FROUDE (Froud), JOHN WILLIAM, mineur, pêcheur, marin, auteur et homme d’affaires, né le 28 mai 1863 à Twillingate, Terre-Neuve, fils de William Froude et d’une prénommée Mary ; le 7 octobre 1893, il épousa à Tom Hall’s Harbour, Terre-Neuve, Lucy Pelly (Pelley), et ils n’eurent pas moins de 12 enfants ; décédé le 16 mars 1940 à Twillingate.
John William Froude tint un journal, principalement entre 1887 et 1898, qu’il écrivit dans son propre style, en employant des mots et une grammaire qui évoquaient, comme le dirait le chercheur Eric William Sager, « la cadence et les rimes des hymnes et des chansons de marins ». Sa carrière montre que les petits villages de pêche de Terre-Neuve, loin d’être isolés, étaient en contact avec des villes de toute la région atlantique grâce au commerce international. À l’époque où vécut Froude, Twillingate était l’un des principaux centres de transformation de la morue et du phoque attrapés dans les eaux du Labrador. Après une « enfance heureuse » pleine de délices, comme il s’en souviendrait, Froude occupa son premier emploi en 1877 : il partit travailler avec un oncle à la mine de Little Bay, non loin de chez lui. En 1882, il s’engagea sur une goélette et fit son premier voyage au Labrador. En 1887, il passa un « long été exténuant » au Grand-Banc. Cet automne-là, mécontent de son maigre salaire, il décida de se joindre à l’équipage d’un navire anglais qui transportait du poisson salé vers l’Italie.
Souvent, les marins de Terre-Neuve comme Froude n’avaient pas l’intention de voyager trop loin ou de s’éloigner trop longtemps de la maison. L’industrie de la pêche destinée aux marchés européens pouvait cependant les entraîner dans des traversées d’assez longue durée, soit parce que leur capitaine cherchait de bons prix et des cargaisons de retour, soit parce qu’ils s’engageaient sur d’autres bateaux. Le premier voyage transatlantique de Froude le conduisit à Livourne, en Italie, puis à Bristol, en Angleterre, où il signa un contrat pour naviguer jusqu’à Cadix, en Espagne ; à partir de là, il se rendit dans plusieurs ports au Brésil avant de revenir en Angleterre, à Falmouth, en octobre 1888. Froude aimait ce pays et décida de s’installer à Londres. Il travaillait souvent sur des navires à vapeur qui, à la fin du xixe siècle, étaient en voie de remplacer les bateaux à voiles en bois des Maritimes et de Terre-Neuve. Au cours des quatre années suivantes, il s’arrêta dans les ports de la mer Noire, de la Méditerranée, de l’océan Indien, de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique Sud. Froude était fier de ses aventures en haute mer et, vers la fin de sa carrière, raviva ses souvenirs : « J’ai vogué autour de l’immense globe par-delà les frontières mugissantes des cinq grands océans[,] des sept mers[,] lacs et fleuves du monde vers 32 différents pays[,] 77 villes portuaires[,] [parcourant] cent cinquante-neuf mille sept cents milles pendant les 2 270 592 000 secondes [que durèrent] mes voyages. »
Dans son journal, Froude décrit abondamment ses expériences, y compris ses nombreuses blessures, ses beuveries et bagarres occasionnelles à terre, qui faillirent une fois le conduire en prison à New York. Il parle des tâches de l’équipage, des voiles et des gréements des navires à bord desquels il travaillait, et de l’usage des lignes de loch pour calculer la vitesse d’un navire. Il fait également preuve d’une curiosité naturelle pour la géographie, l’histoire et les habitants des pays du monde. À Livourne, par exemple, il « prit grand plaisir à se balader dans la ville et à voir les grands édifices[,] les églises[,] les music-halls[,] les théâtres[,] les cirques et les palais de justice ». Il écrit aussi : « [J’]appris à connaître les Italiens[,] les Grecs et les Turcs[,] ce qui, à mon avis, était fort agréable [;] ils me parlèrent de choses dont je n’avais jamais entendu parler et de choses que je n’avais jamais vues et de lieux étranges dans leur propre pays où je n’avais jamais été. » Il donne en général un bref historique des endroits qu’il visitait et, tandis qu’il était à Sébastopol (Ukraine), il fut particulièrement inspiré pour relater l’histoire de la charge de la Light Brigade pendant la guerre de Crimée.
La curiosité et le sens de l’émerveillement pour le vaste monde si manifestes dans le journal de Froude vont de pair avec la reconnaissance et l’empathie qu’il ressentait à l’égard des diverses personnes qu’il rencontrait. Froude n’hésite pas à dire que, parmi les gens originaires des endroits qu’il visitait, beaucoup lui parurent « d’allure étrange », mais il appréciait ces différences. Pendant qu’il était au port de Nagasaki, par exemple, il passa « un moment agréable avec les Japonais », qui furent « très gentils et amicaux ». « Les femmes sont très belles », ajoute-t-il. En Asie et en Afrique, il séjourna souvent avec des non-chrétiens et fit la remarque suivante : « J’ai été traité avec courtoisie par nombre de ceux qui se prosternent devant le bois et la pierre et mal[traité] par certains de ceux qui ont entendu la parole de l’Évangile toute leur vie. » Reflet possible de l’égalitarisme brut que tant de chercheurs attribueraient aux marins anglo-américains, en 1890, Froude compatit à la détresse des pauvres qu’il rencontra à Rio de Janeiro et à celle des condamnés qu’il vit travailler au cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud.
