CHEJAUK (Ah je juk, Allchechaque, Auchechaque, Crane), chef d’une partie du clan du Goujon, soit parmi les Outaouais, soit parmi les Sauteux du Nord ; circa 1761–1804.
La vie de Chejauk couvre les années trépidantes du milieu et de la fin du xviiie siècle, qui furent marquées par l’intense concurrence opposant la Hudson’s Bay Company aux Français d’abord, puis à la North West Company. À l’époque où Chejauk était encore tout jeune, les Sauteux et les Outaouais continuaient probablement leur expansion, commencée au xviie siècle, vers le nord-ouest, dans les territoires qui correspondent aujourd’hui au nord de l’Ontario et au Manitoba. Jusqu’à la fin des années 1750, la plupart des membres des deux tribus traitèrent avec les Canadiens ; mais après le retrait de ces derniers de la traite des fourrures, à la suite de la Conquête, les Indiens qui vivaient au nord du lac Supérieur, à l’intérieur des terres, commencèrent à porter leurs fourrures dans les postes de la Hudson’s Bay Company, à la baie d’Hudson et à la baie James.
Il n’est pas facile de mettre le doigt sur la première mention de Chejauk, d’autant que l’orthographe des noms indiens variait beaucoup, dans les débuts, et que le terme anglais de « Crane » n’apparaît pas avant les années 1790. Quoi qu’il en soit, il se déplaçait probablement en compagnie d’un de ses frères, Captain Tinnewabano (connu sous le nom de Tinpot), que l’on peut suivre plus facilement. C’est en 1761 qu’il est fait mention pour la première fois de Tinnewabano dans le journal du fort Albany (Fort Albany, Ontario) de la Hudson’s Bay Company où, entre 1761 et 1771, il traita chaque année avec ses frères. En 1767, Usakechack (peut-être Chejauk) était au fort Albany pour y examiner les marchandises de traite et, vraisemblablement, les comparer avec celles que les trafiquants de Montréal avaient commencé à transporter à l’intérieur des terres. En 1771, ces derniers étaient devenus si nombreux dans le Nord-Ouest que la plupart des Outaouais et des Sauteux cessèrent de faire le long et fatigant voyage de la baie James. Ainsi, on ne trouve plus de mention claire de Chejauk avant l’établissement des postes intérieurs de la Hudson’s Bay Company.
En 1777, Tinnewabano envoya son calumet, en signe d’amitié, à la toute nouvelle Gloucester House (sur le lac Washi, Ontario) ; toutefois, il refusa de s’y rendre, même si l’on rapporta qu’il en était tout près. Il y pratiqua la traite l’année suivante, mais il se serait plutôt rendu au fort Severn (Fort Severn, Ontario) en 1779. Pendant les premières années de la décennie 1780, il traita de nouveau à Gloucester House, sans qu’on sache si Chejauk l’accompagnait. Après la fondation d’Osnaburgh House, en 1786, et du poste du lac Cat qui en dépendait, en 1788, Chejauk et son frère traitèrent tous deux assez régulièrement à ces établissements. Ils n’en faisaient pas moins affaire avec les trafiquants qui offraient les meilleurs prix, qu’ils fussent de la Hudson’s Bay Company ou de la North West Company. Au cours des années 1770 au plus tard, Chejauk et Tinnewabano se retrouvèrent l’un et l’autre à la tête d’une bande ou famille distincte. En 1795, « Captain Allchechaque (ou Auchechaque) » était, à ce qu’on dit, « le père de 23 enfants, dont 16 fils, l’aîné seulement ayant atteint l’âge adulte et le plus jeune étant au berceau ». Il pratiquait fort probablement la polygamie, comme la plupart des chefs de bande. La famille de Chejauk pouvait compter, pendant les années 1790, de 30 à 35 personnes.
