EDA’NSA (Edensa, Edensaw, Edenshaw, Edinsa, Edinso, Idinsaw, qui signifie « glace fondant d’un glacier », du mot tlingit pour « dépérissement » ; Gwai-Gu-unlthin, qui veut dire « l’homme qui repose sa tête sur une île » ; Captain Douglas ; baptisé Albert Edward Edenshaw), chef haïda, trafiquant et pilote, né vers 1810 à Gatlinskun Village, près du cap Ball dans l’île Graham, archipel de la Reine-Charlotte (Colombie-Britannique), fils de Duncan et de Ninasinlahelawas ; il épousa d’abord Ga’wu aw, veuve de son oncle le chef Edinsa, et ils eurent un fils, Ga’wu (appelé plus tard George Cowhoe), puis Amy, nièce de sa première femme, et de ce mariage naquit un fils, Henry Edenshaw ; décédé le 16 novembre 1894 à Masset, Colombie-Britannique.

L’homme qui allait devenir l’énigmatique et dynamique leader autochtone Eda’nsa reçut le nom de Gwai-Gu-unlthin à sa naissance. Selon la légende, ses ancêtres seraient arrivés dans l’archipel de la Reine-Charlotte venant de la région de la rivière Stikine. Toute sa vie, il s’efforça de faire sienne une dignité de chef qui remontait au premier contact des Haïdas avec les Européens. Il déclara en 1878 que son titre héréditaire venait du chef Blakow-Coneehaw. Celui-ci avait rencontré le capitaine William Douglas en 1788 et avait changé de nom avec lui afin de conclure une alliance commerciale. C’est pourquoi Eda’nsa se désignait lui aussi comme Captain Douglas. On rapporte qu’il prétendait être lié par le nom, et même apparenté, au gouverneur James Douglas*. Par ses ancêtres, il venait au troisième rang pour le titre de chef du clan de l’Aigle de la lignée des Sta Stas Shongalth ; par succession matrilinéaire, ce titre passa de son oncle Edinsa à son cousin Yatza, avant de lui être attribué en 1841.

Dorénavant il portait le nom d’Eda’nsa et il se mit en devoir, comme c’était la coutume, d’affirmer son identité. Les Sta Stas menés par Eda’nsa étaient l’une des trois lignées apparentées qui rivalisaient pour la domination de Kiusta, l’ancien village de l’Aigle dans l’île Graham. Les deux autres étaient les Sta Stas originaires du village de Hiellen, et les Q’awas, dont le chef Itine était chef de village. La tradition orale indique qu’à la mort d’Itine, au début des années 1840, Eda’nsa se prévalut de sa dignité de chef de la lignée la plus ancienne. Il s’installa à Kiusta avec son peuple, construisit l’immense Story House et démontra par un potlatch qu’il méritait le titre de chef de village. Kiusta passa aux Sta Stas et Eda’nsa s’en proclama le « chef légitime ». Tous les hommes de « haut rang » étaient formés dès l’enfance à agir de la sorte, mais Eda’nsa semblait particulièrement avide de devenir, comme il prétendit l’être plus tard, « le plus grand chef de tous les Haïdas ». Toutefois, la méthode qu’il employa pour y arriver ne suscita pas l’admiration unanime de son peuple.

Eda’nsa participa au trafic côtier des esclaves que les autochtones se procuraient parmi les peuplades voisines à l’occasion de razzias ou par le troc. En 1850, il possédait 12 esclaves et il en reçut 10 autres de son beau-père quand il épousa Ga’wu aw, une Haïda de haut rang qui avait environ 15 ans de plus que lui et venait de Kaigani (Alaska). Eda’nsa visait probablement, par ce mariage, à accroître son pouvoir, sa richesse et son prestige. Lorsque des officiers de la marine royale le rencontrèrent au début des années 1850, sa position de prestige et son influence ne faisaient aucun doute.

En septembre 1852, on engagea Eda’nsa à titre de pilote du schooner Susan Sturgis qui, sous le commandement de Matthew Rooney, servait au commerce dans les îles de la Reine-Charlotte. Comme Eda’nsa connaissait à fond les eaux de l’archipel, il était constamment demandé par les capitaines en visite. Les navires qui frayaient dans ces eaux devaient se méfier non seulement des périls de la navigation, mais aussi des Haïdas, qui avaient la réputation de piller les navires en difficulté. Le Susan Sturgis quitta Skidegate, sur la côte sud-est de l’île Graham, pour se rendre à Kung, village situé sur le détroit qui mène à Naden Harbour, dans l’île Graham, où Eda’nsa allait s’installer. Près de Rose Spit, quelques Massets menés par le chef Weah abordèrent le schooner, capturèrent les Blancs, pillèrent le coffre-fort et mirent le feu au navire. Des témoignages recueillis auprès des Indiens au cours de l’enquête qu’effectua par la suite la marine royale laissent croire qu’Eda’nsa avait informé Weah du manque de moyens de défense du schooner. Le capitaine Augustus Leopold Kuper, du Thetis, était convaincu qu’Eda’nsa avait « partagé le butin ». Cependant, on ne put jamais prouver sa complicité, et le chef prétendit avoir en fait empêché le massacre des Blancs. Ces derniers furent relâchés après que l’agent principal de la Hudson’s Bay Company, John Work*, eut versé une rançon.

