DENT, JOHN CHARLES, avocat, journaliste, auteur et historien, né le 8 novembre 1841 à Kendal, Angleterre, fils de John Dent et de Catherine Mawson ; le 17 octobre 1866, il épousa Elsie McIntosh, et ils eurent deux fils et trois filles ; décédé le 27 septembre 1888 à Toronto.

John Charles Dent était tout jeune lorsque sa famille émigra au Haut-Canada. Il fit son droit à Brantford, dans l’étude d’Edmund Burke Wood qui devint plus tard trésorier de l’Ontario et juge en chef du Manitoba. Dent fut admis au barreau en 1865, mais la pratique du droit lui déplut et il retourna en Angleterre où il embrassa la carrière de journaliste.

Dent apprit son nouveau métier en travaillant au Daily Telegraph de Londres. À cette époque, sous l’effet de l’élargissement du suffrage, du progrès de l’instruction et des changements technologiques, un certain nombre de journaux britanniques se transformèrent en organes d’information des masses, ce qui intéressa un public nouveau et plus nombreux et modifia le ton des reportages. Le Telegraph, qui avait été fondé en 1855 et tenait son nom de la nouvelle invention grâce à laquelle la transmission des nouvelles se faisait plus rapidement, était offert à un penny tandis que ses concurrents se vendaient quatre pence. À la recherche d’un large public, il fut l’un des premiers à se lancer dans ce « journalisme à sensation ». On rapporte également que Dent, en ce temps-là, fit paraître « une série d’articles sur des questions intéressantes » dans Once a Week, périodique peu exigeant du point de vue intellectuel qui s’adressait à la petite bourgeoisie. On ne peut pas identifier les articles de Dent, mais les ouvrages d’imagination qu’il écrivit par la suite étaient dans la même veine que ceux de cette revue. En 1867, il alla s’installer aux États-Unis et, plus tard, travailla, dit-on, au Globe de Boston. Fondé en 1872 pour être un « journal de premier rang dans le domaine du commerce et des affaires », le Globe versa dans la recherche du sensationnel parce qu’il était acculé à la faillite par la vive concurrence qui régnait à Boston.

En 1876, l’expérience acquise par Dent en qualité d’auteur populaire suscita l’intérêt de Goldwin Smith* qui était sur le point de lancer à Toronto l’Evening Telegram, journal dont le propriétaire allait être John Ross Robertson* et qui devait appuyer Edward Blake* et le parti libéral. Smith, dont ce fut la seule expérience dans le domaine du journalisme populaire, n’entendait pas diriger lui-même la rédaction du journal ; il se réserva néanmoins le droit de nommer le premier rédacteur en chef, et Dent fut désigné à ce poste. Le Telegram ne tarda pas à s’éloigner des convictions libérales de Smith et à adopter les engouements impérialistes et conservateurs de Robertson ; moins d’un an plus tard, Dent résigna ses fonctions pour devenir rédacteur en chef du Weekly Globe, journal à tendance réformiste. On ne sait trop s’il faut voir un lien entre ces deux faits, mais il est certain que Dent exprima plus tard des idées politiques plus rapprochées de celles du Globe et de son propriétaire, George Brown*, que de celles du Telegram. Dent quitta le Globe peu de temps après la mort de Brown, en 1880, et il commença alors à écrire pour son propre compte des ouvrages d’histoire populaire.

En moins d’un an, il entreprit deux œuvres considérables. La première, The Canadian portrait gallery, ouvrage en quatre volumes, contient de courtes biographies de 204 personnages importants de l’histoire du Canada. Certaines de ces biographies avaient été écrites auparavant pour le Weekly Globe et quelques-unes furent rédigées par des collaborateurs ; Dent écrivit lui-même 185 biographies, c’est-à-dire quelque 888 pages. En 1881, il commença également à publier The last forty years : Canada since the union of 1841, ouvrage qui, comme The Canadian portrait gallery, parut en feuilleton. Réparti en deux volumes et comprenant 735 pages, ce recueil demeura longtemps la meilleure chronique de l’époque publiée en langue anglaise.

