DENNIS, JOHN STOUGHTON, arpenteur, officier de milice, fonctionnaire et entrepreneur, né le 19 octobre 1820 à Kingston, Haut-Canada, fils aîné de Joseph Dennis et de Mary Stoughton ; le 13 septembre 1848, il épousa Sarah Maria Oliver, et ils eurent plusieurs enfants ; décédé le 7 juillet 1885 à Kingsmere, Québec, et inhumé à Kingston.

John Stoughton Dennis naquit dans une famille plutôt aisée où l’on attachait une grande importance aux vertus militaires et à la loyauté. Durant la Révolution américaine, son grand-père, John Dennis*, avait donné son appui aux Britanniques et avait abandonné sa maison de Philadelphie pour aller s’établir finalement au bord de la rivière Humber près de York (Toronto) ; pendant la guerre de 1812, son père, Joseph, capitaine de navire sur les Grands Lacs, fut capturé et mis en prison par les Américains. Vers 1822, quittant la région de Kingston avec sa famille, Joseph Dennis se rendit à York ; en 1830, il déménagea à Weston. C’est là que les Dennis jouèrent un rôle de premier plan dans la vie économique de la communauté.

John Stoughton Dennis fit ses études au Victoria College de Cobourg, Haut-Canada, et, après avoir complété son apprentissage chez Charles Rankin, il fut reçu arpenteur le 4 janvier 1842. Il se montra très actif dans cette profession. Au cours des deux décennies qui suivirent, il fit les levés de plusieurs futures localités le long des routes que devaient emprunter les chemins de fer du Grand Tronc et du Great Western ; il dressa notamment les plans de Weston, qu’il enregistra le 18 juillet 1846. Il arpenta la péninsule de Bruce en 1855, de même que les cantons et les routes de colonisation des districts de Muskoka, de Haliburton, de Parry Sound et de Nipissing entre 1860 et 1865. En 1861, il entreprit, pour le compte de la Canadian Land and Emigration Company, de tracer les plans de dix cantons dans la région de Minden-Haliburton. Il fit également l’arpentage de diverses réserves indiennes sur les rives des lacs Huron et Supérieur. Sa compétence professionnelle fut reconnue dès 1851, année où on le nomma au bureau des examinateurs des arpenteurs de la province.

Même s’il demeurait à Toronto, Dennis continua de s’intéresser vivement à Weston : il contribua à faire passer le Grand Tronc par cette localité et il fut du premier conseil de l’école secondaire de l’endroit. Ses préoccupations ne se limitant pas aux affaires locales, il s’occupa également d’un établissement pour les sourds, les muets et les aveugles, à Hamilton, ainsi que du Canadian Institute. Dennis s’intéressa particulièrement à la milice, car il s’estimait « issu d’une lignée militaire ». En 1855, il fut fait lieutenant d’un peloton de cavalerie, et, l’année suivante, commandant de la Toronto Field Battery. En 1862, on le nomma major de brigade du 5e district militaire (avec le grade de lieutenant-colonel) et il conservera ce poste jusqu’en 1871.

C’est en juin 1866, pendant l’invasion des Féniens, que Dennis fit du service actif pour la première fois. Il s’arrangea pour obtenir le commandement du 2e bataillon des Queen’s Own Rifles ; le 1er juin, cette unité fut envoyée à Port Colborne où Dennis se trouva commandant en second sous les ordres du lieutenant-colonel Alfred Booker*. Le lieutenant-colonel George John Peacocke, commandant des troupes impériales à la frontière du Niagara, ordonna à Booker d’emmener ses hommes à Stevensville (maintenant partie de Fort Erie, Ontario) pour y attendre l’arrivée des Féniens. Croyant que ces derniers étaient ivres et désorganisés, Dennis pressa son chef de se lancer immédiatement à l’attaque ; Booker rejeta cette suggestion, mais par la suite décida d’agir de son propre chef. Dennis réquisitionna le remorqueur W. T. Robb et entreprit de patrouiller la rivière Niagara pour empêcher les Féniens d’effectuer leurs manœuvres. Le 2 juin, la troupe de Booker, qui se dirigeait vers Stevensville, fut attaquée et défaite à Ridgeway (maintenant partie de Fort Erie) par un détachement de Féniens aux ordres de John O’Neill*. Dans l’après-midi, Dennis débarqua 70 de ses hommes à Fort Erie dans le but de découvrir où se trouvaient les Canadiens et de leur remettre ses prisonniers. Quelque 150 Féniens apparurent, mais, la victoire lui semblant assurée, Dennis, qui ignorait l’arrivée imminente d’autres Féniens, pressa ses hommes de prendre position. Après un échange de coups de feu, il ordonna de battre en retraite ; le remorqueur quitta la rive sans lui et il dut se déguiser en « manœuvre ». Il s’échappa, mais 34 de ses hommes ne purent en faire autant.