C’est à partir de 1799, semble-t-il, que les relations, d’habitude pacifiques, des Indiens avec les trafiquants se détériorèrent. Après avoir assassiné un Indien des environs de Martin Falls House (Martin Falls) ou du fort Severn, Tinnewabano s’enfuit avec sa bande au lac Sandy. Chejauk s’inquiétait de sa propre sécurité, sachant que les parents de la victime ne feraient « aucune distinction entre Tin-pot et l’un quelconque de ses parents ». Pendant les deux décennies qui suivirent, la bande de Chejauk (appelée les Cranes) et les Tinpots s’en prirent aux postes de traite. On ignore les causes précises du conflit, mais peut-être avait-il été aggravé par un ensemble de circonstances : la distribution immodérée de boissons alcooliques, les procédés rigoureux dont usaient envers les Indiens quelques trafiquants et la concurrence féroce entre les trafiquants eux-mêmes. En outre, il est possible que les rivalités entre Indiens à propos des territoires de chasse aient provoqué de la violence entre les bandes elles-mêmes et contre les trafiquants qui faisaient affaire avec des bandes concurrentes. En juin 1803, William Thomas notait l’arrivée à Osnaburgh House de quatre Tinpots avec un maigre lot de fourrures à échanger : « Je comprends, écrivait-il, qu’ils ont tué trois Canadiens et pillé le poste. » Thomas les considérait comme de « sales vagabonds ». En septembre, huit des fils de Chejauk menacèrent Osnaburgh House ; en mars 1804, Thomas craignait une attaque, d’autant plus que « le vieux Crane et 14 de ses fils » traînaient depuis janvier à moins de 30 milles du poste. Au lieu de cela, cinq canots de Cranes arrivèrent à la chute Martin le 27 mai. D’après le rapport de Jacob Corrigal, ils n’apportaient point de fourrures et nourrissaient de mauvais desseins soit envers les trafiquants, soit envers les Indiens de l’endroit qui, à leur arrivée, prirent la fuite en descendant la rivière. Les Cranes refusèrent d’abord de parler à Corrigal ; deux jours plus tard, ils vinrent au fort, munis d’armes, et forcèrent Corrigal à leur faire crédit. N’eût été le fait que trois autres Indiens les attirèrent en leur offrant d’aller boire de l’eau-de-vie, on aurait pu connaître de sérieuses difficultés. À la fin de la matinée du 2 juin, après avoir été nuit et jour sur un pied d’alerte, les trafiquants, fatigués, mirent les Indiens en demeure de partir, pointant sur leurs tentes deux canons à pivot. Ceux-ci s’exécutèrent « dans une hâte et une confusion très grandes ». Mais, en novembre, ils inquiétaient de nouveau les trafiquants d’Osnaburgh House.
En 1807, après avoir érigé le poste Trout Lake (sur le lac Big Trout, Ontario), James Swain pressa quelques Indiens de le guider vers le sud, où résidaient les Cranes et les Tinpots : ils refusèrent de peur d’être « sacrifiés à leur cruauté ». De tous les Indiens, les Cranes étaient devenus ceux qu’on craignait le plus dans ce qui est aujourd’hui le nord de l’Ontario. Puis l’on n’entendit plus parler de ces Indiens jusqu’après 1810, époque où éclatèrent de nouveaux troubles. À ce moment-là, Chejauk lui-même était mort, selon toute vraisemblance, puisqu’on le mentionne pour la dernière fois en 1804. Il semble avoir eu pour successeur son fils aîné, Matayawenenne (Maitwaywayninnee). Il est possible que son frère Tinnewabano lui ait survécu pendant quelques années, car Swain en fait mention en 1807. Les descendants de Chejauk et de sa famille vivent maintenant au lac Weagamow et, quelque 175 ans après la mort de leur premier chef, ils sont encore connus sous le nom de Cranes.
PAM, HBCA, B.3/a/50–67 ; B.10/e/2 ; B.30/a/1–6 ; B.78/a/1–14 ; B.86/a/1–18 ; B.123/a/8 ; B.155/a/1–36 ; B.155/e/1–3 ; B.198/a/1–31 ; B.220/a/1–3 ; E.2/7–9.— C. A. Bishop, The Northern Ojibwa and the fur trade : an historical and ecological study (Toronto et Montréal, 1974).— E. S. Rogers, The Round Lake Ojibwa ([Toronto], 1962).
Charles A. Bishop, « CHEJAUK (Ah je juk, Allchechaque, Auchechaque, Crane) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chejauk_5F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |