DUCHARME, JEAN-MARIE, trafiquant de fourrures et homme politique, né le 19 juillet 1723 à Lachine (Québec), fils de Joseph Ducharme et de Thérèse Trottier ; le 3 août 1761, il épousa à Lachine Marie–Angélique Roy, dit Portelance, puis le 3 février 1789, au même endroit, Françoise Demers, dit Dumé ; décédé le 20 juillet 1807 dans sa ville natale.

Jean–Marie Ducharme naquit au point d’embarquement des canots à destination de l’Ouest ; son père, qui était fermier, s’occupa aussi de la traite des fourrures. On n’est pas fixé sur le moment où Jean–Marie se tourna lui–même vers la traite, mais dans les années 1750 on le disait « habile voyageur ». La plus ancienne pièce officielle relative à son activité commerciale remonte à 1752, année où il envoya un canot de marchandises au pays des Illinois. Toutefois, comme le révèle la suite de sa carrière, il ne portait guère attention aux formalités, comme d’obtenir un permis, par exemple, et il est bien possible qu’il ait déjà été engagé depuis quelque temps dans cette carrière. Quand les trafiquants de la Pennsylvanie pénétrèrent dans la vallée de l’Ohio, Ange Duquesne* de Menneville, gouverneur de la Nouvelle–France, lança une expédition militaire qu’il chargea d’occuper le haut de la rivière. Ducharme apporta son concours au parti de Claude–Pierre Pécaudy* de Contrecœur à titre de courrier en 1754, et, en 1755, il prit part à la construction du fort Duquesne (Pittsburgh, Pennsylvanie). Au cours de l’automne de 1755, il dirigea un groupe d’hommes qui, du pays des Illinois, ravitaillaient le fort. Ducharme retourna ensuite à la traite ; en 1757, il envoyait un canot aux Illinois.

À l’hiver de 1762–1763, Ducharme avait transporté son activité dans le voisinage de La Baye (Green Bay, Wisconsin) et s’adaptait à la présence des marchands britanniques, établis dans la région à la suite de la conquête de la Nouvelle–France. Quand survint le soulèvement des Indiens dans la région des Grands Lacs, en 1763 [V. Madjeckewiss], les autorités militaires britanniques interdirent immédiatement le transport à l’intérieur de poudre à fusil et de munitions. Désireux de faire des profits même en défiant la loi, Ducharme, avec plusieurs canots de munitions, remonta la rivière des Outaouais et poursuivit sa route jusqu’à Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan) et La Baye, en août. On répandait parmi les Indiens de la région des histoires voulant que la France eût envoyé des troupes pour reconquérir le Canada ; Ducharme tenta de couper court à semblables rumeurs. Les marchands britanniques de Montréal se scandalisèrent, cependant, de son profitable voyage. À son retour à Lachine, en octobre 1764, ils adressèrent une requête au lieutenant-gouverneur Ralph Burton*, demandant qu’il fût arrêté. Échappant à un détachement de soldats envoyés à cette fin, Ducharme s’enfuit. Les soldats saisirent ses fourrures, cachées dans la cave d’un voisin, et trouvèrent ses quatre canots dans un verger. Appréhendé quelque temps après, il fut condamné et emprisonné à Montréal ; grâce à l’intervention du gouverneur Murray*, il se vit cependant infliger une peine relativement légère. Bien des années après, le responsable du département des Affaires indiennes, Christian Daniel Claus*, n’avait pas encore digéré cette affaire.

Au retour de la paix sur les Grands Lacs, Ducharme se tourna une fois de plus vers le pays des Illinois, comme l’indiquent ses permis de traite de 1769 et de 1772. Il fit de Cahokia (Illinois) le centre de son activité ; mais, du côté ouest, au delà du Mississippi, s’étendaient de riches terres, aux mains des Espagnols, qui en excluaient tout trafiquant étranger. Tenté par les alléchantes possibilités d’un commerce avec la tribu des Petits Osages le long du Missouri, Ducharme, à la faveur des ténèbres, conduisit deux canots chargés de marchandises dans ce territoire, en octobre ou novembre 1772. Quand elles apprirent sa présence, les autorités espagnoles de Saint–Louis (St Louis, Missouri) furent consternées. Les Petits Osages leur avaient causé des difficultés particulières, et tout commerce avec eux avait été interdit. Un détachement espagnol, commandé par Pierre de Laclède Liguest, fut dépêché en février 1773 pour appréhender les intrus. Il les rencontra le 11 mars et tenta d’obtenir qu’ils se rendissent sans opposition. Ducharme refusa et provoqua un échange de coups de feu au cours duquel il fut blessé à la cuisse. Il riposta à coups de fusil et s’enfuit avec son serviteur iroquois. Son équipage capitula ; ses canots, ses fourrures et ses marchandises furent confisqués et apportés à Saint–Louis. L’affaire fut vite connue à l’Est, où elle fit beaucoup parler.

