DRAKE, sir BERNARD, commandant d’une expédition anglaise à Terre-Neuve, né vers 1537, mort le 10 avril 1586.

Ayant succédé à son père en 1558 comme chef de la famille Drake d’Ashe, à Musbury, dans le Devonshire, il s’occupa de consolider ses domaines et participa aux affaires municipales. Cousin germain de Sir Richard Grenville, il était peut être aussi un parent éloigné de Sir Francis Drake. Il épousa Gertrude Fortescue, qui lui donna plusieurs enfants.

Bernard fut tout d’abord attiré dans les entreprises d’Amérique par Sir Humphrey Gilbert en 1582 et il s’engagea à diriger un groupe d’aventuriers qui devait aller s’établir dans la partie de l’Amérique du Nord que Gilbert lui avait vendue sur le papier. Mais autant que l’on sache, il ne participa à aucune entreprise d’outremer avant 1585 ; il consentit alors à prendre part à une expédition de plantation entreprise par Sir Walter Raleigh pour coloniser la Virginie. Il devait conduire une seconde escadre à travers les Antilles (région riche en prises espagnoles) jusqu’à l’île Roanoke, aujourd’hui la Caroline du Nord, où Sir Richard Grenville, qui avait quitté Plymouth en avril, devait établir une colonie. Le vaisseau de Drake, dont était copropriétaire Amyas Preston – gentilhomme de Cricket, dans le Somerset, qui devait devenir par la suite un célèbre corsaire et commander des vaisseaux de la Marine royale –, s’appelait le Golden Riall ; il s’agissait d’un navire de 110 tonnes attaché au port de Topsham, où Bernard Drake avait une maison. Ce navire était accompagné du Job, vaisseau de 70 tonnes appartenant à Sir Walter Raleigh et commandé par le capitaine Andrew Fulford, et aussi, semble-t-il, d’un bateau (peut-être la pinasse Good Companion) commandé par Hugh Drake. Il y en avait d’autres parmi les « divers bons navires sous son commandement » que Richard Whitbourne aperçut à Terre-Neuve, peut-être un gros et deux plus petits au sujet desquels nous ne possédons aucun renseignement.

Le 26 mai, les Espagnols mettaient l’embargo, dans le port de Bilbao comme d’ailleurs dans tous les autres ports de la péninsule, sur les navires anglais qui s’y trouvaient. Le Primrose réussit à se dégager et à aller annoncer cette nouvelle à Londres. On décida de lâcher un grand nombre de corsaires, comme mesure de représailles, et de chercher à prévenir la prise d’autres navires marchands en Espagne. Le 10 juin, Raleigh était autorisé à réquisitionner des vaisseaux pour aller à Terre-Neuve afin d’y avertir les navires de pêche anglais qu’ils ne devaient pas transporter de poisson directement en Espagne ou au Portugal (le commerce triangulaire était déjà bien établi) et d’y saisir tous navires appartenant à des sujets du roi d’Espagne. Carew Raleigh et Bernard Drake reçurent, le 20 juin, le mandat de diriger de telles expéditions et, vers le 27 juin, on ordonnait à Drake d’abandonner son voyage en Virginie et de se rendre plutôt à Terre-Neuve ; selon toute apparence, Carew Raleigh ne quitta pas l’Angleterre.

Drake partit probablement au début de juillet et atteignit Terre-Neuve vers la fin du mois ; nous ignorons, cependant, les dates précises du départ et de l’arrivée. En cours de route, le Golden Riall, accompagné peut-être de sa pinasse, mit le cap assez au Sud pour capturer un riche vaisseau de commerce brésilien chargé de sucre. Cette précieuse prise portugaise fut confiée à Amyas Preston et ramenée en Angleterre où elle arriva sans encombre à Exmouth, pendant que Bernard Drake poursuivait sa route. Faute d’un récit du voyage, nous ignorons de quelle façon, exactement, Drake reprit contact avec ses autres navires, mais il est probable qu’il ne les retrouva qu’au rendez-vous de Saint-Jean, sans doute le premier port d’escale prévu à l’itinéraire de cette double mission. Ce serait donc là que Whitbourne l’aurait vu. Après avoir mis en garde les capitaines des vaisseaux de pêche anglais et s’être emparé des bateaux ennemis qui se trouvaient à Saint-Jean, il répartit probablement son escadre en groupes plus maniables qu’il chargea de se rendre dans les autres havres fréquentés par des pêcheurs anglais.