Si Dent put accomplir un tel travail en si peu de temps, c’est qu’il reçut l’aide précieuse de sir Francis Hincks ; de l’avis de Dent, ce dernier avait une connaissance du passé d’une valeur inestimable puisqu’il était le seul survivant des grands hommes politiques des années 1840. Hincks, d’ailleurs, s’intéressait vivement à l’histoire et, en particulier, à son propre rôle et à celui des autres réformistes « baldwiniens ». En 1877, il avait fait paraître un petit ouvrage, The political history of Canada between 1840 and 1855 [...], et il était à rédiger une œuvre plus importante, Reminiscences of his public life, qui fut publiée en 1884. Fort tendancieux, ces deux livres avaient pour but de rectifier les erreurs commises par les historiens tant dans les faits que dans les interprétations, de dénoncer les idées des anciens adversaires politiques qu’il croyait erronées et de faire connaître sa propre vision du passé. À un certain moment, Hincks avait fait le projet d’aider Louis-Philippe Turcotte* à préparer une édition « corrigée » de son ouvrage, le Canada sous l’Union, 1841–1867, qui avait paru en 1871 et 1872 et qu’il voulait traduire lui-même en anglais. Mais Turcotte était décédé avant la réalisation de ce projet. Hincks voyait donc dans l’œuvre entreprise par Dent l’occasion attendue depuis longtemps. Le vieil homme fournit à Dent des détails précis sur certains événements, et il rédigea même, pour The Canadian portrait gallery, un article sur son ancien ennemi, sir Dominick Daly*. Sa contribution la plus importante, cependant, fut probablement d’avoir conçu le plan d’ensemble de The last forty years.

Donald Swainson, qui a fait une étude attentive de ce dernier ouvrage, note que les chapitres dans lesquels Dent traite des années 1840 paraissent être soigneusement documentés et bien agencés, tandis que son travail sur la période des années 1850 aux années 1870 ressemble à « une chronologie sommaire et bâclée de son époque ». Ce n’est pas une simple coïncidence, semble-t-il, si la partie la mieux rédigée de l’ouvrage correspond à la période durant laquelle le mentor de Dent était en politique et, plus particulièrement, à la période décrite par Hincks dans son œuvre intitulée The political history. Jusqu’aux années 1880 d’ailleurs, la plupart des historiens croyaient que le « gouvernement responsable » avait été obtenu non pas en 1848 (date qui, même au risque d’induire en erreur, fait présentement l’unanimité) mais en 1840, ce qui représentait l’opinion des anciens adversaires de Hincks, comme Egerton Ryerson, opinion que Hincks s’efforçait encore de discréditer. À cet égard, Dent emprunta à Hincks une conception « baldwinienne », qui fut la clef de voûte de son analyse des premières années de la politique canadienne. Comme Swainson le fait observer, il « était obsédé par la question du gouvernement responsable et, dans The Last Forty Years, il l’expose avec passion et lui consacre beaucoup d’espace. C’est la principale préoccupation de l’ouvrage. » À la vérité, la « lutte pour le gouvernement responsable » est plus qu’une simple préoccupation ; elle constitue le thème central qui donne à l’œuvre son unité, et parce que ce thème est absent des derniers chapitres, ceux-ci manquent de cohérence.

Dent reprit le même thème, qu’il projeta dans un passé plus lointain, lorsqu’il écrivit son dernier ouvrage important, The story of the Upper Canadian rebellion [...], publié en deux volumes en 1885. Le second volume, qui traite des causes prochaines et du déroulement de la rébellion, est toujours valable dans la mesure où il contient des renseignements qui ne se trouvent nulle part ailleurs et parce que l’auteur s’y montre plus soucieux de la véracité des faits que dans l’autre partie de son texte. En effet, le premier volume, qui traite des causes éloignées et, de ce fait, englobe presque la totalité de l’histoire politique de la colonie, est un mélange de réalité et d’affabulation qui atteint les dimensions du mythe.