Un officier qui avait servi à Fort Erie réclama par la suite une enquête sur la conduite de Dennis, et un autre, qui avait perdu une jambe dans la bataille, le traita publiquement de « lâche » et de « chenapan froussard ». Dennis demanda qu’un tribunal d’enquête fût mis sur pied afin d’examiner les affirmations des officiers qui l’accusaient surtout d’avoir exposé inutilement ses hommes au danger, mais aussi de les avoir abandonnés sous le feu de l’ennemi. Il fut entièrement disculpé, mais le président du tribunal, George Taylor Denison* II, considérait pour sa part que Dennis était coupable d’avoir désobéi aux ordres, et, dans le texte qu’il publia, il exprima sa dissidence et mit en doute le discernement de l’accusé.

Après avoir connu ces difficultés en 1866, Dennis reprit son métier d’arpenteur. En 1869, William McDougall*, ministre fédéral des Travaux publics, l’envoya à l’établissement de la Rivière-Rouge (Manitoba), à titre d’employé provisoire, pour arpenter les terrains des futurs colons. Les Métis de l’endroit, qui s’étaient opposés dès le début à ces travaux, se méfièrent deux fois plus de Dennis lorsqu’ils virent que ce dernier, arrivé en août, logeait chez le médecin John Christian Schultz*, en qui ils n’avaient aucune confiance. L’arpentage, basé sur le système américain des sections, semblait constituer une menace pour les gens qui possédaient des terrains sur la rivière, et, même si Dennis rassura les Métis, ceux-ci, sous la direction de Louis Riel, barrèrent le chemin à une équipe d’arpentage dans la ferme d’André Nault* le 11 octobre 1869. Dennis demanda vainement à William Mactavish*, gouverneur de Rupert’s Land et d’Assiniboia, de punir les auteurs du délit. Dans une lettre à McDougall, le premier ministre, sir John Alexander Macdonald*, jugea cette proposition « tout à fait déraisonnable » et affirma plus loin que Dennis était « un très bon garçon et un arpenteur compétent » mais n’ayant vraiment pas de « tête ». Les travaux cessèrent dans la région habitée par les Métis, mais continuèrent dans les autres secteurs.

McDougall arriva à Pembina (Dakota du Nord) le 30 octobre à titre de lieutenant-gouverneur désigné des Territoires du Nord-Ouest, et Dennis prit la route du sud pour aller le rejoindre. Le 21 octobre, le Comité national des Métis de la Rivière-Rouge avait ordonné à McDougall de ne pas pénétrer à l’intérieur de la colonie. Le 3 novembre, ils furent renvoyés à Pembina par une patrouille de Métis. Ils demeurèrent à Pembina jusqu’au 29 novembre ; à cette date, Dennis revint à la colonie avec deux proclamations : l’une annonçait que McDougall allait assumer l’autorité le 1er décembre, soit le jour où la colonie devait être cédée au Canada par la Hudson’s Bay Company, et l’autre nommait Dennis « lieutenant » de McDougall et « gardien de la paix ».

Le colonel Dennis établit son quartier général à Lower Fort Garry et attira « une foule bigarrée de 300 personnes » ; il tenta d’assurer l’ordre parmi les volontaires en interdisant les boissons alcooliques, mais ses efforts échouèrent lorsqu’il fit une exception dans son propre cas. Le 6 décembre, un appel « à tous les hommes loyaux » permit de recruter quelques autres volontaires. Puis, le lendemain, Schultz, qui s’était barricadé dans son entrepôt de Winnipeg avec un groupe de partisans, fut forcé de se rendre à Riel, lequel annonça la formation d’un gouvernement provisoire le 8 décembre. Dennis congédia ses hommes le 9 décembre, sans les avoir vus ni les avoir payés, et il s’enfuit de la colonie deux jours plus tard. Ses arpenteurs, qui avaient été emmenés dans l’enceinte du fort, reçurent l’ordre de reprendre leur travail ; l’un d’eux se vit donner l’instruction particulière de ne pas faire de levés « au-delà des limites des secteurs anglais de la colonie ». Dennis et McDougall s’en retournèrent à Ottawa, ayant « fait tout leur possible, conclut avec aigreur Macdonald, pour ruiner [les] chances d’un arrangement à l’amiable » du gouvernement avec les Métis. Le 12 février 1870, Dennis fit savoir à Hector-Louis Langevin*, ministre des Travaux publics, que les gens de la Rivière-Rouge, par crainte des Métis, n’avaient pas permis aux arpenteurs de faire leurs levés ; toutefois, il était fier que l’on eût arpenté 20 000 acres de terres arables le long des rivières Rouge et Assiniboine en vérifiant « l’exactitude des limites actuelles (mais en ne faisant pas le moindre changement) ». Dans une lettre écrite deux jours plus tard, il assura Macdonald qu’il avait « rempli [ses fonctions] avec prudence et discernement ».

À son retour en Ontario, Dennis fut, un certain temps, secrétaire particulier du lieutenant-gouverneur William Pearce Howland*, et, le 7 mars 1871, en raison des qualités qu’il avait montrées dans sa profession, il devint le premier arpenteur général du Canada et le chef du Bureau des terres du dominion, organisme qui venait d’être créé. Il joua un rôle de première valeur en tant qu’arpenteur général. En mars 1872, il présenta un rapport qui décrivait avec enthousiasme le potentiel agricole du Nord-Ouest. Son bureau fit avancer les travaux d’arpentage du Manitoba et, après 1874, prolongea les lignes de base et les méridiens vers le nord depuis le 49e parallèle jusqu’à la rivière Saskatchewan-Nord, et vers l’ouest depuis la rivière Rouge jusqu’aux montagnes Rocheuses. La plupart du temps, Dennis se trouvait à Ottawa où il s’occupait de la correction des levés qui avaient été faits, préparait d’autres travaux d’arpentage plus détaillés, distribuait les terres de la Hudson’s Bay Company et s’efforçait de convaincre les Indiens et les Métis, ainsi que les quelques colons blancs, que leurs droits allaient être respectés. Les possibilités de l’Ouest avaient nettement séduit l’imagination de Dennis ; il s’empressa d’élaborer un vaste projet où la baie d’Hudson devenait une grande voie d’échanges commerciaux et permettait de favoriser la circulation des gens et des produits vers l’Ouest et en provenance de cette région.

Le 14 novembre 1878, Dennis fut nommé sous-ministre au département de l’Intérieur, Macdonald y remplissant les fonctions de ministre. Il obtint cette nomination par son seul mérite ; il n’avait été le porte-étendard d’aucun parti : « Depuis le moment où j’ai reçu un salaire du gouvernement, soit en tant qu’officier d’état-major dans la milice, soit après être devenu fonctionnaire régulier, affirma-t-il plus tard à Macdonald, je n’ai, par principe, jamais voté. » Dennis ne flagorna pas son ministre, et, en juillet 1879, les deux hommes eurent une sérieuse divergence d’opinions sur les modalités de la vente des 100 000 acres de terrain affectées à la construction d’un chemin de fer dans l’Ouest. Macdonald proposait de vendre les terres en lots de 80 acres, tandis que Dennis était en faveur du nouveau système américain de 160 acres. Il semble que Dennis eut gain de cause, puisque la surface des lots concédés fut portée à 160 acres. Macdonald loua le travail de Dennis, et cette louange fut à celui-ci presque aussi agréable qu’« un compliment (si une telle chose était concevable) venant de la reine elle-même ».

