CHU LAI (Lay) (Xu Quanli en mandarin ; connu aussi sous le nom de Wing Chong), marchand, né vers 1847 dans le comté de Panyu, province de Kuang-tung (république populaire de Chine) ; décédé dans la nuit du 3 au 4 juin 1906 à Victoria, il laissait dans le deuil quatre femmes, cinq fils et trois filles.
Sous bien des aspects, la carrière de Chu Lai est représentative de celle de la classe des marchands chinois qui exercèrent leur négoce en Colombie-Britannique dans la seconde moitié du xixe siècle. Arrivé dans la colonie au cours des années 1860, il fit beaucoup de commerce dans la région de Cariboo. En 1876, il put ouvrir sa propre entreprise, la Wing Chong Company, à l’angle des rues Store et Cormorant à Victoria. Par la diversité de ses opérations, cette entreprise ressemblait à d’autres maisons de commerce chinoises. À la fois magasin général et centre d’importation de produits chinois, il lui arrivait aussi de faire un peu de confection vestimentaire et de recruter des travailleurs, par exemple pour les mines de Cumberland, dans l’île de Vancouver, un des plus gros employeurs de main-d’œuvre chinoise dans la province. Au moment de son décès, Chu comptait parmi les plus riches marchands chinois de la Colombie-Britannique : son actif, disait-on, s’élevait à un demi-million de dollars. Si cette évaluation est exacte, il était l’un des deux ou trois plus gros marchands chinois de la province et probablement le plus riche de Victoria.
Le réseau de Chu, comme celui des autres marchands chinois, était constitué à partir des liens ethniques et linguistiques qu’il avait au sein de la communauté chinoise ainsi que d’un certain nombre de relations de famille et de village. Son peuple, les Hakkas, formaient une minorité ethnique et linguistique dans la province de Kuang-tung. Bien vite, son magasin devint un lieu de rencontre et un tremplin pour les Hakkas de la Colombie-Britannique. Ainsi, à son arrivée, le jeune Chang* Toy (Chen Cai) resta à la Wing Chong Company jusqu’à ce qu’il trouve un emploi à New Westminster. Apparemment, c’étaient des liens du même type qui permettaient à Chu d’obtenir ses marchandises d’importation par l’intermédiaire d’un ami en Chine. Si tel était le cas, il facilita probablement l’immigration d’autres Hakkas. Son entreprise envoyait sûrement des fonds en Chine au nom de certains travailleurs chinois. Comme son magasin était un lieu de rendez-vous pour les gens de son ethnie, recruter de la main-d’œuvre n’était pas bien difficile pour lui. Chu aida aussi des immigrants à s’installer. En 1887 par exemple, il aida son ami Chang Toy à mettre la main sur la Sam Kee Company de Vancouver en l’approvisionnant en gros.
Les origines de Chu et son isolement linguistique par rapport au reste de la communauté chinoise peuvent aussi expliquer la façon dont il se comportait à l’intérieur de cette communauté. En 1885, il figura parmi ceux qui demandaient que soit constituée juridiquement la Chinese Consolidated Benevolent Association. Fondée l’année précédente, cette association était la principale organisation politique de la communauté chinoise. Au moment où elle obtint sa constitution, Chu en devint l’un des administrateurs. Apparemment, par la suite, il continua d’en être membre, mais ne fit plus partie du conseil d’administration. Probablement était-il actif au sein de la Yan Wo Tong (Ren He Tang), confrérie hakka établie à Victoria en 1872, un des premiers regroupements locaux fondés par des Chinois de la Colombie-Britannique.
En 1885, Chu comparut dans une cause type importante pour la communauté chinoise. L’année précédente, l’Assemblée de la Colombie-Britannique avait adopté le Chinese Regulation Act, une des très nombreuses lois antiasiatiques (plus d’une centaine) adoptées par la province au cours du xixe siècle. Cette loi obligeait tout Chinois de plus de 14 ans à payer un impôt annuel de 10 $. Essentiellement, elle instaurait une sorte de permis de travail pour les Chinois de la province. En mai 1885, Chu et un autre Chinois furent accusés en vertu de cette loi. Le mois suivant, un magistrat de police les trouva coupables de ne pas avoir payé l’impôt. Au lieu de payer une amende de 20 $, Chu déposa une caution de 250 $ et en appela à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le juge Henry Pering Pellew Crease conclut que la province avait outrepassé ses pouvoirs en adoptant la loi en question. La province interjeta appel au comité judiciaire du Conseil privé, mais n’alla pas plus loin.
Chu ne semble pas avoir milité dans d’autres organisations avant la fin du siècle, moment où il s’inscrivit à la Chinese Empire Reform Association. Ce parti politique avait été créé par le réformateur et exilé chinois Kang Youwei après l’échec de la réforme des « Cent jours » en Chine en 1898. Son objectif était d’instaurer une monarchie constitutionnelle en Chine afin de poursuivre les réformes. Au moment de son décès, Chu était vice-président du chapitre de Victoria, qui organisa ses funérailles et loua même pour l’occasion les services d’une fanfare militaire. À cause de cela et du caractère imposant des obsèques, la presse anglophone de Victoria porta beaucoup d’attention à son enterrement.
Chu avait promu l’éducation des membres de la communauté chinoise, en particulier celle des enfants de marchands. On ignore quelle sorte d’études lui-même avait faites, mais il semble avoir su lire et écrire le chinois, et l’instruction de ses propres enfants lui tenait à cœur. En 1899, il versa 20 $ à la Le Qun Yishu. C’était la première école de langue chinoise constituée officiellement au Canada ; les membres de la communauté la finançaient par des contributions et la fréquentation en était gratuite. En 1902, Chu était l’un des rares parents chinois à avoir des enfants dans le réseau scolaire public de Victoria. La même année, on voulut placer les jeunes Chinois dans une école distincte. Il fut l’un des dix marchands chinois qui protestèrent contre ces tentatives. Au moment de sa mort, son fils aîné, Chu Poy, étudiait à la University of Cambridge en Angleterre ; deux autres de ses fils fréquentaient l’école de la Chinese Empire Reform Association à Vancouver et un quatrième était dans une école de Victoria.
Les funérailles imposantes auxquelles Chu Lai eut droit montraient qu’il avait réussi à entrer dans l’élite de la communauté chinoise. La taille de sa famille en témoignait aussi. Il avait eu quatre femmes, deux vivant en Chine et deux à Victoria. C’était probablement pour ses affaires que sa vie avait été organisée ainsi : de cette façon, sa famille pouvait contrôler ses activités en Chine aussi bien qu’en Amérique du Nord.
Nous avons eu accès à un manuscrit non daté sur Chang Toy, traduction du chinois à l’anglais qu’avait en sa possession Theodore Y. Chang, de Vancouver. [t.s.]
BCARS, Add. mss 101.— Daily Colonist (Victoria), 26 août 1885, 18 janv. 1899, 12 juin 1902, 7 juin 1906.— Victoria Daily Standard, 5 juin 1885.— Victoria Daily Times, 6 juin 1906.— Harry Con et al., From China to Canada : a history of the Chinese communities in Canada, Edgar Wickberg, édit. (Toronto, 1982 ; réimpr., 1988).— In the Privy Council, in appeal from the Supreme Court of British Columbia ; between William K. Bull, appellant, and Wing Chong, alias Chu Lay, respondent (s.l., [1886] ; exemplaire aux BCARS).— Jianada Weiduoli Zhonghua Huiguan chengli qishiwu, Huaqiao Xuexiao chengli liushi – zhounian jinian tekan [Soixante-quinzième anniversaire de la Victoria Canadian Chinese Consolidated Benevolent Assoc. et soixantième anniversaire de l’Overseas Chinese School, publication souvenir spéciale], D. T. H. Lee [Lee T’ung-hai], édit. (Victoria, 1960).— D. T. H. Lee, Jianada Huaqiaò shi [Histoire des Chinois au Canada] (Taipei, Chine [Taiwan], 1967).— P. E. Roy, A white man’s province : British Columbia politicians and Chinese and Japanese immigrants, 1858–1914 (Vancouver, 1989).— Paul Yee, « Business devices from two worlds : the Chinese in early Vancouver », BC Studies (Vancouver), no 62 (été 1984) : 44–67 ; « Chinese business in Vancouver, 1886–1914 » (thèse de m.a., Univ. of B.C., Vancouver, 1983) ; « Sam Kee : a Chinese business in early Vancouver », BC Studies, nos 69–70 (printemps-été 1986) : 70–96.
Timothy J. Stanley, « CHU LAI (Lay) (Xu Quanli, Wing Chong) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chu_lai_13F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
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