DRUÉ, JUCONDE, récollet, peintre et architecte-dessinateur, né à Paris en 1664, décédé après 1726, peut-être à Paris vers 1739. Entra chez les Récollets en 1683.

Drué s’est surtout rendu célèbre en Nouvelle-France pour avoir mis en vogue un style d’église et d’ornementation intérieure dit « à la récollette », ainsi nommé d’après l’ordre religieux qui, le premier, l’adopta pour ses chapelles. Ce style avait été introduit en Nouvelle-France par l’architecte-peintre Claude François*, connu sous le nom de frère Luc. L’église dont le frère Luc dessina les plans pour le compte des Récollets durant son séjour à Québec, soit du mois d’août 1670 au mois de novembre 1671, se modelait sur celle des Récollets de Paris, devenue aujourd’hui l’hôpital militaire Villemin, situé en face de la gare de l’Est. En 1692, l’église de Québec fut vendue à l’évêque d’alors, Mgr de Saint-Vallier [La Croix], pour servir d’Hôpital Général. Les Récollets acquirent une autre propriété près du château Saint-Louis ; ils y construisirent, en 1693, une nouvelle église et un monastère, d’après les plans de Juconde Drué.

Avant de venir au Canada, en 1692 probablement, Drué avait étudié la peinture et le dessin architectural au monastère des Récollets de Paris, où vivait le frère Luc. En traçant les plans de l’église des Récollets de Québec, en 1693, Drué se conforma à l’enseignement de son maître. De plus, il transporta dans ce bâtiment toutes les sculptures sur bois qui décoraient l’intérieur de l’ancienne chapelle des Récollets bâtie par le frère Luc, comme le lui permettait le contrat de vente de cette chapelle à Mgr de Saint-Vallier. Cette première construction de Drué à Québec fut endommagée lors du siège de la ville en 1759, puis détruite par le feu en 1796, mais son apparence, tant intérieure qu’extérieure, nous est bien connue grâce aux dessins qu’en fit Richard Short* et qu’il publia en 1761.

L’église présentait la forme d’un long rectangle, à nef unique et à plafond en anse de panier ; à chaque extrémité du mur de fond était placé un autel latéral, entre deux colonnes détachées, reposant sur un piédestal et surmontées d’un entablement. Ces deux colonnes encadraient une profonde alcôve dont les murs soutenaient un haut clocher terminé en flèche. Appuyé au mur de fond se trouvait le maître-autel, réplique des autels latéraux, mais encadré de doubles colonnes soutenant un fronton de forme elliptique, ce qui produisait l’effet d’un arc de triomphe. Ce style architectural ne tarda pas à devenir populaire et par la suite fut très souvent imité dans la colonie. Drué contribua lui-même à populariser ce modèle en le répétant dans plusieurs de ses oeuvres. On lui attribua les plans de la troisième église érigée à Sainte-Anne de Beaupré (dont la reconstruction fut commencée en 1689 et la décoration intérieure, à compter de 1694), de même que la construction du petit hermitage ou chapelle Saint-Roch, érige en 1694 par les Récollets sur la rive gauche de la rivière Saint-Charles. C’est apparemment lui qui, en 1706, aurait aussi tracé les plans de l’église des Récollets de Montréal (que Pierre Janson, dit Lapalme s’était engagé par contrat à terminer en 1712), ainsi que ceux des églises de Saint-Joseph (1721) et de Saint-Nicolas, sur la côte de Lauson (commencée en 1721 et terminée en 1728). Aucun de ces cinq édifices ne subsiste. M. Gérard Morisset a aussi attribué à Drué les plans de la troisième église paroissiale de Trois-Rivières, construite de 1710 à 1713. Cette église était située dans une zone où les Récollets exerçaient depuis toujours une forte influence. La décoration intérieure, entreprise en 1730, fut confiée à Augustin Quintal*, élève de Drué et son successeur comme premier architecte des Récollets. L’interieur de cette église, abondamment sculpté par Gilles Bolvin*, demeura un des plus riches exemples de l’art au Québec, jusqu’à sa destruction dans un incendie en 1908. Ce fut le premier de la très remarquable série d’intérieurs d’églises conjointement créés par Quintal et Bolvin, qui suivirent l’exemple de Drué et s’appliquèrent à développer son style.