À titre de sous-ministre, Dennis montra un vif intérêt pour le Nord-Ouest. S’inquiétant de la pénible situation dans laquelle se trouvaient les Indiens et les Métis, il pressa le gouvernement d’aider ces derniers à s’établir dans des fermes en leur donnant du bétail, une formation technique et tout ce dont ils avaient besoin, dans l’espoir qu’ils puissent ensuite contribuer à « civiliser » les Indiens. On ne tint aucun compte de ses conseils. En 1880, Dennis se rendit en Angleterre avec la délégation canadienne qui tentait d’assurer le financement du chemin de fer canadien du Pacifique. L’année suivante, il accompagna sir Alexander Tilloch Galt* dans une tournée d’inspection de l’Ouest ; comme il était malade, il trouva le voyage fatigant, et, le 31 décembre, il résigna ses fonctions de sous-ministre. Ce fut un réconfort pour lui de pouvoir se dire qu’il avait aidé à forger une politique des terres publiques à une époque « où le pays était comme une page blanche » et de savoir que ses services étaient appréciés. Le 24 mai 1882, il fut fait compagnon de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges.

À la retraite, Dennis resta en étroites relations avec son « cher vieux chef » Macdonald, et il collabora même à la campagne de souscription lancée par celui-ci en 1882. Bien qu’il eût déclaré avoir abandonné ses fonctions « pauvre et endetté », il fut en mesure de placer des fonds dans plusieurs entreprises privées, notamment dans une coopérative de consommateurs et dans une société minière œuvrant dans ce qui est aujourd’hui l’Alberta. Il s’occupa tout particulièrement de la Dennis, Sons and Company, entreprise qui avait été mise sur pied en 1882, avec un bureau en Angleterre, et qui offrait des conseils aux futurs colons et immigrants. John Stoughton Dennis* fils, lui aussi arpenteur éminent, faisait partie de cette firme, qui exécuta des travaux d’arpentage dans le Nord-Ouest ; l’influence politique aida l’entreprise à obtenir des contrats.

Dennis resta un homme actif jusqu’à son décès survenu en juillet 1885. Peut-être laissa-t-il le souvenir d’un officier de milice qui était enclin à enfourcher son cheval et à partir dans toutes les directions à la fois, mais on ne devrait pas oublier qu’il fut aussi un administrateur compétent qui rendit au Canada, et ce pour longtemps, de précieux services.

Colin Frederick Read

AO, MU 1 131, Skirving and Dennis families, W. W. Duncan, « Narrative of the Skirving and Dennis families » (texte dactylographié, mars 1967) ; 2 399.— APC, MG 26, A ; MG 29, E74 ; RG 9, I, C8, 7.— PAM, MG 3, B5 ; B 11 ; B 16–2 ; D 1 ; MG 12, A ; B.— Canada, Parl., Sessional papers, 1870, V : no 12.— W. McC. Davidson, Louis Riel, 1844–1885 ; a biography (Calgary, 1955).— G. T. Denison, History of the Fenian raid on Fort Erie ; with an account of the battle of Ridgeway (Toronto, 1866), v, 22–91 ; Soldiering in Canada ; recollections and experiences (2e éd., Toronto, 1901).— J. K. Howard, Strange empire ; a narrative of the northwest (New York, 1952).— J. A. Macdonald, Troublous times in Canada ; a history of the Fenian raids of 1866 and 1870 (Toronto, 1910).— E. B. Osler, The man who had to hang : Louis Riel (Toronto, 1961).— Stanley, Birth of western Canada.— D. W. Thomson, Men and meridians ; the history of surveying and mapping in Canada (3 vol., Ottawa, 1966–1969).— V. B. Wadsworth, History of exploratory surveys conducted by John Stoughton Dennis, provincial land surveyor, in the Muskoka, Parry Sound and Nipissing districts 1860–1865 [...] (s.l., 1926) (copie aux AO).— H. F. Wood, Forgotten Canadians (Toronto, 1963).— Charles Unwin, « Col. John Staughton Dennis », Assoc. of Ontario Land Surveyors, Annual report (Toronto), 29 (1914) : 57s.

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Colin Frederick Read, « DENNIS, JOHN STOUGHTON (1820-1885) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dennis_john_stoughton_1820_1885_11F.html.

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Auteur de l'article:    Colin Frederick Read
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    1 décembre 2024