S’inspirant en partie d’exemples tirés de l’historiographie whig anglaise, ce premier volume présente le récit d’une « lutte pour la liberté » qui tient du mélodrame. Ses héros sont les réformistes modérés qui se situent dans la tradition progressiste du « gouvernement responsable » ; les méchants en sont les fonctionnaires britanniques et les tories locaux qui s’opposent à cette tradition aussi bien que les radicaux qui s’en éloignent parce qu’ils ont endossé le républicanisme et pris les armes en 1837. Les nombreux critiques de Dent n’ont pas tardé à noter le caractère simpliste et dichotomique de cette présentation de la politique de l’époque et, plus particulièrement, la caricature qu’il faisait de ceux qui étaient à ses yeux les traîtres. John King, gendre de William Lyon Mackenzie*, réfuta avec aigreur les propos de Dent dans un texte intitulé The other side of the « Story » [...] : « Dans un chapitre, écrivit-il, nous voyons le regretté juge en chef [sir John Beverley Robinson*] et le regretté évêque [John Strachan*] comparés à des « tigres de la jungle à moitié morts de faim ». Dans un autre, on cite sur un ton approbateur la description [faite par Robert Fleming Gourlay*] de l’évêque sous les traits d’un « hypocrite petit imbécile de presbytérien renégat ». Ici, là et partout, les épithètes les plus offensantes sont appliquées à William Lyon Mackenzie, tandis que [John Rolph*] est à peu de chose près un ange de lumière. » Les critiques de Dent et Dent lui-même, toutefois, ne semblent pas avoir compris qu’ils avaient affaire non pas tellement au résultat d’une recherche historique, mais plutôt à des symboles ou à des personnages de théâtre destinés à illustrer et renforcer une thèse préconçue traitée comme une intrigue.

Il est donc utile de comparer les études historiques de Dent avec certains de ses textes de pure fiction qui furent publiés en 1888 à titre posthume dans The Gerrard Street mystery and other weird tales. Tout comme The story of the Upper Canadian rebellion, ces contes comportent des symboles qui, dans le cadre d’une intrigue, expriment un point de vue historique qui retient l’attention. Dans les années 1880, Dent fut mêlé au débat chargé d’émotivité qui portait sur « le destin politique du Canada » : il s’agissait de savoir si le pays devait se fédérer à l’Empire britannique, s’annexer aux États-Unis ou devenir indépendant. Dent ne prétendait pas savoir ce qui allait en résulter, mais il avait une préférence marquée pour l’indépendance. Cette attitude, qui était liée à son intérêt persistant pour le « gouvernement responsable », apparaît aussi dans son ouvrage d’imagination et, d’une façon tout à fait spéciale, dans l’usage qu’il fait des symboles représentant l’Angleterre, le Canada et les États-Unis.

« The haunted house on Duchess Street » est un récit d’horreur sur le mode fantastique, où les Horsfall – une famille d’Américains terrorisés, dont l’un des membres se nomme même George Washington Horsfall – sont chassés d’une ancienne maison canadienne, associée à des vieux tories du Family Compact, par le fantôme du tyrannique capitaine Bywater, un Anglais, comme le nom le laisse entendre, qui a péri sur les lieux en raison de sa conduite immorale. La trame symbolique et le pouvoir d’évocation des noms que Dent a voulu donner à ses personnages apparaissent encore plus nettement dans « Sovereen’s disappearance ». Abandonnée par un mari anglais sans cœur et débauché, du nom de Sovereen, une héroïne canadienne est secourue par un Américain honnête, Thomas Jefferson Haskins. Lorsque son mari rentre à la maison, rompu et ruiné, Mme Sovereen le soigne tendrement sur son lit de mort et décide de rester veuve et chaste jusqu’à la fin de ses jours. « Gagtooth’s image » est un récit de la même veine, où l’attention est polarisée par une image représentant les espoirs déçus d’un avenir aux États-Unis ; l’image est transférée d’un milieu américain à un milieu canadien et elle devient l’enfant chéri du narrateur.

Les récits de Dent, en plus d’avoir un contenu symbolique semblable à celui de ses ouvrages historiques, permettent aussi de saisir les rapports que l’auteur établit entre la littérature et l’histoire. Vulgarisateur, Dent cherchait à rendre l’histoire moins aride et plus intéressante en utilisant des techniques littéraires. L’introduction à ses contes posthumes nous apprend qu’il estimait, à l’instar de Thomas Babington Macaulay, que « les incidents de la vie réelle, qu’elle soit politique ou familiale, [pouvaient] être arrangés, sans nuire à l’exactitude, de manière à susciter tout l’intérêt d’une suite de faits artificielle ; que la série de circonstances qui constitue l’histoire [pouvait] être tissée avec autant de subtilité et d’élégance qu’un récit d’imagination ». Mais l’imagination de Dent, même affranchie de la réalité historique, était dominée par les lieux communs les plus éculés. Dans ses contes, toutefois, il en est arrivé à manipuler ses propres symboles, tandis qu’il semble être manipulé par ceux-ci et devenir même leur prisonnier lorsqu’il projette son imagination sur l’écran de l’histoire.