Bien que cet épisode soit ordinairement qualifié de saisie de la flotte de pêche espagnole, Drake ne rencontra là que quelques rares bateaux de pêche. Le contraire eût été surprenant, puisque les Espagnols fréquentaient plutôt les côtes sud-ouest et ouest de Terre-Neuve et que les Portugais partageaient des havres avec les Anglais dans les parties sud-est et est de l’île et avaient déjà, en 1582, été victimes de représailles que ceux-ci avaient exercées contre les Espagnols, à la suite de la conquête du Portugal par l’Espagne en 1580 [V. Clarke]. Drake lui-même partit sur le Golden Riall en direction sud, atteignant Bay Bulls (la baie des Taureaux) où il rencontra George Raymond, qui commandait le Red Lion, navire de Chichester, jaugeant 100 tonneaux. Raymond était de Chichester, dans le Sussex ; il avait accompagné Grenville en Virginie au mois d’avril et avait mis son contingent de colons à terre sur les bancs extérieurs de la Caroline en juin, avant de remonter à Terre-Neuve, où vraisemblablement il était à la recherche de prises portugaises. Drake se joignit à lui et ils firent ensemble de nouvelles captures.

Laissant les navires de conserve et les prises rentrer en Angleterre par leurs propres moyens, les deux commandants voguèrent vers les Açores où ils firent de nouvelles prises intéressantes, dont un retardataire de la flotte antillaise de l’Espagne qui rentrait dans la métropole – ce navire transportait une certaine quantité de vin et d’ivoire, mais on ignore en quoi consistait surtout sa cargaison -, et non moins de trois navires de commerce portugais, tous chargés de sucre. Ils capturèrent en outre un navire de La Rochelle venu de la Guinée et transportant une petite quantité d’or. (Conduite en Angleterre, cette prise fut rendue par la suite à ses propriétaires, car il s’agissait peut-être d’un navire affrété pour le compte de marchands anglais.) Il n’existe pas d’inventaire précis des navires de pêche portugais alors capturés, mais il y avait 16 ou 17 vaisseaux en tout. Certains n’atteignirent pas l’Angleterre. Il est possible que de deux à sept d ; entre eux sombrèrent au cours d’une violente tempête, tandis que le Lion, vaisseau de Viana jaugeant 180 tonneaux et ayant à bord Thomas Raynsforde comme commandant de la prise, et le Job de Raleigh furent contraints de se réfugier dans des ports bretons où on les retint prisonniers. Raymond emmena un vaisseau de commerce brésilien à Chichester et conduisit aussi quelques vaisseaux de pêche dans ce même port et à Portsmouth ; les deux autres vaisseaux brésiliens et le navire espagnol suivirent la prise de Preston à Exmouth, tandis que, dès la mi-octobre, 600 pêcheurs portugais et leurs navires étaient disséminés dans les divers ports du Sud-Ouest.

La prise totale, soit 21 ou 22 vaisseaux, constituait une victoire importante pour les Anglais. Les navires brésiliens et antillais valaient au moins $10 000 et les bateaux de pêche peut-être autant, encore qu’on ait mentionné des valeurs atteignant jusqu’à $60 000 et que les marins se soient sans doute emparés clandestinement d’une bonne part du butin. L’affaire fut profitable, puisque le coût initial de l’expédition s’établissait à environ $3 500. Ne voulant perdre ni les recettes douanières ni la part du lord grand amiral, le gouvernement nomma dans le Devon, le Somerset et le Dorset des commissaires chargés d’évaluer les prises et de distribuer les recettes, accordant aux prisonniers une allocation de subsistance de 3d par jour jusqu’à leur rapatriement. Raleigh et Sir John Gilbert semblent avoir eu leur mot à dire dans le partage du butin, encore que les détails de cette répartition ne soient pas parvenus jusqu’à nous, si ce n’est que quatre ou cinq des prises les plus précieuses furent cédées à Bernard Drake et a son fils, bien qu’ils eussent déjà retenu la part d’Amyas Preston dans la prise qu’ils avaient eux-mêmes ramenée. Mais en fin de compte, le Privy Council obligea Sir John Gilbert à restituer cette part, en 1589, puisque c’était lui qui avait confié le navire aux Drake.

