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FOURNIER, TÉLESPHORE, avocat, éditeur, journaliste, homme politique, fonctionnaire et juge, né le 5 août 1823 à Saint-François-de-Sales-de-la-Rivière-du-Sud, Bas-Canada, fils de Guillaume Fourrier et de Marie-Archange Morin ; le 22 juillet 1857, il épousa à Saint-Pierre-les-Becquets (Les Becquets) Hermine Demers, et ils eurent neuf enfants ; décédé le 10 mai 1896 à Ottawa.
Dès son jeune âge, Télesphore Fournier fait montre d’un réel talent. Son père, sans doute avec l’aide financière de Claude Dénéchau*, dont il est le meunier, l’inscrit en 1835 au séminaire de Nicolet. Fournier se tient au premier rang et on lui fait sauter la classe de quatrième (versification). Fort en langues, il excelle aussi en mathématiques et dans l’art oratoire. Antoine Gérin-Lajoie*, son condisciple et ami, écrira plus tard qu’il « montrait déjà cette délicatesse de sentiment, cet honneur, cet esprit de fierté et d’indépendance qui l’ont toujours distingué dans le monde ».
En 1842, Fournier commence son stage de clerc chez l’avocat René-Édouard Caron*. À 19 ans, il fait partie de la jeunesse lettrée de la ville de Québec qui vit intensément le ressac de l’échec des insurrections de 1837 et de 1838 et s’interroge sur le devenir de la société canadienne-française. Il fréquente l’hôtel de la Cité, l’hôtel de Tempérance, les locaux du journal le Fantasque, où Pierre-Joseph-Olivier Chauveau*, Joseph-Charles Taché, James Huston*, Auguste Soulard* et d’autres jeunes débattent des idées. Il subit l’influence de Napoléon Aubin*. Le 4 octobre 1843, il est avec ce dernier, Taché et Marc-Aurèle Plamondon membre fondateur de la Société canadienne d’études littéraires et scientifiques, dont il est élu secrétaire adjoint. Cette société qui compte une trentaine de membres joue, malgré une existence éphémère, un rôle dans le développement de la vie intellectuelle à Québec. Ses membres s’intéressent au progrès des arts et des métiers. Ils tiennent une séance d’étude hebdomadaire puis, en janvier 1844, inaugurent des cours publics.
Admis au barreau le 10 septembre 1846, Fournier exerce sa profession à Québec, au 7 de la rue Haldimand. Il s’associe par la suite à John Gleason (1858–1865), à Charles-Alphonse Carbonneau (1872–1873) et enfin à Matthew Aylward Hearn et Achille Larue sous la raison sociale de Fournier, Hearn et Larue (1874–1875). Le juge Thibaudeau Rinfret*, qui a recueilli la tradition orale, rapporte qu’« au palais, il parlait lentement. Il plaidait brièvement, mais avec sincérité, élégance et clarté [...] soucieux du choix de ses mots et de la facture de sa phrase. » Il aurait cette faculté de saisir rapidement l’incidence des lois dans les cas particulièrement complexes. Son talent reconnu par ses pairs lui vaut d’être élu bâtonnier du barreau de Québec le 1er mai 1867 et, l’année suivante, bâtonnier général de la province de Québec.
Fournier mène de front la basoche et la politique. Il participe en 1847 à la campagne du Comité constitutionnel de la réforme et du progrès sous la présidence de René-Édouard Caron ; il est alors assistant du secrétaire-archiviste Napoléon Aubin. En 1849, son nom figure avec ceux d’Aubin, de Plamondon et de Soulard en tête d’une pétition favorable à l’annexion avec les États-Unis. Aux élections de 1854, il est défait dans Montmagny par Louis-Napoléon Casault, natif de l’endroit et, de surcroît, le frère de Louis-Jacques*, recteur de l’université Laval. Les chefs du parti rouge attribuent la défaite de tous leurs candidats à l’est de la circonscription de Champlain à l’absence d’un journal vigoureux. Ils pressent donc Fournier de défendre la cause libérale par la plume. Le 20 novembre 1855, celui-ci lance le National, bihebdomadaire dont il est copropriétaire et corédacteur avec Pierre-Gabriel Huot et Plamondon. Ce journal de quatre pages a une facture moderne pour l’époque : une page littéraire faite d’un feuilleton, une de nouvelles européennes, une de nouvelles locales où les événements politiques sont prétextes à des polémiques partisanes et idéologiques, et une page d’annonces. Il s’affiche résolument démocrate. Fournier se bat pour un projet de société axé sur l’indépendance du Canada, le libéralisme et la modernisation des institutions socio-politiques. À court terme, ses objectifs sont : le rachat par la couronne des droits casuels de la tenure seigneuriale ; la réforme du système électoral ; l’ouverture des terres incultes à la colonisation ; une répartition équitable des fonds publics entre le Haut et le Bas-Canada ; l’indépendance de la chambre face à l’exécutif, notamment par l’exclusion des personnes qui touchent des émoluments du gouvernement. À plus long terme, Fournier milite pour la dissolution de l’Union. Le National livre une guerre acharnée à ses rivaux : le Canadien, journal ministériel, et le Journal de Québec du versatile Joseph-Édouard Cauchon*. Un article incisif donne lieu à un incident cocasse – un duel entre Fournier et Michel Vidal, rédacteur en chef du Journal de Québec. Ce duel est entouré d’éléments légendaires que les historiens n’ont pas encore dissipés. À court d’argent, le National ferme ses portes le 9 juin 1859.
Fournier capitalise sur sa réputation d’avocat, de journaliste et d’orateur populaire pour se faire élire au Parlement, même s’il a été battu de nouveau dans Montmagny en 1857. Il tente en vain de se faire élire au Conseil législatif pour la division de Stadacona en 1861 et celle de La Durantaye en 1864. Ses amis attribuent ses déboires à son style de campagne électorale : « Il luttait avec vigueur et énergie, mais n’entrait jamais sur le terrain des personnalités. Il discutait les questions politiques devant le peuple comme il l’aurait fait devant une réunion d’hommes d’état. » Lui-même, un bagarreur fougueux, en trouve la raison dans la lutte acharnée et peu scrupuleuse que lui livrent les curés de paroisse, le grand vicaire Charles-Félix Cazeau* et la machine électorale d’Hector-Louis Langevin*. Absent de la scène parlementaire pendant les grands débats sur la Confédération canadienne, Fournier revient à la politique active grâce à un événement inattendu. À l’occasion d’une élection partielle en août 1870, les électeurs de Bellechasse l’élisent sans opposition leur représentant à la chambre des Communes. L’année suivante, ceux de Montmagny l’élisent au Parlement provincial, comme le permet le double mandat. Avec Wilfrid Laurier*, Fournier est l’un des espoirs du parti libéral.
Du 6 juillet 1871 au 19 novembre 1873, Fournier mène avec Henri-Gustave Joly*, Maurice Laframboise* et Pierre Bachand* une vigoureuse opposition au gouvernement Chauveau. Il attaque sur deux fronts : la corruption électorale et le favoritisme dans les concessions forestières. Son premier discours est une dénonciation enflammée de la corruption électorale qui, depuis 20 ans, fausse le jeu démocratique dans le district de Québec. À chaque session, lui et ses amis proposent des modifications à la loi électorale et, en 1871, ils amorcent une campagne pour que l’on porte devant les tribunaux les contestations d’élection. Par ailleurs, ses attaques contre les amis du régime qui édifient des empires forestiers au détriment de la population trouvent un écho favorable parmi les députés et dans les journaux. Le gouvernement doit cesser les ventes privées et diminuer la concession de vastes étendues de terre aux compagnies forestières.