En 1884, Dent édita et préfaça Nova Britannia ; or, our new Canadian dominion foreshadowed [], recueil des discours d’Alexander Morris où est ex primé, comme le titre l’indique, un point de vue nationaliste qu’il partageait entièrement. Cette année là, il fit paraître des textes, en grande partie des reprises, dans un ouvrage écrit de concert avec Henry Scadding*, Toronto, past and present [...]. En 1887, il fonda un journal dont il fut le directeur, Arcturus : a Canadian Journal of Literature and Life, dans lequel il publia certains de ses textes d’imagination et exprima la piètre opinion qu’il avait désormais de la vie politique canadienne. Conçu pour « un public très étendu » auquel étaient proposées des « questions d’intérêt général d’une manière lisible et populaire », cet hebdomadaire disparut moins de six mois après sa fondation.

La contribution de Dent aux lettres canadiennes lui valut l’honneur d’être élu à la Société royale du Canada en 1887. Cette élection offensa vivement certains conservateurs qui se souvenaient qu’en 1883 il avait écrit des « calomnies ignobles sur [sir Charles Tupper*] et sur Goldwin Smith dans le News de Toronto » ; elle ne dut pas non plus plaire aux libéraux, qui se voyaient encore dans la foulée de William Lyon Mackenzie, ni aux historiens canadiens-français, tel un Henri-Raymond Casgrain* qui, en réaction au parti pris anglo-protestant de Dent, avait sévèrement critiqué The last forty years devant la Société royale en 1884. Chose curieuse, on croit que l’élection fut gagnée grâce à l’appui du colonel George Taylor Denison* III, un éminent impérialiste. S’il partageait la ferveur nationaliste de Dent jusqu’à un certain point, Denison ne devait éprouver aucune sympathie pour ses aspirations à l’indépendance. C’est peut-être dans l’espoir de lui faire renoncer à ces aspirations qu’il devint son parrain. Quoi qu’il en soit, l’événement n’eut pas de suite car, l’année d’après, Dent mourut d’une crise cardiaque.

De son vivant, Dent fut critiqué par des gens de toute obédience politique qui rejetaient sa conception de l’histoire du Canada, et dont les propos étaient bien fondés dans l’ensemble. Cependant, il eut sur ces personnes l’avantage de publier plusieurs forts volumes et, avec les années, son point de vue acquit droit de cité. En qualité de vulgarisateur d’une thèse, il connut donc un grand succès.

G. H. Patterson

John Charles Dent est l’auteur de Canadian portrait gallery, de The story of the Upper Canadian rebellion ; largely derived from original sources and documents (2 vol., Toronto, 1885), et de Last forty years. Une édition abrégée de ce dernier ouvrage a été publiée sous le titre de The last forty years : the union of 1841 to confederation, Donald Swain son, édit. (Toronto, 1972). De concert avec Henry Scadding, il a écrit Toronto, past and present : historical and descriptive ; a memorial volume for the semi-centennial of 1884 (Toronto, 1884) ; il a édité les discours d’Alexander Morris sous le titre de Nova Britannia ; or, our new Canadian dominion foreshadowed [...] (Toronto, 1884). Il fut aussi le directeur du journal Arcturus : a Canadian Journal of Literature and Life (Toronto), 1887. Il publia ses petits contes dans The Gerrard Street mystery and other weird tales (Toronto, 1888).

APC, MG 29, D60 ; MG 30, D37.— Francis Hincks, Reminiscences of his public life (Montréal, 1884).— « How history is written : the Hincks to Dent letters », Elizabeth Nish, édit., Rev. du Centre d’Étude du Québec (Montréal), no 2 (avril 1968) : 29–96.— [John King], The other side of the « Story », being some reviews of Mr. J. C. Dent’s first volume of « The story of the Upper Canadian rebellion », and the letters in the Mackenzie-Rolph controversy [...] (Toronto, 1886).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell), II : 107.— Francis Hincks, The political history of Canada between 1840 and 1855 : a lecture delivered on the 17th October, 1877, at the request of the St. Patrick’s National Association, with copious additions (Montréal, 1877).— [H.-R.] Casgrain, « Les quarante dernières années : le Canada depuis l’union de 1841, par John Charles Dent ; étude critique », SRC Mémoires, 1re sér., 2 (1884), sect. i : 51–61.— G. [H.] Patterson, « An enduring Canadian myth : responsible government and the Family Compact », Rev. d’études canadiennes, 12 (1977), no 2 : 3–16.

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G. H. Patterson, « DENT, JOHN CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dent_john_charles_11F.html.

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Auteur de l'article:    G. H. Patterson
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
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