EWEN, ALEXANDER, pêcheur, homme d’affaires et échevin, né le 22 novembre 1832 à Aberdeen, Écosse, fils aîné de George Ewen et d’Elizabeth Sheppard ; le 26 janvier 1876, il épousa à New Westminster, Colombie-Britannique, Mary Rogers, et ils eurent trois filles ; décédé le 8 juillet 1907 à cet endroit.

Alexander Ewen pêcha le saumon avec son père dès son jeune âge et finit par devenir contremaître d’une chaîne de comptoirs de pêche situés le long du littoral est de l’Écosse. Il arriva dans la colonie de la Colombie-Britannique en 1864 après avoir répondu à une offre d’emploi parue dans des journaux écossais. L’annonce demandait un surintendant pour une entreprise de traitement du saumon située sur le Fraser. L’entreprise, lancée par un ancien mineur de la région de Cariboo, Alexander Annandale, fit faillite au bout d’une saison parce que, dit-on, les filets utilisés – des trappes écossaises fixes – n’étaient pas adaptés au cours principal du Fraser.

Ewen resta dans la colonie et fit partie d’un groupe de pêcheurs qui, installés à New Westminster, approvisionnaient le marché local en poisson frais et salaient du saumon pour l’exportation. Dès 1870, il avait fondé l’Ewen and Company avec un autre pêcheur, William « Dutch Bill » Vianen. Il continua de faire de la salaison sous cette raison sociale pendant les années 1870 même si Vianen se dissocia de la firme en 1871.

Cette même année, Ewen se lança dans la mise en conserve du saumon en formant une autre société, la Loggie and Company, avec un collègue pêcheur du nom de James Wise, le conserveur néo-brunswickois Alexander Loggie et l’étameur David S. Hennessy. Leur conserverie se trouvait sur la rive sud du Fraser, en face de New Westminster, sur un emplacement baptisé par la suite Annieville. Annandale avait construit ces bâtiments en 1864 pour y saler du saumon ; de 1867 à 1869, James Syme* y avait tenu une conserverie de saumon. En 1875, Loggie quitta l’entreprise, qui se réorganisa et prit le nom d’Ewen and Wise. En 1876–1877, attirée par des concessions de la municipalité de New Westminster, l’Ewen and Wise construisit une conserverie dans cette ville, au bord de l’eau. Ewen acheta la part de Wise à la fin de 1878, et continua de faire de la mise en conserve et de la salaison sous le nom d’Ewen and Company.

Pourquoi, dans les années 1870, soit dans la période où l’industrie de la mise en conserve du saumon connut sa première phase d’expansion sur le Fraser, l’entreprise d’Ewen réussit-elle à survivre, et même à croître, alors que d’autres exploitants ne parvinrent pas à tenir le coup ? Son succès s’explique en partie par ses méthodes de production. Le procédé de mise en conserve, encore primitif, ne permettait pas d’absorber tout le saumon ; Ewen continuait de saler celui qui se trouvait en excédent. Mais il y avait un autre facteur important : le soutien financier d’un groupe de marchands commissionnaires de Victoria qui gravitaient autour de Robert Ward. Ewen fit d’abord affaire avec une société dont faisait partie le beau-père de Ward, Thomas Stahlschmidt. Cette société prit le nom de Stahlschmidt and Ward puis, constituée juridiquement en 1892, celui de Robert Ward and Company.

À l’époque, le marchand commissionnaire était l’homme d’affaires type de la côte du Pacifique. À la fois courtier, fournisseur, agent d’assurance et agent d’expédition pour une variété d’entrepreneurs, il faisait en plus de l’import-export pour son propre compte. Parfois, lorsque des entreprises dans lesquelles il avait investi faisaient faillite, il les reprenait et les exploitait lui-même, pour sauver sa mise. Parmi ces marchands de Victoria, Robert Ward devint l’un des plus importants, en partie grâce à ses liens avec la Bank of British Columbia, dont le siège social était à Londres et dont son frère William C. Ward était directeur local. Dans l’industrie de la mise en conserve, les marchands commissionnaires finançaient les exploitants et s’occupaient de la mise en marché, surtout en Grande-Bretagne. Les arrangements conclus entre Ewen et l’entreprise de Ward étaient certainement de ce genre.

Vers 1885, la croissance de l’industrie de la mise en conserve connut un ralentissement sur le Fraser, en partie parce que la demande était faible, mais aussi parce que des conserveries s’installaient plus au nord, sur les rivières Skeena et Nass. Cependant, Ewen avait des assises solides et put agrandir son entreprise. Pour la saison de 1884, il construisit dans l’île Lion, au sud de New Westminster, ce qui était alors la plus grosse conserverie du Fraser. En outre, pour nourrir ses ouvriers, du moins en partie, il créa une ferme de 640 acres sur l’île adjacente, l’île Lulu. Ensuite, il aida des employés triés sur le volet à se lancer à leur tour dans la mise en conserve, ce qui lui permit de prendre encore de l’expansion. Par exemple, son teneur de livres, Daniel J. Munn, acheta avec d’autres sur la rive sud, au-dessus de New Westminster, une exploitation qui fut rebaptisée Bon Accord. En prévision de la saison de 1889, qui allait être une saison de pointe, cette société, dans laquelle Hennessy avait aussi des intérêts, construisit une conserverie dans l’île Sea.

La croissance reprit à la fin des années 1880 et s’accompagna du regroupement des exploitants individuels en entreprises propriétaires de plusieurs conserveries. Trois sociétés à responsabilité limitée résultèrent de ce regroupement. La Findlay, Durham, and Brodie, maison de marchands commissionnaires de Victoria, commandita la British Columbia Canning Company Limited en 1889. L’entreprise de Robert Paterson Rithet* mit sur pied la Victoria Canning Company Limited en 1891. L’Anglo-British Columbia Packing Company Limited, formée elle aussi en 1891, avait ses bâilleurs de fonds en Angleterre et son siège social à Londres, mais l’exploitation se faisait à partir de la nouvelle municipalité de Vancouver. Pendant la saison de 1891, donc, les conserveurs du Fraser se répartissaient en cinq groupes dont deux étaient indépendants : Ewen et ses associés, et la J. H. Todd and Sons de Victoria [V. Jacob Hunter Todd*].

Dans les années 1890, l’industrie du Fraser connut un essor spectaculaire. Attirés par les profits élevés, malgré leur caractère fluctuant, de nouveaux venus accaparaient sans cesse une part du marché. En 1892, lorsque le département fédéral de la Marine et des Pêcheries mit fin à une courte expérience de limitation des permis de pêche, le nombre des conserveries et des pêcheurs commença à monter en flèche. En 1892, il y avait 16 conserveries en exploitation et 721 permis de pose de filets dérivants avaient été distribués aux pêcheurs. En 1901, le nombre de conserveries atteignait 49 et le nombre de permis, 3 526. Ewen participa à cette croissance : en 1893, il installa Hennessy et George Alexander, son contremaître de pose des filets, à la conserverie Canadian Pacific de Steveston, société qui comprenait Richard Vance Winch, alors à ses débuts dans la carrière d’investisseur en conserverie.

Au cours des saisons de pêche de 1900 et 1901, l’industrie du Fraser connut un grave problème de surcapacité de production. En plus, les fluctuations du cycle quadriennal de reproduction du sockeye, principale variété de saumon mis en conserve, aggravèrent la crise. Bien que 1900 ait été l’une des deux années « creuses », il y avait alors 45 conserveries en exploitation, mais elles n’empaquetèrent que 170 000 caisses de sockeye. Par contre, en 1901, année de montaison, le nombre de conserveries en exploitation atteignit seulement 49, mais le nombre de caisses de sockeye s’éleva à 975 000.

La ruée vers l’industrie avait aussi nui aux pêcheurs. Certes, les conserveries s’étaient multipliées et les permis étaient délivrés sans restriction, mais le nombre accru de pêcheurs réduisait les prises de chacun. Même dans les années 1893, 1897 et 1901, qui correspondaient à des phases d’abondance dans le cycle, la prise par permis de pêche émis baissa graduellement par rapport au point culminant atteint en 1889. L’augmentation des prix du poisson entier ne comblait pas tout à fait l’écart. En 1900 et en 1901, les pêcheurs firent la grève pour obtenir des prix saisonniers fixes et compenser ainsi la diminution de leurs prises [V. Frank Rogers]. Leur succès relatif accrut les difficultés financières des exploitants de conserverie.

Il y avait des motifs sous-jacents aux problèmes que connaissait l’industrie de la mise en conserve à la fin du xixe au début du xxe siècle. Les pratiques commerciales changeaient. Vancouver remplaçait Victoria en tant que centre commercial de la province. Plusieurs des principaux marchands commissionnaires de Victoria se retiraient donc de l’industrie. Robert Ward vendit ses intérêts à Richard Vance Winch de Vancouver ; la Banque canadienne de commerce, dont le siège était à Toronto, absorba la Bank of British Columbia. Robert Paterson Rithet commença à se concentrer sur les intérêts qu’il avait à San Francisco. Au lieu de financer les lots de conserves par des hypothèques mobilières, comme on l’avait fait traditionnellement, on avait recours à des prêts bancaires – 40 % provenant de la Banque canadienne de commerce et 40 % de la Banque de Montréal. Donner du crédit à long terme ne plaisait pas aux banquiers. Une réorganisation de l’industrie semblait inévitable.

Effectivement, on tenta de fusionner toutes les conserveries de la Colombie-Britannique. Le principal artisan de cette réorganisation fut l’Américain Henry Doyle ; âgé de 28 ans, il dirigeait une compagnie d’approvisionnement en articles de pêche qui avait des clients sur la côte du Pacifique, aux États-Unis comme au Canada. Doyle négocia avec chacun des conserveurs, mais ce fut le financier torontois Edward Æmilius Jarvis* qui forma le groupe de souscripteurs qui allait financer le projet.

En raison de sa situation personnelle, Ewen n’était pas dans une position idéale pour affronter les problèmes de l’industrie. Son exploitation était grande et il la dirigeait lui-même. Or, en 1901, il avait presque 70 ans. Il ne pouvait guère espérer que ses entreprises continueraient d’être dirigées par quelqu’un de la famille car il n’avait pas de fils pour prendre sa succession. On peut donc comprendre qu’il ait bien accueilli la proposition de fondre en un trust les conserveries de la Colombie-Britannique.

Finalement, la fusion ne toucha pas toutes les sociétés de mise en conserve. Le cœur du nouveau trust était constitué du groupe d’Ewen et de la Victoria Canning Company Limited, qui n’avaient plus d’amarres depuis que Ward et Rithet avaient pris leur retraite. Des conserveurs individuels se joignirent aussi au trust, mais le seul autre groupe identifiable était lié à George I. Wilson, entrepreneur de Vancouver. Ewen devint le président et le principal actionnaire de la nouvelle entreprise, la British Columbia Packers’ Association, qui obtint une charte le 8 avril 1902 en vertu de la législation du New Jersey, favorable aux trusts. Ewen allait rester président jusqu’à sa mort. Henry Doyle fut le premier à occuper le poste de directeur général.

Ewen avait investi le bénéfice de ses conserveries dans l’immobilier (des terres agricoles surtout), dans l’exploitation minière et dans des entreprises associées à sa ville d’adoption, New Westminster – par exemple une compagnie de gaz et le New Westminster Southern Railway, qui était relié à des chemins de fer aux États-Unis. Éminent homme d’affaires, il devint président du Bureau de commerce. Mais c’était aussi un citoyen engagé : il passa plusieurs mandats au conseil municipal. Libéral, il ne brigua pas les suffrages, mais surtout pendant la campagne fédérale de 1891, il soutint activement le candidat libéral indépendant, qui perdit contre un conservateur. À l’occasion de cette campagne, Ewen, avec Munn et d’autres, finança un journal d’opposition, le Truth de New Westminster, qui termina sa courte vie sous le titre de Morning Ledger.

Ewen exerça aussi son activité dans des confréries. Il participa à la fondation, à New Westminster, d’une loge de l’Independent Order of Odd Fellows et il en gravit les échelons dans ses jeunes années. En outre, il fut président de la St Andrews and Caledonian Society. Il était un membre en vue de la congrégation presbytérienne de St Andrew.

Alexander Ewen est le plus réputé des conserveurs de saumon de la Colombie-Britannique au xixe siècle. Sa carrière donne une bonne idée de la croissance que les affaires connurent à New Westminster dans les années qui suivirent l’entrée de la province dans la Confédération en 1871. On a dit qu’il avait été le pionnier de l’industrie de la pêche au saumon en Colombie-Britannique. Sa carrière dans ce secteur durant plus de 40 ans (de 1864 à 1907), d’abord comme pêcheur puis comme entrepreneur, soutient son droit à ce titre. Il ne fut pas le premier à mettre du saumon en conserve sur une base commerciale –  cet honneur revient à James Syme –, mais il fit partie d’une société de mise en conserve dès 1871, soit dans l’année où l’on commença pour de bon à exercer cette activité sur le Fraser, et il termina sa carrière à la présidence du groupe d’entreprises qui allait dominer l’industrie au xxe siècle. Lorsqu’il fit ses débuts, la conserverie était une activité modeste, locale et rudimentaire ; à la fin de sa carrière, elle se rangeait au nombre des grandes industries alimentaires et exportait en grande quantité un produit réputé dans le monde entier. Ewen put d’autant mieux survivre à toutes les étapes de cette transition qu’il avait du dynamisme et des talents administratifs. Les termes de la recommandation qu’il avait apportée en 1863 en Colombie-Britannique auraient fort bien pu lui servir d’épitaphe : « Il connaît à fond tous les aspects de son métier et est tout à fait digne de confiance, énergique, persévérant, d’une honnêteté parfaite, sobre dans ses habitudes et exemplaire dans sa conduite. »

H. Keith Ralston

La recommandation datée de 1863 dont on fait mention à la fin du texte se trouve en possession d’Ewen Macmillan, de Vancouver, petit-fils d’Alexander Ewen. Nous avons pu en obtenir un exemplaire dactylographié au cours d’une entrevue avec Isabel Macmillan Latta, de Vancouver, petite-fille d’Ewen.  [h. k. r.]

C.-B., Ministry of Finance and Corporate Relations, Registrar of companies (Victoria), Company files (mfm aux BCARS).— British Columbian, 1864–1869, 1878–1893, 1900, 1907.— Daily Colonist (Victoria), 1864–1872.— Mainland Guardian (New Westminster, C.-B.), 1869–1889.— Truth (New Westminster), 1889–1890, publié par la suite sous le titre Morning Ledger, 1891.— Victoria Daily Standard, 1870–1872.— The development of the Pacific salmon-canning industry : a grown man’s game, Dianne Newell, édit. (Montréal et Kingston, Ontario, 1989).— R. E. Gosnell, A history of British Columbia (s.l., 1906).— Kerr, Biog. dict. of British Columbians.— Cicely Lyons, Salmon : our heritage ; the story of a province and an industry (Vancouver, 1969).— H. K. Ralston, « John Sullivan Deas : a black entrepreneur in British Columbia salmon canning », BC Studies, n° 32 (hiver 1976–1977) : 64–78 ; « The 1900 strike of Fraser River sockeye salmon fishermen » (thèse de m.a., Univ. of B.C., Victoria, 1965) ; « Patterns of trade and investment on the Pacific coast, 18671892 : the case of the British Columbia salmon canning industry », BC Studies, n° 1 (hiver 1968–1969) : 37–45.— D. J. Reid, « Company mergers in the Fraser River salmon canning industry, 1885–1902 », CHR, 56 (1975) : 282–302 ; Development of the Fraser River salmon canning industry, 1885 to 1913 (Vancouver, 1973).— G. A. Rounsefell et G. B. Kelez, « The salmon and salmon fisheries of Swiftsure Bank, Puget Sound, and the Fraser River », Bull. n° 27 (1938), dans É.-U., Dept. of Commerce, Bureau of Fisheries, Bull. (Washington), 48 (1933–1938) : 693–823.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

H. Keith Ralston, « EWEN, ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ewen_alexander_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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