Ducharme retourna à Montréal et, nullement ébranlé par son aventure, il y obtint, le 13 mai 1773, un permis de traite à La Baye ou au Mississippi. Les deux années suivantes, il poursuivit son activité commerciale ; il s’approvisionnait presque entièrement chez Jean–Louis Besnard*, dit Carignant, à Montréal.

La Révolution américaine ne nuisit pas, au début, à la traite. Toutefois, alors que Ducharme passait l’hiver de 1775–1776 avec sa famille à Lachine, l’armée de Richard Montgomery* s’empara de Montréal. Tout en restant neutre, Ducharme vendit des approvisionnements aux Américains ; et, bien qu’il eût aidé par la suite à chasser les envahisseurs, il fut emprisonné par les autorités britanniques pour avoir fourni des vivres à l’ennemi.

En 1777, Ducharme, une fois de plus, avait repris son commerce avec les Indiens ; l’année suivante, il conduisit deux canots à Prairie du Chien (Wisconsin). Vers la même époque, il se heurta probablement de nouveau aux autorités espagnoles. Son fils Paul rappelait que son père avait été emprisonné par les Espagnols, au cours de 1778 ou de 1779, et menacé d’exécution. Ce n’est qu’en prouvant qu’il avait payé à des Indiens la rançon de prisonniers espagnols qu’il obtint d’être relâché. En 1779, les succès américains contre les troupes de Henry Hamilton*, à Vincennes (Indiana), provoquèrent de graves inquiétudes parmi les trafiquants de Michillimakinac. Aussi 32 d’entre eux, dont le cousin de Ducharme, Laurent*, mirent–ils leurs ressources en commun, le 1er juillet 1779, pour former un magasin général, qui serait géré dans l’intérêt de tous et chacun. Jean–Marie Ducharme était l’un des principaux associés : sa contribution consistait en deux chargements de canot, évalués à 30 000# au total. Il fut aussi nommé l’un des directeurs de l’entreprise. À ce moment, son lieu de résidence inscrit était « le Mississippi ».

Au cours de l’hiver de 1779–1780, Patrick Sinclair, lieutenant–gouverneur de Michillimakinac, reçut du secrétaire d’État aux Colonies américaines une lettre circulaire qui l’encourageait à prendre l’offensive contre les Espagnols. L’Espagne avait depuis peu déclaré la guerre à la Grande–Bretagne ; en promettant un monopole aux trafiquants qui contribueraient à la conquête du territoire espagnol le long du Mississippi, Sinclair leva une expédition de trafiquants et d’Indiens en vue d’une attaque contre Saint–Louis. Ducharme en devint l’un des chefs. Pendant que Joseph Calvé conduisait lui aussi une troupe aux mêmes fins, le groupe de Ducharme traversa la rivière et attaqua Cahokia, qui s’était rendu aux Américains en 1778. Bien qu’il fût tout à fait familier des lieux, Ducharme fut repoussé avec ses hommes ; l’assaut contre Saint–Louis connut le même sort. Sinclair, furieux de l’échec de l’expédition, accusa Calvé et Ducharme de trahison. Ducharme fut particulièrement critiqué pour avoir laissé échapper deux prisonniers français. Le gouverneur Haldimand donna à Sinclair la permission d’arrêter Ducharme et de l’envoyer à Montréal ; mais Sinclair avait dû se calmer et se rendre compte que ses accusations ne pouvaient être prouvées. Une couple d’années après, Ducharme eut un autre accrochage avec ce dernier, qui l’accusa de trafiquer sans permis et lui imposa une amende consistant en 22 500 livres de foin.

Quelque temps après cet incident, le vieux trafiquant se retira apparemment à sa ferme de Lachine. Les cheveux blancs et quasi aveugle, Jean–Marie Ducharme marchait droit encore et était assez alerte pour représenter Montréal à la chambre d’Assemblée, de 1796 à 1800. Il mourut à Lachine, le lendemain de son 84e anniversaire de naissance. Plusieurs fils lui survivaient, dont Dominique*, qui allait se distinguer pendant la guerre de 1812.

David A. Armour

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David A. Armour, « DUCHARME, JEAN-MARIE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ducharme_jean_marie_5F.html.

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Auteur de l'article:    David A. Armour
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
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