Pour Froude, comme pour beaucoup d’autres marins anglo-américains, le travail en mer était une profession de jeunes. Entrepreneur par nature, il étudia la photographie tandis qu’il vivait sur la côte durant l’hiver. Il acheta une lanterne magique et arrondit ses fins de mois en offrant des spectacles aux passagers des vapeurs ou en prenant des photos pour eux. Son journal porte à croire qu’en mai 1891, il avait commencé à se languir de sa ville natale et, au cours des 16 mois subséquents, il accomplit un long et tortueux voyage de retour vers Twillingate. Il arriva le 19 septembre 1892 et révéla un aspect plus sentimental de sa personnalité virile : « Je revis ma mère pour la première fois depuis que j’avais quitté la vieille maison sur la colline [;] elle jeta ses bras autour de mon cou et me pressa affectueusement contre son sein comme si j’avais été un enfant de six ans. »
John William Froude décida de rester à Terre-Neuve et de gagner sa vie comme entrepreneur. Durant l’hiver de 1892–1893, il construisit un atelier, acheta sa première goélette et commença à faire du commerce dans la baie de Notre-Dame, échangeant de la morue salée, de l’huile de morue et de l’argent liquide contre des marchandises sèches. En octobre 1893, il épousa Lucy Pelly, avec qui il aurait une famille nombreuse. Comme bien des hommes d’affaires de la colonie, il subit un revers financier lors de la faillite bancaire de 1894 [V. James Goodfellow*] et, à l’été de 1898, la perte de deux goélettes dans des tempêtes l’amena à retravailler comme marin, principalement vers l’île du Cap-Breton. Froude combina la navigation avec le commerce, le sciage de bois d’œuvre et la construction navale pendant encore 30 ans. Parmi ses entreprises les plus risquées figurent ses investissements dans la Twillingate Coal Company of Newfoundland Limited, qui fit faillite en 1908, et dans la Twillingate Electrical Company of Newfoundland, qui connut le même sort l’année suivante sous sa propre direction. Le 17 décembre 1937, à la retraite, et peut-être refroidi par ses échecs en affaires et en mal de sa vie en mer, il préparait son journal pour la postérité, comme récit de son « parcours de vie sinueux de morne errance ». Ce faisant, Froude rendit compte des aspects cosmopolites, souvent méconnus, de la vie dans les villages de pêcheurs et du point de vue des marins de la fin du xixe siècle.
Un membre de la famille de John William Froude, Edwin Noftle, de Campbellton, à Terre-Neuve, est entré en possession de son journal personnel et l’a fait publier sous le titre On the high seas : the diary of Capt. John W. Froude, Twillingate, 1863–1939 (St John’s, 1983). L’acte de baptême de Froude, conservé aux RPA, Methodist parish records, Twillingate, Reg. of baptisms, box 1, 1853–1868, confirme la date de naissance donnée dans son journal, ainsi que l’orthographe de son nom de famille. Cependant, la date inscrite sur son certificat de décès (T.-N., Dept. of Service NL, Govt. services branch, Vital statistics div. (St John’s), no.FD45824) indique qu’il est mort un an plus tard que ce que laisse supposer le titre On the high seas. Un exemplaire du certificat de mariage de Froude et Lucy Pelly est accessible en ligne : Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, « Newfoundland, vital records, 1840–1949 » : https://familysearch.org/ark:/61903/1:1:QKQF-DYSB (consulté le 24 nov. 2015).
Barbara Froude, descendante de John William Froude, tient à jour une banque de données généalogiques en ligne sur la famille Froude : « The Froud family home page » : www.genealogy.com/ftm/f/r/o/Barbara--A-Froude/index.html (consulté le 14 oct. 2015).
L’importance du travail de Froude est bien présentée dans : E. W. Sager, Seafaring labour : the merchant marine of Atlantic Canada, 1820–1914 (Kingston, Ontario, 1989). Pour obtenir quelques renseignements sur l’industrie régionale des transports et du commerce maritimes, on peut consulter : R. E. Ommer, « Navires et Navigation, 1863–1914 », planche 39, et C. G. Head et al., « les Pêches canadiennes, 1850–1900 », planche 37, dans Atlas historique du Canada (3 vol., Montréal, 1987–1993), 2 (la Transformation du territoire, 1800–1891, R. L. Gentilcore et al., édit., Marcel Paré, trad., 1993), ainsi que E. W. Sager et J. J. Mannion, « la Mer et le Mode de vie sur la côte canadienne de l’Atlantique », dans Atlas historique du Canada, 3 (Jusqu’au cœur du xxe siècle, 1891–1961, Donald Kerr et al., édit., Marcel Paré, trad., 1990), planche 23.
Sean T. Cadigan, « FROUDE (FROUD), JOHN WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/froude_john_william_16F.html.
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Auteur de l'article: | Sean T. Cadigan |
Titre de l'article: | FROUDE (FROUD), JOHN WILLIAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
Année de la révision: | 2018 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |