FORTIER, RENÉ (baptisé George-Émile-René), médecin, professeur, administrateur d’hôpitaux et auteur, né le 4 août 1866 à Sainte-Marie, Bas-Canada, fils de Joseph-Elzéar Fortier et de Marie-Louise-Joséphine Simard ; le 12 octobre 1896, il épousa à Québec Alice Boucher de La Bruère, fille de Pierre Boucher* de La Bruère, avocat et surintendant de l’Instruction publique, et de Victorine Leclère, et ils eurent trois filles et trois garçons ; décédé le 8 août 1929 à Québec.

Après des études classiques au collège de Lévis (1875–1884) et au petit séminaire de Québec (1884–1886), René Fortier entreprend des études de médecine à l’université Laval, à Québec. Pendant l’année 1889–1890, il s’inscrit au grand séminaire de Québec, mais il délaisse rapidement la théologie pour revenir à son choix initial. Issu d’une famille de médecins (son père et son grand-père ont exercé cette profession), il obtient le diplôme de bachelier en médecine en 1890, puis celui de docteur en médecine, avec distinction, l’année suivante. Il sera admis au Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec le 30 septembre 1891. Un mois plus tôt, soit le 27 août, il part pour Paris, où il demeurera pendant deux ans pour poursuivre ses études. Il y reçoit une formation clinique variée, notamment en obstétrique avec Pierre Budin, à l’hôpital de la Charité, et avec Adolphe Pinard, à la maternité Baudelocque. Il suit également des cours de gynécologie, d’hygiène, de neurologie et de médecine légale. Pendant la deuxième année, il se spécialise en « médecine des enfants », sous la direction des professeurs Jacques-Joseph Grancher et Antonin Marfan, pionniers de cette discipline. À l’hôpital des Enfants-Malades de Paris, qui compte environ 800 lits, Fortier fait l’apprentissage de la pédiatrie, de la chirurgie infantile, de l’orthopédie et de la bactériologie. Au cours de son stage, il visite quelques pays d’Europe en compagnie de son collègue Arthur Simard*.

À son retour au Canada, en septembre 1893, Fortier installe sa résidence et son cabinet de consultation dans la haute ville de Québec, à l’angle des rues Sainte-Anne et Sainte-Ursule. Alors que les médecins, à cette époque, commencent leur carrière par une pratique exclusivement générale, Fortier y ajoute aussitôt les soins obstétriques et la médecine infantile. À partir de 1903, il ne se consacrera plus, à son cabinet, qu’à l’exercice de la pédiatrie. Dès son arrivée, il participe, avec le recteur de l’université Laval, Mgr Joseph-Clovis-Kemner Laflamme*, et le doyen de la faculté de médecine, Charles-Eusèbe Lemieux, à l’organisation d’une chaire de pédiatrie. Il y enseigne dès janvier 1894, à titre de professeur agrégé ; il sera nommé titulaire en 1899 et demeurera en poste jusqu’à son décès. En 1894, les futurs médecins reçoivent les cours théoriques de pédiatrie à raison de 15 leçons par an pendant leurs troisième et quatrième années d’étude, alors que cet enseignement n’est pas encore obligatoire (il le deviendra le 1er janvier 1910, soit au moment de l’entrée en vigueur de la Loi médicale de Québec) [V. Albert Laurendeau*]. En 1905, les leçons de pédiatrie seront d’environ 35 heures par an, puis passeront à 45 heures en 1925. Dans ces cours, Fortier se concentre sur les connaissances relatives au nouveau-né, au nourrisson et à la deuxième enfance (de la naissance à l’âge de 6–7 ans). Bien qu’il s’intéresse à l’état de santé de l’enfant, il aborde en détail les différentes affections et leurs causes, notamment les troubles digestifs liés à une alimentation déficiente, matière qui lui permet d’exposer les bienfaits de l’allaitement maternel. À partir de 1898, la faculté confie aussi à Fortier l’enseignement de l’hygiène (120 leçons par année aux étudiants de première et deuxième années). En 1913, dans le but de lutter plus efficacement contre les épidémies, notamment de variole, qui atteignent souvent les quartiers pauvres des villes, on inaugurera un cours d’hygiène publique conduisant à l’obtention d’un diplôme d’hygiéniste-expert. Ce cours offre aux docteurs en médecine une formation qui donne accès à la fonction publique et qui comprend entre autres 20 leçons sur la puériculture et les maladies contagieuses, qui s’ajouteront à la tâche d’enseignement de Fortier.

L’institutionnalisation des enfants abandonnés procure un premier terrain clinique à la pédiatrie. C’est ainsi que, de 1898 à 1906, Fortier devient médecin visiteur à l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Jésus. Fondé en 1873, cet hôpital est situé dans le quartier ouvrier Saint-Sauveur, en basse ville, et vient en aide aux enfants abandonnés et aux épileptiques. Fortier voit sa tâche de médecin visiteur augmenter sensiblement à partir de 1903. Cette année-là, après plusieurs vaines requêtes, il obtient la permission de donner des leçons cliniques aux étudiants de la faculté de médecine ; or, selon une pratique alors courante, il s’occupe gratuitement, en échange, des soins et de la direction médicale dans l’établissement où se déroulent les leçons. Le dispensaire de Québec, situé à l’Hôtel-Dieu, est le premier endroit à bénéficier d’une telle entente avec Fortier ; en 1907, il y ouvrira le « service des enfants malades », dont il sera titulaire jusqu’en 1929. En 1905, la crèche Saint-Vincent-de-Paul, où la clientèle se compose de nouveau-nés et de nourrissons illégitimes, nés à la maternité de l’hôpital de la Miséricorde et recueillis par les sœurs du Bon-Pasteur, l’accueille à son tour comme professeur et médecin visiteur ; il le demeurera jusqu’à son décès. De 1916 à 1920, Fortier donnera des leçons pratiques sur les maladies contagieuses dans le nouvel Hôpital civique de Québec. Fondé en 1915, cet établissement de 58 lits, financé par la ville de Québec et situé sur le chemin de la Canardière, est destiné aux malades atteints de tuberculose ; les Sœurs de la charité de Québec en assurent l’administration interne. Les étudiants de la faculté de médecine pourront également suivre des leçons cliniques à l’hôpital du Saint-Sacrement, ouvert en 1927 sur le chemin Sainte-Foy et où Fortier inaugurera un service de pédiatrie.

Le mouvement de lutte contre la mortalité infantile à Québec – tout comme à Montréal [V. Séverin Lachapelle*], à Toronto et dans les grandes villes nord-américaines – a d’abord été l’œuvre de réformateurs sociaux, de femmes, de médecins et de membres du clergé, avant d’être pris en charge par l’État. En juin 1915, Fortier participe à l’ouverture d’une clinique de puériculture au dispensaire de Québec ; quelques semaines plus tôt, un service du même genre a vu le jour dans le quartier Saint-Sauveur, sous la direction d’Albert Jobin. Ces cliniques, connues sous le nom de Gouttes de lait [V. Frances-Mathilde Barnard*], ont pour but de donner des soins et du lait sain aux enfants issus de familles pauvres ; les mères y trouvent aussi de l’information pertinente. À Québec, où les maladies contagieuses et diarrhéiques sont un fléau, ce service s’avère indispensable : en 1916, 27 enfants sur 100 meurent dans leurs 12 premiers mois, et ces chiffres excluent les mort-nés. Seule la ville de Sorel obtient un résultat encore plus navrant. Fortier devient en juin 1916 directeur du conseil médical des sept Gouttes de lait alors ouvertes à Québec, poste qu’il quitte bientôt à la suite d’un différend avec les dames qui composent le comité de direction au sujet de la rémunération. L’œuvre sera financée par le gouvernement provincial à partir de 1924. Dans la nouvelle organisation qui résulte de ce changement d’administration, Fortier sera nommé médecin en chef.

Ces expériences publiques de soins aux enfants de la ville sont concluantes et encouragent d’autres initiatives. En 1923, au faîte de sa carrière, Fortier participe à la fondation du premier hôpital destiné aux enfants malades. En janvier, Irma Le Vasseur*, première femme médecin francophone de la province, qui a cofondé en 1907 l’hôpital Sainte-Justine de Montréal, ouvre un petit dispensaire, rue Grande Allée, où Fortier est le premier médecin et où il hospitalise le premier enfant. En mai, le pédiatre rédige une constitution et des règlements afin que l’établissement soit incorporé sous le nom d’hôpital de l’Enfant-Jésus et qu’il puisse obtenir des octrois gouvernementaux. L’œuvre reçoit l’appui moral des élites de la ville. Trois sœurs Dominicaines de l’Enfant-Jésus, sous la supervision médicale des docteurs Fortier et Édouard Samson, orthopédiste, sont chargées de son fonctionnement. Les débuts sont précaires. L’hôpital occupe trois autres lieux avant de s’installer en 1927 dans un nouvel édifice sur le chemin de la Canardière. L’organisation de l’hôpital, doté de 125 lits, reflète l’intérêt des citoyens de la région pour les soins aux enfants. L’établissement, où les futurs médecins peuvent suivre des leçons cliniques, compte alors deux salles d’opération, une clinique dentaire, un laboratoire, une salle de radiologie et une maternité. Après la mort de Fortier, il deviendra un hôpital général.

Homme actif qui a cumulé la pratique médicale et l’enseignement universitaire, Fortier a de plus veillé à la défense des intérêts de sa profession. Il occupe le poste de secrétaire de la Société médicale de Québec dès sa fondation en 1897 jusqu’en 1901. Celle-ci publie à partir de 1899 le Bulletin médical de Québec ; Fortier est membre de son comité de rédaction de 1899 à 1906, puis en est le secrétaire de 1911 à 1913. Il y fait paraître une vingtaine d’articles, où il traite surtout de la poliomyélite, de l’alimentation des nourrissons et de l’hygiène. Dans ses interventions publiques (textes et conférences), Fortier encourage l’allaitement maternel, ainsi que la mise en place de mesures d’hygiène comme la pasteurisation du lait et la stérilisation des biberons. Il critique parfois les médecins qui négligent d’envoyer les enfants malades en consultation spécialisée. Enfin, pour le bien de la santé publique, il incite l’État à améliorer la qualité du lait de consommation et à augmenter le financement des hôpitaux.

Souffrant d’artériosclérose cardio-rénale, René Fortier s’alite en février 1929 et meurt le 8 août suivant. Son ami de longue date, Arthur Simard, lui rend alors hommage et le décrit comme un être timide, émotif et modeste. Avec ses talents, ses éminentes qualités morales et sa dignité professionnelle, Fortier a obtenu une notoriété enviable dans toute la province, où il est devenu « le médecin des enfants ». La carrière de ce pionnier de la pédiatrie est riche de renseignements sur la pratique médicale de cette époque. Premier médecin de Québec à se consacrer à la pédiatrie tant dans son cabinet privé que dans de nombreuses cliniques, il a enseigné sa discipline à l’université Laval pendant plus de 30 ans. Il a accentué la présence médicale au sein des hôpitaux généraux et a encouragé la spécialisation médicale, notamment par la fondation de l’hôpital de l’Enfant-Jésus, où, en 1937, une plaque commémorative a été dévoilée en son honneur.

Frédéric Jean et Érica Boisvert

René Fortier a rédigé plusieurs articles, publiés pour la plupart dans le Bull. médical de Québec. Il a aussi collaboré à l’Union médicale du Canada (Montréal), au Journal d’hygiène populaire (Montréal), au Bull. sanitaire (Montréal) et quelques-unes de ses conférences ont paru dans les actes des congrès de l’Association des médecins de langue française de l’Amérique du Nord. Parmi ces textes, mentionnons : « De l’alimentation artificielle des enfants du premier âge », dans Premier Congrès de l’Association des médecins de langue française de l’Amérique du Nord tenu à Québec, les 25, 26 et 27 juin 1902 ; texte des mémoires (Québec, 1903), 458–488 ; « Hygiène des classes ouvrières sous le rapport social et administratif », dans Quatrième Congrès de l’Association des médecins de langue française de l’Amérique du Nord tenu à Québec, les 20, 21 et 22 juillet, 1908 ; texte des mémoires (Québec, 1910), 176–185 ; et, en collaboration avec Arthur Simard, « Considérations sur l’alimentation des enfants du premier âge en dehors de l’allaitement au sein », Journal d’hygiène populaire, 11 (1894–1895) : 212–229.

Aux ANQ-Q, on consultera le fonds René Fortier (P265), qui comprend notamment une trousse de médecins, plusieurs instruments chirurgicaux et de nombreuses notes des cours de pédiatrie et d’hygiène qu’a donnés Fortier à la faculté de médecine de l’université Laval, à Québec. Son fils, De La Broquerie Fortier, lui-même pédiatre à Québec et auteur d’articles sur l’histoire de la médecine, a lui aussi donné son nom à un fonds conservé aux ANQ-Q (P596) ; ce dernier renferme entre autres des textes qu’il a écrits sur son père. Sur le site Internet des ANQ, dans les Instruments de recherche en ligne, on peut également consulter un « Guide des archives hospitalières de la région de Québec, 1639–1970 », préparé par Véronique Lépine.

ANQ-Q, CE301-S1, 12 oct. 1896 ; CE306-S24, 6 août 1866.— Le Soleil, 8–9 août 1929.— Annuaire, Québec, 1893–1930.— Jacques Bernier, la Médecine au Québec : naissance et évolution d’une profession (Québec, 1989).— Rita Desjardins, « l’Institutionnalisation de la pédiatrie en milieu franco-montréalais, 1880–1980 : les enjeux politiques, sociaux et biologiques » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1998).— De La Broquerie Fortier, Au service de l’enfance : l’Association québécoise de la Goutte de lait, 1915–1965 (Québec, 1966) ; « les Débuts de la pédiatrie à Québec, 1892 à 1929 », l’Union médicale du Canada, 112 (1983) : 656–663.— Denis Goulet et André Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec ; chronologie des institutions et des pratiques (1639–1939) (Montréal, 1992).— Univ. Laval, Annuaire, 1884–1931.

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Frédéric Jean et Érica Boisvert, « FORTIER, RENÉ (baptisé George-Émile-René) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/fortier_rene_15F.html.

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Auteur de l'article:    Frédéric Jean et Érica Boisvert
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    1 décembre 2024