DENAULT, JOSEPH-MARIE-AMÉDÉE (baptisé Marie-Joseph-Amédé), poète, journaliste et fonctionnaire, né le 14 septembre 1870 à Saint-Timothée (Salaberry-de-Valleyfield, Québec), fils de Gédéon-Benjamin Denault, maître d’écluse, et de Léocadie-Caroline-Delphine Coursolles, veuve de Théophile-Romuald Bergeron ; le 27 août 1895, il épousa à Belœil, Québec, Marie-Alda Bernard, et ils eurent trois garçons et trois filles ; décédé le 22 avril 1939 à Québec et inhumé à Belœil .

Joseph-Marie-Amédée Denault vient au monde dans un foyer de condition modeste. Huitième d’une famille de neuf enfants, il est précédé par… 6 sœurs ! Tout indique que son enfance baigne dans un climat de foi en un « Dieu sensible au cœur », selon les Pensées de Blaise Pascal, et dans une atmosphère d’affection et de tendresse qui le marqueront jusqu’au soir de sa vie. Ses études primaires, à l’école des Clercs de Saint-Viateur de son village, terminées, c’est chez les sulpiciens, au petit séminaire de Montréal, puis au séminaire de philosophie, qu’il fait ses études classiques, de 1882 à 1889. Élève brillant, il se classe premier au concours général du baccalauréat ès lettres et remporte ainsi la médaille du gouverneur général. Il étudie ensuite le droit à l’université Laval à Montréal et y devient bachelier en 1894. Il n’exercera cependant jamais de profession juridique, et pour cause.

En effet, prédilection et aptitudes pour l’écriture se sont affirmées très tôt chez Denault. Entre 1886 et 1892, il compose les quelque 87 poèmes qui formeront la matière essentielle de son unique recueil, intitulé Lueurs d’aurore et publié à Montréal en 1894. Ce recueil renferme l’expression d’une merveilleuse sensibilité, d’une spontanéité juvénile à peine contenue par les codes littéraire et moral de la culture ambiante. La thématique amoureuse s’y trouve substantiellement plus représentée encore que la thématique religieuse. Robertine Barry*, dite Françoise, ne s’y sera pas trompée en observant finement, dans la Patrie du 14 janvier 1895, qu’« il y a dans les stances adressées A la plus chère, A la brune adorée, et à beaucoup d’autres désignées tout aussi tendrement, des choses exquises qui ont tout ce qu’il faut pour plaire et charmer ». Le poème Crois en Dieu, dédié à Édouard-Zotique Massicotte*, a été primé en France, en 1893, par un jury présidé par François Coppée.

En 1890 et 1891, jeune universitaire, Denault est rédacteur à la Minerve de Montréal. De 1892 à 1895 environ, alors directeur littéraire du Monde illustré de Montréal, il fait campagne pour encourager les jeunes écrivains à lui faire parvenir leurs textes. De même, en 1892, au nom du comité de direction littéraire du Glaneur-Recueil littéraire des jeunes, revue montréalaise résultant de la fusion du Glaneur de Lévis et du Recueil littéraire de Montréal, il annonce une publication qui se veut particulièrement « l’organe des jeunes, leur porte-voix ». Rien d’étonnant à ce qu’il assiste à la fondation de l’École littéraire de Montréal, en 1895, et qu’il en devienne membre en 1898.

Comment donc expliquer que Denault, homme affable et délicat chez qui Albert Ferland* a pu voir se profiler les traits d’un « doux poète mystique », confesse, dès l’avant-propos de son recueil, que ses « ébauches de poésie » ne sont que « faibles vagissements d’un luth d’enfant » qu’il s’est « empressé de troquer pour une épée de combat » ? C’est sans doute qu’au fil de sa formation, il a intériorisé avec une profondeur et une cohérence peu communes les représentations et les valeurs idéales suprêmes de sa société, de ce qu’il faut bien appeler l’Église-nation canadienne-française, dont le cœur se situait sans doute au Québec, mais qui en débordait les frontières pour s’étendre jusqu’aux limites de la diaspora francophone et catholique d’Amérique du Nord. Représentant insigne de cette nation, il croit fermement que son peuple est investi de la mission providentielle de prolonger dans le Nouveau Monde les grands desseins de Dieu par les fils de la France, les gesta Dei per Francos (hauts faits de Dieu par l’intermédiaire des Francs), selon une formule chère au nationalisme religieux canadien-français et qui rappelle étonnamment celle que Guibert de Nogent, huit siècles plus tôt, a choisie comme titre de son récit de la première croisade. Denault sera essentiellement un croisé, et sa plume de journaliste catholique, son épée.

Cette croisade, Denault la poursuit grâce à sa participation à des périodiques divers. Il fonde la Croix de Montréal en 1893 (qui devient la Croix du Canada l’année suivante et disparaît en 1895). Il collabore à la Feuille d’érable de Montréal en 1896, ainsi qu’au Pionnier de Sherbrooke puis au Pionnier de Montréal de 1899 à 1902. En 1906, à Nominingue, la toute nouvelle Coopérative des colons du Nord choisit Denault comme secrétaire et le désigne comme directeur de l’organe hebdomadaire dont elle se dote, l’Ami du colon. L’année suivante, il le transforme en semi-hebdomadaire et le renomme le Pionnier. Les deux sous-titres qu’il ajoute, (Ami du colon) et Organe d’action sociale catholique et patriotique, évoquent des formes d’action sociale catholique – la colonisation et la coopération – qui lui tiendront toujours à cœur.

Pendant ce temps, à Québec, Mgr Louis-Nazaire Bégin* a établi en 1907 l’Action sociale catholique et l’Œuvre de la presse catholique, dont le quotidien l’Action sociale (appelé l’Action catholique à compter de 1915), dirigé par François-Xavier-Jules Dorion, est la rapide concrétisation. En décembre 1909, Mgr Paul-Eugène Roy* et Adjutor Rivard*, respectivement directeur et secrétaire du comité central permanent de l’Action sociale catholique, jugent nécessaire l’organisation d’un secrétariat général des œuvres fédérées par le mouvement ; comme l’écrira Denault lui-même dans le « Livre généalogique de la famille », Rivard, son « très bon ami, frère de cœur », l’invite à mettre sur pied et à diriger ce secrétariat tout en collaborant « ad libitum » au journal. Denault s’installe alors à Québec et y demeurera jusqu’à la fin de sa vie.

L’Action sociale catholique vise essentiellement l’instauration d’un catholicisme intégral où la foi imprègne la vie publique tout autant que la vie privée ; elle embrasse ainsi aussi bien la participation active à une société de tempérance qu’à une caisse populaire ou à un syndicat catholique. En avril 1910, le comité central permanent confie à Denault la rédaction et la publication du bulletin de liaison mensuel le Croisé : lieu de partage des succès des uns et des difficultés des autres, dont la première livraison paraît en septembre et dont l’esprit tient tout entier dans son nom. Les expériences étrangères y sont fréquemment évoquées, et le mot « social », martelé. Afin d’accroître l’efficacité et la portée de la presse catholique, le comité central permanent charge Denault, en 1910, de jeter les bases de la Ligue de la presse catholique de langue française du Canada et des États-Unis. Denault en sera le secrétaire et l’agent de liaison ; 31 périodiques en feront partie en 1914, et 38 en 1920. Denault participe également à l’organisation et à l’encadrement du Premier Congrès de la langue française qui a lieu en juin 1912 [V. Stanislas-Alfred Lortie*]. Tel que le mentionnera le sous-titre d’une brochure publiée à Québec en 1919, le congrès, « pour assurer l’exécution du programme de défense nationale tracé », crée le comité permanent du Congrès de la langue française qui sera doté d’un organisme de propagande et d’action : le Ralliement catholique et français en Amérique. Denault devient l’archiviste de ce comité permanent, avec le titre de « Directeur-délégué du Ralliement, faisant fonctions de secrétaire ». Ainsi, en 1916 et 1917, « à l’occasion de la persécution des Canadiens français en Ontario et ailleurs (1915) », comme il l’écrit dans le « Livre généalogique de la famille », il assure la diffusion de Prières pour la race, feuillet de propagande approuvé par le cardinal Bégin. En 1916, le Croisé devient l’organe officiel du comité et du ralliement ; le bulletin cessera cependant de paraître en juin 1922, sans explication aux lecteurs.

En 1920, Denault souffre d’une dépression qui l’amène à renoncer à son poste de chef du secrétariat général des œuvres pour accepter celui d’assistant. Il continue à travailler à la promotion des œuvres qui lui sont chères : propagation du règne du Sacré-Cœur, participation comme secrétaire à la Ligue nationale de colonisation, concours actif à la fondation et au développement de l’Union catholique des cultivateurs, par exemple. Cependant, tout indique autour de lui que le rêve originel grandiose de l’Action sociale catholique s’estompe progressivement au seul profit du journal et que le secrétariat général des œuvres est, à peu de choses près, réduit à une librairie. Denault refuse la reconversion en boutiquier qu’on lui propose ainsi. Mais, surtout lorsque, l’un après l’autre, disparaissent visionnaires et pionniers de la première heure (le cardinal Bégin meurt en 1925, Mgr Roy en 1926), tandis que le personnel de l’Action sociale catholique et du journal se cléricalise davantage, quelle utilité peut bien avoir un croisé pour une maison comme l’Action sociale Limitée et pour l’homme qui, en son nom, signera la condamnation de Denault au chômage : « Joseph Fortin, ptre, Gérant » ? Celui-ci, cumulant cette fonction et celle de sous-directeur de l’Action sociale catholique, quoique empêché de renvoyer Denault de par l’intervention personnelle de l’auxiliaire de l’archevêque de Québec, Joseph-Omer Plante, réussit néanmoins, en 1929, à l’évincer du secrétariat et à le réduire à la fonction de correcteur d’épreuves à l’Action sociale Limitée. Et c’est encore lui qui, le 28 mai 1931, signifie à Denault, du jour au lendemain, la suspension sine die de son emploi.