Plusieurs autres réalisations illustrent bien l’influence exercée par Drué sur l’architecture religieuse au cours du régime français : l’église de l’Ange-Gardien élevée en 1675 et 1676, dont la décoration intérieure fut commencée après 1694, du temps de Louis-Gaspard Dufournel*, et que le feu a détruite en 1931 ; la redécoration de la chapelle de l’Hôpital Général commencée en 1697, considérablement modifiée par la suite, mais qui existe encore ; la deuxième église de Pointe-aux-Trembles, près de Montréal, commencée en 1705, terminée en 1709, dont Pierre-Noël Levasseur* entreprit la décoration en 1726, et qui fut détruite en 1937 ; la première église de Yamachiche dont les plans furent probablement tracés au début de 1730, par Augustin Quintal, successeur de Drué ; la chapelle des Ursulines de Québec entreprise en 1720, terminée en 1722, décorée entre 1734 et 1739 par les frères Levasseur, modifiée en 1902, et qui existe toujours. Après 1763, le style dit « à la récollette » fut sévèrement critiqué par l’évêque, Mgr Briand*. Malgré cette censure, l’exemple et l’influence de Drué persistèrent jusqu’au xixe siècle où les modèles d’églises conçus par Thomas Baillairgé* firent revivre ce style avec éclat et le rendirent classique.

Chose certaine, les contemporains de Drué reconnurent ses dons artistiques ; ainsi en 1700 le Conseil souverain le désigna comme arbitre estimateur lors d’un litige entre Denis Mallet et les Jésuites. Toutefois, Drué ne considérait sa carrière artistique que comme une part minime de son activité. Il consacrait la majeure partie de son temps à ses devoirs de missionnaire et d’ecclésiastique. En 1692, il est fait mention de lui comme d’un « prestre missionnaire » attaché à la paroisse Notre-Dame-des-Anges, à Québec, et nous le retrouvons l’année suivante à Saint-Augustin de Portneuf. De 1693 à 1698, il interrompit son ministère à ces endroits pour devenir premier aumônier de l’Hôpital Général de Québec. En 1700, Drué reprit sa tâche missionnaire, ce qui le conduisit successivement à Charlesbourg en 1700, à l’Ancienne-Lorette en 1701, à Sainte-Anne de la Pérade en 1718, à Saint-Antoine de Tilly en 1719 et 1720, à Saint-Joseph de Chambly en 1721, 1723 et 1724 et à la Pointe-à-la-Chevelure de 1721 à 1723. Nous le retrouvons à Montréal, en juillet 1726 – c’est la dernière fois qu’il est fait mention de lui au Canada.

Alan Gowans

AJQ, Greffe de François Genaple, 17 sept. 1692, 10 janv. 1693.— AAQ, Registres d’insinuation A, 419.— Archives des Franciscains de Québec, Dossier Juconde Drué.— Charlevoix, Histoire de la N.-F., III : 74s.— Jug. et délib., IV : 487, 495 ; V : 211.— Richard Short, Twelve views of the principal buildings in Québec (Londres, 1761).— Caron, Prêtres séculiers et religieux, BRH, XLVII (1941) : 290.— R.-É. Casgrain, Histoire de la paroisse de l’Ange-Gardien (Québec, 1902).— J.-C. Gamache, Histoire de Saint-Roch de Québec et de ses institutions (Québec, 1929), 24s.— Gosselin, L’Église du Canada, I.— Alan Gowans, Church architecture in New France (Toronto, 1955).— Jouve, Les Franciscains et le Canada : aux Trois-Rivières ; Les frères mineurs à Québec, 1615–1905 (Québec, 1906), 80s.— Monseigneur de Saint-Vallier et l’Hôpital Général de Québec.— G. Morisset, Coup d’œil sur les arts en Nouvelle-France (Québec, 1941).— J.-E. Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon (5 vol., Lévis, 1897–1904), II : 96s.— P.-G. Roy, Les vieilles églises de la province de Québec, 1647–1800 (Québec, 1925) ; À travers l’histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec (Lévis, 1939).— Ramsay Traquair, The old architecture of Québec (Toronto, 1947).— G. Morisset, Thomas Baillargé, Technique (Québec), XXIV (1949) : 471.

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Alan Gowans, « DRUÉ, JUCONDE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/drue_juconde_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
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