CHAUVIN DE TONNETUIT, PIERRE DE, capitaine dans la marine et dans l’armée françaises, lieutenant général de la Nouvelle-France, surnommé le fondateur de Tadoussac ; né à Dieppe, en Normandie, mort au début de février 1603 en France (probablement à Honfleur). Il ne faut pas le confondre avec le capitaine Pierre Chauvin de La Pierre, ou Chauvin, de Dieppe, à qui Champlain laissa le commandement de Québec pendant son absence de 1609 à 1610.

Il appartenait à une riche famille de marchands. Il épousa en premières noces Jeanne de Mallemouche, dont il eut un fils, François ; puis, en secondes noces, Marie de Brinon. En 1583, il servait dans les troupes de l’amiral Aymar de Chaste dans les Açores et, en 1589, il était capitaine de l’importante garnison huguenote de Honfleur, que M. Du Gua de Monts avait commandée l’année précédente. En 1596, ainsi que l’attestent plusieurs documents notariés (reproduits dans Bréard, Documents, 73ss), Chauvin avait commencé à s’intéresser aux entreprises commerciales et maritimes. Il possédait alors quatre navires, soit le Don-de-Dieu, l’Espérance, le Bon-Espoir, et le Saint-Jean. Il participait régulièrement à la traite des fourrures et à la pêche de la morue au Canada et à Terre-Neuve.

Calviniste, il avait servi brillamment dans les guerres contre la Ligue. Il en fut bientôt récompensé par un poste influent à la cour du nouveau roi. À la demande de François Gravé Du Pont, qui avait aussi fait plusieurs expéditions de traite dans le Saint-Laurent, Chauvin sollicita avec succès de Henri IV, en 1599, le monopole décennal de la traite des fourrures en Nouvelle-France. Cependant, à la suite des protestations de Troilus de La Roche de Mesgouez, qui détenait une concession semblable, Henri IV accorda à Chauvin, le 15 janvier 1600, une nouvelle commission qui le reconnaissait simplement « comme l’un des lieutenants » de La Roche.

Chauvin partit de Honfleur au début du printemps de 1600, avec ses quatre navires et les colons qui avaient été choisis. Gravé l’accompagnait en qualité d’associé et de lieutenant. De Monts partait avec eux à titre de passager. Contre l’avis de Gravé et de M. de Monts, Chauvin choisit Tadoussac pour destination. Vu l’importance de cet endroit pour la traite, c’était peut-être inévitable, mais cela eut des conséquences désastreuses pour la colonie. Jouissant d’une excellente situation stratégique à proximité d’un havre et au confluent du Saguenay et du Saint-Laurent, routes de traite des Indiens vers l’intérieur, Tadoussac servait depuis longtemps de rendez-vous d’été aux Montagnais pour le troc, et, depuis un demi-siècle, de lieu de traite des fourrures et de poste de pêche pour les Européens. Mais, au moyen des armes qu’ils avaient reçues, les Montagnais avaient chassé les Iroquois de ces parages ; ceux-ci leur rendirent la pareille avec une égale férocité et les repoussèrent loin à l’intérieur. Tadoussac en pâtit. Alliés des Montagnais, et bientôt aussi des Algonquins et des Hurons, tous ennemis des Iroquois, les Français subirent le contrecoup de cette situation et leur commerce des fourrures en souffrit durant des années. En outre, cette région convenait peu à l’établissement des colons, à cause de la nature accidentée du terrain et de la pauvreté du sol, et aussi, parce que, l’hiver, « le froid est si grand, écrit Champlain dans ses Voyages, que, s’il y a une once de froid à 40 lieues à mont la rivière, il y en a là une livre ».

On construisit à Tadoussac une maison que Champlain vit et qu’il dit « de quatre toises de long, sur trois de large, de huict pieds de haut, couverte d’ais, & une cheminée au milieu », entourée d’une palissade de claies et d’un petit fossé. La carte de Tadoussac tracée par Champlain en 1608, qui paraît dans ses Œuvres, publiées par Biggar (II : 19), place cette construction sur la rive orientale d’un cours d’eau qui se jette dans le havre ; au-dessous se lisent les mots : « abitasion du Cappn chauvain de lan 1600 ». Les colons étant établis, les associés se consacrèrent à la traite des pelleteries jusqu’à l’automne, et partirent alors pour la France avec une cargaison de castor et d’autres fourrures. Ils laissaient à Tadoussac 16 hommes qui allaient affronter l’hiver septentrional pour la première fois ; 5 seulement survécurent, grâce à l’hospitalité des Indiens.

D’après les documents contemporains, Chauvin n’envoya qu’un navire, l’Espérance, au Saguenay le printemps suivant (Bréard, Documents, 69s., 88), mais il ne s’y rendit pas lui-même. Le reste des colons revinrent sans doute sur ce navire à l’automne et, étant donné les souffrances précédemment endurées, on décida de ne laisser personne à terre pour l’hiver. En avril 1602, Chauvin commandait une autre expédition de Honfleur à la Nouvelle-France, n’ayant cette fois que deux navires : le Don-de-Dieu et l’Espérance, et presque certainement aucun colon. À la suite d’un été de traite dans la région de Tadoussac, il rentrait de cette troisième année de son monopole, en octobre 1602. Si l’on en juge par le nombre des navires employés, Chauvin n’avait pas tiré grand avantage de son privilège.

Depuis un demi-siècle, le commerce canadien des fourrures avait pris une grande extension et engagé le capital de nombreux marchands. Comme dans le cas des autres monopoles accordés par la France pour la traite au Canada, le privilège de Chauvin faisait l’objet d’une vigoureuse opposition de la part des marchands des ports français qui en étaient exclus. Henri IV s’était montré décidé à défendre une cause d’un ordre plus relevé ; mais, après trois étés, Chauvin n’avait pu établir de colonie, et ses rivaux protestaient autant que jamais. En conséquence, le monopole fut étendu, en 1602, à certains autres commerçants de Rouen et de Saint-Malo, à Condition qu’ils prennent leur part des obligations qu’il comportait. Cette mesure ne réussit pas à faire taire la clameur en faveur de la liberté du commerce. Le roi ordonna donc, le 28 décembre 1602, qu’une commission d’enquête se réunisse à Rouen un mois plus tard. Les commissaires (dont l’un était le gouverneur de Dieppe, Aymar de Chaste) y reçurent des délégués des marchands de Rouen et de Saint-Malo, et Chauvin lui-même, pour examiner et arbitrer le monopole, ainsi que les conditions prévues pour la colonisation. On convint apparemment de maintenir le monopole et la colonisation et d’en publier la nouvelle (Biggar, Early trading companies, 45s.), mais Chauvin mourut avant que les navires puissent mettre à la voile pour un nouveau voyage. Le monopole passa à M. de Chaste qui, le même printemps, dépêcha trois navires vers la Nouvelle-France. L’un d’eux, la Bonne Renommée, qui lui appartenait, était commandé par Gravé. Celui-ci avait pour mission d’étudier les ressources de la région et de trouver un meilleur endroit pour l’établissement d’une colonie, en quoi il eut l’aide de Champlain, qui en était à sa première visite à la Nouvelle-France.

Le 20 janvier 1603, Chauvin vivait encore, car il donnait une procuration à sa sœur Madeleine. En l’absence d’un document probant, on doit accepter l’hypothèse de Bréard (Documents, 71), fondée sur les preuves existantes, qu’il mourut dans les premiers jours de février. Le même auteur indique que Chauvin avait probablement amassé une fortune pendant sa vie, car il possédait quatre navires, sans compter des bateaux de moindre importance, plusieurs maisons, des biens personnels considérables, et il avait acheté la terre de Tonnetuit. Pourtant, à sa mort, sa succession était si grevée que sa femme et son fils y renoncèrent. Certains historiens ont fait observer que Chauvin se préoccupait plus du gain que des colons ; mais, de toute évidence, ses dernières années n’avaient que réduit sa fortune. Il dépêcha un navire à Tadoussac au début de 1601, probablement pour rescaper les colons survivants et, selon toute probabilité, il ne les y remplaça jamais. Il appartient à l’histoire pour avoir construit à Tadoussac, huit ans avant Québec, le premier poste de traite et la première maison du Canada. On en a élevé une réplique, pour servir de musée, sur l’emplacement qu’on croit être celui de ce poste.

William F. E. Morley

Champlain, Œuvres (Biggar), II : 19 ; III : 305–311.— Bréard, Documents relatifs à la marine normande, 65–92.— Biggar, Early trading companies, 42–46.— Gustave Lanctot, Réalisations françaises de Cartier à Montcalm (Montréal, 1951), 45s.— La Roncière, Histoire de la marine française, IV (1923) : 318s. – Joseph Le Ber, Un document inédit sur l’île de Sable et le Marquis de la Roche, RHAF, II (1948–49) : 203–209.— Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, I : 236.

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William F. E. Morley, « CHAUVIN DE TONNETUIT, PIERRE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chauvin_de_tonnetuit_pierre_de_1F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
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