Désarmé pour de bon par ceux-là mêmes qui lui devaient peut-être le plus, passé le cap de la soixantaine et en pleine crise, Joseph-Marie-Amédée Denault doit dénicher un nouveau gagne-pain. C’est ainsi qu’il se retrouve, de 1933 jusqu’à sa mort, employé municipal chargé de la distribution des secours directs. Au delà de toutes ces vicissitudes, il résume sa vie, en mars 1934, en citant de mémoire « le maître Louis Veuillot » : « Ce fut donc une vie heureuse / Puisqu’enfin j’ai beaucoup aimé !... »

Gabriel Dussault

Nous tenons à remercier très cordialement Bernard Denault, professeur retraité de l’université de Sherbrooke et petit-fils de Joseph-Marie-Amédée, qui a pu nous éclairer sur plusieurs questions grâce, notamment, au « Livre généalogique de la famille » qu’il possède. Des copies de larges extraits de ce document manuscrit autographe de Denault, daté de 1934, se trouvent aux Arch. de l’univ. Laval, P217 (fonds Joseph-Marie-Amédée Denault). Notre article repose fondamentalement sur le dépouillement exhaustif de ce fonds, inscrit au registre des biens culturels du Québec. Nous n’avons pu exploiter ici qu’une infime partie de l’information qui s’y trouve et qui remet en question, sur plus d’un point, l’image reçue de la province d’alors.

Le recueil de poésie qu’a publié Denault en 1894 est son œuvre la plus facilement accessible. Il a aussi écrit : la Forme chrétienne de l’assurance populaire : essai sur la mutualité (Montréal, [1898 ?]), qu’il a présenté à la Société d’économie sociale de Montréal, au printemps de 1898, à titre de premier vice-président général de l’Union franco-canadienne. On lui attribue en partie l’ouvrage intitulé : Ligue de la presse catholique de langue française du Canada et des États-Unis (Québec, 1914), publié pendant les années où il était à la fois le secrétaire de la ligue et le directeur du secrétariat général des œuvres de l’Action sociale catholique. Il a signé, parfois en collaboration, parfois sous des pseudonymes comme Jules Saint-Elme et Jehan Dutaillis, les textes qu’il a fait paraître dans le Glaneur-Recueil littéraire des jeunes et dans la Feuille d’érable. Un exemplaire de chacun de ces ouvrages, une collection complète du Croisé, de même que quelques notices biographiques, parues à diverses étapes de sa carrière, et les nécrologies qu’ont publiées un bon nombre de journaux ont été judicieusement conservés dans le fonds que nous avons dépouillé.

Il n’existe pas encore de véritable biographie de Denault. Les quelques écrits qu’on a publiés sur lui après sa mort sont souvent entachés d’imprécisions, d’erreurs ou de discordance, ou manquent de perspective. Malgré nos maintes réserves à l’égard de ses interprétations, il convient de signaler ici l’article de P. M. Senese, « la Croix de Montréal (1893–1895) : a link to the French radical right », SCHEC, Hist. studies, 53 (1986) : 81–95 ; il s’agit probablement de l’étude la plus élaborée consacrée à une publication à laquelle le nom de Denault a été attaché. Les deux titres suivants sont susceptibles d’éclairer autant d’aspects du contexte dans lequel il a œuvré : François Couture et Pierre Rajotte, « l’École littéraire de Montréal et ses mythes », Études françaises, 36 (2000) : 163–183 ; Histoire du catholicisme québécois, sous la dir. de Nive Voisine (2 tomes en 4 vol. parus, Montréal, 1984–    ), tome 3, vol. 1 (Jean Hamelin et Nicole Gagnon, le xxe siècle (1898–1940), 1984).

BAnQ-CAM, CE601-S49, 8 févr. 1869, 27 août 1895 ; CE607-S19, 28 juill. 1859, 15 sept. 1870.— Le Devoir, 24 avril 1939.— Albert Ferland, « les Jeunes Littérateurs canadiens », la Feuille d’érable (Montréal), 1 (1896) : 111–112.— Le Ralliement catholique et français en Amérique [...] (Québec, 1919).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Gabriel Dussault, « DENAULT, JOSEPH-MARIE-AMÉDÉE (baptisé Marie-Joseph-Amédé) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/denault_joseph_marie_amedee_16F.html.

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Auteur de l'article:    Gabriel Dussault
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2015
Année de la révision:    2015
Date de consultation:    1 décembre 2024