Le capitaine Wallace Houstoun, du Trincomalee, considérait Eda’nsa comme « un homme de grande influence dans la région et digne d’être traité avec une haute considération ». Le capitaine James Charles Prévost, du Virago, navire sur lequel on avait détenu le chef pour interrogatoire, pensait qu’il était « décidément l’Indien le plus évolué qu’[il ait] rencontré sur la côte : vif, rusé, ambitieux, astucieux et, par-dessus tout, empressé de faire bonne impression sur les Blancs ». C’est William Henry Hills, le commissaire du Virago, qui traça le meilleur portrait d’Eda’nsa : « Il aurait fait un Pierre le Grand, ou un Napoléon, avec les mêmes occasions [...] Il a beaucoup de bon sens et de jugement, [est] très vif, et subtil et rusé comme le serpent [...] Il est ambitieux et remue ciel et terre pour accroître son pouvoir et ses biens. » Hills a aussi noté qu’Eda’nsa parlait « un anglais très intelligible ». Il mesurait « environ 5 pieds 7 pouces, [avait] le teint un peu jaunâtre, les yeux noisette, plutôt petits, et les traits [caractéristiques de sa race]. Des épaules carrées et hautes sur un corps sec et nerveux. Il port[ait] les cheveux à l’européenne, et à chaque rencontre il était toujours vêtu proprement. »

Désireux de faire plus de commerce, surtout avec les navires qui fréquentaient les côtes de l’Alaska et du nord de la Colombie-Britannique, Eda’nsa avait bâti deux villages : Kung, ou « village de rêve », établi probablement en 1853 (abandonné en 1884), et Yatza, fondé vers 1870 sur la côte nord de l’île Graham. Plus exposé que le premier, cet emplacement était cependant mieux situé pour le commerce, et Eda’nsa s’y établit avant d’aller se fixer à Masset, probablement dans les années 1870 ou 1880. Au cours de cette période, les Haïdas, décimés par la variole et d’autres maladies (leur nombre, évalué à 6 000 à la fin des années 1830, était d’environ 900 en 1880), désertèrent vite les petits villages pour Masset et Skidegate ; ils y étaient attirés par les activités des missionnaires (des anglicans à Masset, et des méthodistes à Skidegate).

Vers la fin de sa vie, Eda’nsa disputa au chef Weah la prééminence à Masset. Les deux chefs, baptisés par le ministre anglican Charles Harrison en 1884, furent parmi les premiers Haïdas à devenir chrétiens. Eda’nsa prit les prénoms d’Albert Edward, en l’honneur du prince de Galles ; et c’est l’évêque William Ridley qui le confirma. À partir de ce moment, les renseignements sur Eda’nsa deviennent fragmentaires. On retrouve des allusions à son sujet dans les écrits anthropologiques de James Gilchrist Swan, qui l’engagea à titre de guide et de pilote en 1883. Newton Henry Chittenden, membre d’une expédition d’exploration de la Colombie-Britannique, le rencontra en 1884 et rapporta : « Il a succédé aux chefs des diverses parties du clan l’un après l’autre, grâce à l’érection de mâts sculptés en leur mémoire, de festins plantureux et de généreux potlatchs à l’intention de leurs sujets, si bien qu’il est maintenant reconnu comme leur plus grand chef. » Eda’nsa mourut en 1894, quatre ans après son fils George Cowhoe, premier instituteur autochtone des îles de la Reine-Charlotte. Ses titres passèrent à un neveu, Tahayghen (baptisé Charlie Edenshaw*), artiste haïda renommé.

On peut douter qu’Eda’nsa ait effectivement été le plus grand des chefs haïdas, mais il voulait certainement le devenir, et il déclara à des Blancs crédules qu’il l’était. Il vécut à l’ère de la colonisation et à une époque où la maladie sévissait chez les Haïdas ; il s’efforça, malgré les profondes transformations sociales et économiques qu’avait subies son peuple, de maintenir et d’améliorer sa position. Ses réalisations illustrent la grande adaptabilité des Haïdas au changement. Eda’nsa mérite qu’on le considère comme un homme énergique et puissant, déterminé par des forces intérieures, peut-être même par ses insécurités, à établir sa propre grandeur dans le cadre social haïda, sans jamais perdre de vue, semble-t-il, l’influence et l’avantage commercial des Blancs.

Barry Morton Gough

Le Musée national du Canada (Ottawa) possède une photographie représentant Eda’nsa, négatif 266, qui est reproduite dans B. M. Gough, Gunboat frontier (cité plus bas), planche 16.

AN, MG 24, F40.— Mitchell Library (Sydney, Australie), mss 1436/1 (W. H. Hills, « Journal on board H.M.S. Portland and H.M.S. Virago, 8 Aug. 1852–8 July 1853 ») (mfm à la Univ. of B. C. Library, Special Coll., Vancouver).— PABC, G. B., Admiralty corr., I, Merivale à l’amirauté, 13 mai 1852 ; Stafford à Moresby, 24 juin 1852 ; Add. mss 757 ; Add. mss 805 ; OA/20.5/T731H.— PRO, ADM 1/5630, particulièrement J. C. Prevost, rapport à Fairfax Moresby, 23 juill. 1853, inclus dans Moresby au secrétaire de l’amirauté, 13 oct. 1853.— N. H. Chittenden, Exploration of the Queen Charlotte Islands (Victoria, 1884 ; réimpr., Vancouver, 1984).— G. M. Dawson, Report on the Queen Charlotte Islands, 1878 (Montréal, 1880), app. A.— « Four letters relating to the cruise of the Thetis, 1852–1853 », W. K. Lamb, édit., BCHQ, 6 (1942) : 200–203.— [J. C. Prevost], « Account of the plunder of the Susan Sturgis, American schooner, burnt at Queen Charlotte Islands », Nautical Magazine and Naval Chronicle (Londres), 23 (1854) : 209–212.— J. G. Swan, The northwest coast ; or, three years’ residence in Washington Territory (New York, 1857).— Walbran, B.C. coast names, 162–163.— M. B. Blackman, During my time : Florence Edenshaw Davidson, a Haida woman (Seattle, Wash., et Londres, 1982) ; Window on the past : the photographic ethnohistory of the northern and Kaigani Haida (Musée national de l’homme, Mercury ser., Canadian Ethnology Service paper no 74, Ottawa, 1981).— J. H. van den Brink, The Haida Indians : cultural change mainly between 1876–1970 (Leiden, Pays-Bas, 1974).— Douglas Cole, Captured heritage : the scramble for northwest coast artifacts (Vancouver et Toronto, 1985).— W. H. Collison, In the wake of the war canoe [...] (Londres, 1915).— K. E. Dalzell, The Queen Charlotte Islands, 1774–1966 (Terrace, C.-B., 1968) ; The Queen Charlotte Islands, book 2, of places and names (Prince Rupert, C.-B., 1973).— R. [A.] Fisher, Contact and conflict : Indian-European relations in British Columbia, 1774–1890 (Vancouver, 1977).— B. M. Gough, Gunboat frontier : British maritime authority and northwest coast Indians, 1846–1890 (Vancouver, 1984) ; « Haida-European encounter, 1774–1900 : the Queen Charlotte Islands », Outer shores, Nicolas Gessler, édit. (à venir).— Charles Harrison, Ancient warriors of the north Pacific : the Haidas, their laws, customs and legends, with some historical account of the Queen Charlotte Islands (Londres, 1925).— M. L. Stearns, Haida culture in custody : the Masset band (Seattle, 1981) ; « Succession to chiefship in Haida society », The Tsimshian and their neighbors of the north Pacific coast, Jay Miller et C. M. Eastman, édit. (Seattle et Londres, 1984), 190–219.— J. R. Swanton, Contributions to the ethnology of the Haida (Leiden et New York, 1905 ; réimpr., New York, [1975]).— B. M. Gough, « New light on Haida chiefship : the case of Edenshaw, 1850–1853 », Ethnohistory (Lubbock, Tex.), 29 (1982) : 131–139 ; « The records of the Royal Navy’s Pacific Station », Journal of Pacific Hist. (Canberra, Australie), 5 (1969) : 146–153.

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Barry Morton Gough, « EDA’NSA (Edensa, Edensaw, Edenshaw, Edinsa, Edinso, Idinsaw, Gwai-Gu-unlthin, Captain Douglas) (baptisé Albert Edward Edenshaw) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/eda_nsa_12F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    1 décembre 2024