Bernard Drake fit emprisonner à Exeter les membres de l’équipage de l’un des navires portugais dirigés sur Dartmouth, probablement pour quelque acte criminel (la mutinerie, peut-être). Il ne leur accorda aucune allocation, et, n’eût été la charité des citoyens, ils seraient morts de faim pendant l’hiver. Il se rendit lui-même à Londres où, à Greenwich, le 9 janvier 1585/1586, la reine Élisabeth le créa chevalier en reconnaissance de ses succès. Les assises d’Exeter s’ouvrirent le 14 mars. Lorsque le juge en chef de la cour des Plaids communs, Sir Edmund Anderson, que son circuit avait amené dans cette ville, apprit le triste état des 38 prisonniers – ils étaient tous malades – il réprimanda les personnes responsables de leur sous-alimentation et Drake en particulier. Le président du tribunal était le baron Flowerdew. À ses côtés siégeaient des juges de paix de l’endroit dont Sir Bernard Drake. Lorsque les prisonniers se présentèrent à la barre, une odeur infecte envahit la salle d’audience ; on ne sache pas qu’aucune sentence ait été prononcée, mais à peine trois semaines plus tard le juge, 8 juges de paix et 11 des 12 jurés, ainsi que quelques fonctionnaires de la cour, étaient tous morts d’une infection que leur avaient communiquée les Portugais. Lorsqu’il se sentit atteint, Sir Bernard Drake voulut rentrer chez lui, mais, parvenu non sans peine à Crediton, il ne put aller plus loin ; il mourut le 10 avril et fut inhumé deux jours plus tard. Pendant plus d’un an, le Devonshire fut ravagé par ce qui semblait être une épidémie de typhus. Si cette épidémie n’eut pas d’autre cause que le raid sur Terre-Neuve – ce qui n’a d’ailleurs pas été établi –, ce raid coûta un grand nombre de vies humaines. Le fils aîné de Drake, John, hérita du domaine d’Ashe ainsi que des biens familiaux, nouveaux et anciens.

David B. Quinn

BM, Lansdowne MS 148, ff.127s.— PRO, H.C.A. 14/23, nos 164(a-b)–165 ; C.142/211/175 ; S.0.3, Ind. 6 800 S.P. 12/144, no 59 ; 12/179, nos 1–2 ; 12/183, no 13 12/185, no 60 ; 12/186, no 8 ; Acts of P.C., 1588–89, 383s. ; CSP, Spain, 1580–86, 535.— R. Holinshed, Chronicles, ed. H. Ellis (3rd ed., 6 vol., London, 1807–08), IV : 868s.— C. Creighton, History of epidemics in Britain (2 vol., Cambridge, 1891).— DNB (V. les articles concernant Sir Bernard Drake, Edward Flowerdew, Sir Amyas de Preston).— English privateering voyages to the West Indies, 1588–95, ed. K. R. Andrews (Hakluyt Soc., 2nd ser., CXI, 1959) [pour George Raymond et Amyas Preston].— Roanoke voyages (Quinn), I : 171–173, 234–242.— A. L. Rowse, The England of Elizabeth (London, 1950).— The visitations of the County of Devon, comprising the herald’s visitations of 1531, 1564 and 1620, ed. J. L. Vivian (Exeter, [1895]).— Voyages of Gilbert (Quinn), I : 61, 95 ; Il : 333.

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David B. Quinn, « DRAKE, sir BERNARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/drake_bernard_1F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
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