de clients satisfaits des pilules roses constituait la principale technique publicitaire de Fulford. Conçus d’après le principe selon lequel l’être humain, en général, fait confiance à ses semblables, ils rendaient généralement compte, sans intermédiaire et de manière poignante, d’une guérison « miraculeuse ». Un des premiers de ces comptes rendus provenait d’un résident de Hamilton qui affirmait que les pilules roses l’avaient guéri de l’ataxie locomotrice, désordre qui affecte la coordination. Les témoignages étaient taillés sur mesure selon les lieux où ils allaient être publiés. Ainsi, vers 1895, l’un d’eux, destiné au marché américain, mettait l’accent sur les problèmes de santé des anciens combattants de la guerre de Sécession. Quand Fulford fit son entrée sur le marché anglais, il annonça ses pilules roses en offrant en prime, dans différentes régions, des bicyclettes à ceux qui recueilleraient les meilleurs témoignages.

On ne peut estimer la rentabilité des pilules roses autrement qu’en se fondant sur la valeur de l’empire de Fulford à sa mort : près de 5 millions de dollars. Au début du xxe siècle, ces comprimés se vendaient 0,50 $ la boîte ou six boîtes pour 2,50 $. Au Canada seulement, d’après Tunnell, la consommation annuelle s’élevait à un million de boîtes, ce qui, selon une estimation prudente, rapportait plus de 160 000 $ de bénéfice. Le volume des ventes de Fulford montre que les médicaments brevetés étaient une grosse affaire. Les pilules roses se vendaient aussi en dehors du Canada et de l’Amérique du Nord. En 1905, la G. T. Fulford and Company exploitait des succursales à Schenectady dans l’État de New York, et aussi loin que Londres, Paris, Sydney, Wellington, Singapour, Bombay, Rio de Janeiro, Buenos Aires et Le Cap. Par la suite, elle en ouvrit en Chine et à Hong-Kong. Le neveu de Fulford, Charles Taylor Fulford, fonda une entreprise similaire en Australie. Quand Fulford mourut, en 1905, la direction de la société passa à son associé, William T. Hanson, de Schenectady ; en 1929, ce fut George Taylor Fulford fils qui prit la relève.

De quoi exactement étaient composées ces pilules roses ? La compagnie de Fulford les présentait comme un tonique de fer. En dénonçant l’industrie des médicaments brevetés entre 1905 et 1912, le magazine américain Collier’s déclara que les pilules (annoncées alors à grand tapage comme un remède à la paralysie) étaient un « composé de vitriol vert [sulfate ferreux], d’amidon et de sucre ». La formule variait selon les pays ; en Australie, elles contenaient du fer et de l’arsenic. De toute évidence, il y avait un large écart entre ce que la publicité promettait et l’effet réel des ingrédients. En 1908, le Canada adopta un projet de loi qui obligeait les fabricants de médicaments brevetés à révéler le contenu de leurs produits et qui visait à les empêcher d’affirmer à tort et à travers que leurs remèdes pouvaient guérir des maux spécifiques. Néanmoins, le problème de la publicité trompeuse n’en subsisterait pas moins durant des décennies.

Les spécialités pharmaceutiques firent de George Taylor Fulford un multimillionnaire, et il rechercha le rang social qui convenait à sa fortune. Il acheta une résidence qui surplombait le Saint-Laurent à Brockville, Fulford Place, ainsi qu’un yacht, des postes d’administrateurs de compagnie et une automobile. D’allégeance libérale, il fut nommé au Sénat en 1900 par sir Wilfrid Laurier* après avoir, dit-on, versé 5 000 $ au parti. Le « prince du monde des médicaments brevetés », comme l’appelait le World, de Toronto, connut une fin tragique : il mourut dans le Massachusetts en octobre 1905, à l’âge de 53 ans, des suites d’un accident de voiture. Outre le fait qu’il commercialisa des médicaments brevetés et compta parmi les premiers hommes d’affaires du Canada à conquérir les marchés internationaux, Fulford fut un pionnier des techniques de publicité de masse qui caractérisent la société de consommation.

Paul A. Bator

L’information concernant la famille Fulford a été gracieusement fournie par Hugena Cooke, de Brockville, Ontario, au cours de communications téléphoniques avec l’auteur les 6 et 7 octobre 1987. Durant de nombreuses années, Mme Cooke a été la secrétaire de George T. Fulford Jr, le fils du sénateur.  [p. a. b.]

AN, MG 26, G : 34439, 57160–57162, 67625–67626, 90566–90567, 90934, 98114–98116, 101095–101099(mfm aux AO).— AO, RG 22, Ser. 176, 9 : 647–650 ; Ser. 179, n° 3849 ; Toronto S.C.O. matters, n° 106/1906 ; RG 55, partnership records, Leeds County, déclarations, nos 448, 519.— Ontario, Ministère de la Culture et des Communications, Heritage branch (Toronto), P. A. Bator, « A prince of the patent medicine world » : the career of Senator George Taylor Fulford (1852–1905) of Brockville, Ontario » (étude préparée pour la Hist. resources sect., 1987).— Univ. of Toronto Arch., A73-0026/110 (73).— Brockville Recorder, 20 oct. 1905 : 5.— New York Times, 16 oct. 1905 : 1.— Toronto Daily Star, 16 oct. 1905 : 7.— World (Toronto), 16 oct. 1905 : 1.— S. H. Adams, The great American fraud : articles on the nostrum evil and quackery reprinted from « Collier’s » (5e éd., Chicago, 1912), particulièrement la page 53.— P. A. Bator et A. J. Rhodes, Within reach of everyone : a history of the University of Toronto School of Hygiene and the Connaught Laboratories (1 vol. paru, Ottawa, 1990–  ).— P. S. Campbell, « Nostrum and quack evil », Public Health Journal (Toronto), 13 (1922) : 400–410.— CPG, 1905.— Adelaide Hechtlinger, The great patent medicine era ; or, without benefit of doctor (New York, 1970).— Frederick Paul, « The trail of the medical vampire », Public Health Journal, 9 (1918) : 249–254.— B. B. Shaw, History of the Comstock patent medicine business and Dr. Morse’s Indian Root Pills (Washington, 1972).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— J. H. Young, The toadstool millionaires ; a social history of patent medicines in America before federal regulation (Princeton, N.J., 1961).

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Paul A. Bator, « FULFORD, GEORGE TAYLOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fulford_george_taylor_13F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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