Aux Communes, Fournier avait connu des débuts plus difficiles. Il aurait été, la première année, « au-dessous de sa réputation », selon certains journaux. Sans doute, à l’instar de nombreux députés canadiens-français, connaît-il des difficultés d’adaptation. Jamais il n’aura aux Communes le panache qu’il a à Québec. Il est plus juriste que politique et peut-être est-il, en dépit de sa prestance, trop sensible et trop inflexible pour être un leader. Ministre du Revenu de l’intérieur du 7 novembre 1873 au 7 juillet 1874, il remplace Antoine-Aimé Dorion, nommé juge, à la Justice, du 8 juillet 1874 au 18 mai 1875. Incapable de rassembler la députation libérale canadienne-française et tombé en disgrâce auprès d’Alexander Mackenzie à la suite d’une rixe dans une taverne, il doit céder son portefeuille à Edward Blake* et se contenter, en attendant sa nomination comme juge, de celui de maître général des Postes, du 19 mai au 7 octobre 1875. C’est à la Justice que Fournier donne le meilleur de lui-même. Il fait adopter en 1874 la loi des élections contestées qui prévient qu’on fasse le procès des pétitions d’élection durant la session du Parlement. L’année suivante, il fait adopter la loi des faillites qui prévoit la nomination de syndics et empêche qu’une personne se déclare en faillite sans avoir consulté ses créanciers, qui conservent l’initiative en cette affaire. Mais sa plus grande réussite demeure l’adoption, le 8 avril 1875, de la loi créant la Cour suprême. Cette loi, dont sir John Alexander Macdonald avait esquissé les grandes lignes, répond au besoin d’une interprétation uniforme de la loi à travers le Canada et d’une instance pour arbitrer les différends constitutionnels. Elle divise cependant les esprits sur plusieurs points. Mettra-t-elle fin à l’appel au Conseil privé ? Inclura-t-elle les lois civiles françaises dans la juridiction de cette cour ? Combien de juges de la province de Québec en feront partie ? Fournier se montre habile tacticien. Il consent, bien à regret, que l’on sauvegarde la prérogative de la reine dans l’appel au Conseil privé et démontre que les Canadiens français n’ont rien à craindre pour leurs lois. D’une part, affirme-t-il, les principes d’équité britanniques sont identiques à ceux du Code civil de la province de Québec – ces deux systèmes de lois sont fondés sur le droit romain. D’autre part, il y aura toujours plus de juges du Québec à ce tribunal qu’au Conseil privé où il n’y en a pas. Il fait insérer dans la loi que deux membres du Barreau de la province de Québec siégeront dans cette cour et que les causes en provenance du Québec et inférieures à un montant de 2 000 $ ne pourront être portées en appel.
Le 8 octobre 1875, Fournier est nommé juge de la Cour suprême. Il installe sa famille à Ottawa. Sa femme meurt en 1879 en le laissant avec neuf enfants ; c’est Adrienne, l’aînée, qui tient maison. Fournier passe l’hiver à Ottawa et l’été à Berthier (Berthierville). Il s’intéresse à l’actualité, à la littérature et à la philosophie. Il donne des réceptions fort goûtées par les lettrés francophones d’Ottawa et il se plaît en compagnie de son ami intime, André-Napoléon Montpetit, et des membres du Cercle des Dix, dont font partie Benjamin Sulte*, Alphonse Lusignan, Joseph-Étienne-Eugène Marmette, Alfred Duclos* De Celles et d’autres dilettantes. Il est vice-doyen de la faculté de droit de l’université d’Ottawa de 1892 à 1895. Mais, durant 20 ans, rendre justice sera son principal souci. Ses jugements formulés dans une langue concise et précise, étayés par une culture juridique étendue, portent l’empreinte d’un esprit vigoureux et perspicace. Dans plusieurs causes, au dire du juge Thibaudeau Rinfret, tout spécialement dans celles de la Colombie-Britannique contre le gouvernement du Canada (1889), et de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique contre Mme Agnes Robinson (1887), son dissentiment prévaut devant le Conseil privé sur l’avis de tous ses collègues. Ses jugements les plus célèbres demeurent celui qu’il rendit dans la cause d’Andrew Mercer* (1881), selon lequel les biens échéant à la couronne ne tombaient pas sous l’effet des lois provinciales, mais que le Conseil privé refusa d’entériner, et son jugement dans la question des écoles du Manitoba, que retint le Conseil privé et qui servit de fondement au projet de loi réparatrice en 1896. Son opinion sur le droit de l’Ontario d’exiger un permis pour la fabrication des boissons alcooliques et d’en percevoir des revenus fut entérinée par le Conseil privé peu de temps avant sa mort.
Télesphore Fournier, atteint du mal de Bright, meurt le 10 mai 1896 à l’âge de 72 ans et 9 mois. Son ami Montpetit lui rend cet hommage : « un homme d’un caractère élevé, d’un esprit cultivé, délicat, dégagé de préjugés, d’un jugement, d’une droiture exceptionnels, généreux, hospitalier, d’une volonté de fer, mais tempérée par une rare bonté et la plus exquise sensibilité ».
ANQ-MBF, CE1-40, 22 juill. 1857.— ANQ-Q, CE2-9, 5 août 1823.— Canada, chambre des Communes, Débats, 1875 ; Parl., Doc. de la session, 1874.— Débats de l’Assemblée législative (M. Hamelin), 1871–1872.— L’Électeur, 4 nov. 1893, 11 mai 1896.— L’Événement, 13 juill., 16 déc. 1871.— Le Journal de Québec, 13, 25, 27 juill. 1854, 19–20 déc. 1857, 22, 25, 28 juin, 2, 6, 11 juill. 1861, 3 juin 1863.— Le National (Québec), 20 nov., 7 déc. 1855, 27 août 1857, 12 janv., 28 nov. 1858, 14 juin 1859.— L’Opinion publique, 13 juill. 1871.— La Patrie, 11 mai 1896.— Le Soir (Montréal), 13 mai 1896.— « Bâtonniers du barreau de Québec », BRH, 12 (1906) : 342.— F.-M. Bibaud, le Panthéon canadien ; choix de biographies, Adèle et Victoria Bibaud, édit. (nouv. éd., Montréal, 1891).— Cycloædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 2.— Dent, Canadian portrait gallery, 3.— J. Desjardins, Guide parl.— P.-G. Roy, les Juges de la prov. de Québec.— RPQ.— Réal Bélanger, Wilfrid Laurier ; quand la politique devient passion (Québec et Montréal, 1986).— Bernard, les Rouges.— Creighton, Macdonald, old chieftain.— Léon Gérin, Antoine Gérin-Lajoie ; la résurrection d’un patriote canadien (Montréal, 1925).— M. Hamelin, Premières années du parlementarisme québécois.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 4 ; 6–7.— J. G. Snell et Frederick Vaughan, The Supreme Court of Canada : history of the institution (Toronto, 1985).— D. C. Thomson, Alexander Mackenzie, Clear Grit (Toronto, 1960).— J.-P. Tremblay, À la recherche de Napoléon Aubin (Québec, 1969).— Waite, Canada, 1874–96.— Mme Donat Brodeur, « le Cercle des Dix », la Rev. moderne (Montréal), 5 (1924), no 10 : 19–22.— A.[-H.] Gosselin, « Réponses », BRH, 14 (1908) : 320.— Charles Langelier, « J.-B. Parkin, c.r. », BRH, 3 (1897) : 82–89.— R. O., « Quelques sociétés disparues », BRH, 49 (1943) : 316.— « Questions », BRH, 2 (1896) : 128.— Thibaudeau Rinfret, « le juge Télesphore Fourrier », Rev. trimestrielle canadienne (Montréal), 12 (1926) : 1–16.— P.-G. Roy, « les Sources imprimées de l’histoire du Canada-français », BRH, 29 (1923) : 177.
Michèle Brassard et Jean Hamelin, « FOURNIER, TÉLESPHORE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fournier_telesphore_12F.html.
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Auteur de l'article: | Michèle Brassard et Jean Hamelin |
Titre de l'article: | FOURNIER, TÉLESPHORE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |