CHAMPAGNEUR, ÉTIENNE, frère enseignant et prêtre catholique, né le 8 août 1808 au village de Recoules, Aveyron, France, décédé le 18 janvier 1882 à Camonil-sous-Rodez, France ; en 1905, ses restes seront ramenés à Joliette, Québec, où il sera inhumé solennellement l’année suivante.

On ignore à peu près tout de la famille d’Étienne Champagneur qui devait appartenir au groupe des cultivateurs propriétaires. Chose certaine, il réussit bien les études devant le conduire au sacerdoce mais quitta le grand séminaire pour se faire instituteur laïque, profession qu’il exerça pendant six ans. Une personnalité craintive, scrupuleuse et « renfrognée » mais désireuse de se mettre en valeur par la pratique de l’ascèse et l’exercice du pouvoir explique sans doute ses nombreuses hésitations. Entré au noviciat des Clercs de Saint-Viateur à Vourles, Rhône, France, en décembre 1844, Champagneur interrompt son séjour à deux reprises pour régler des affaires familiales et pour entrer à la Trappe qui ne cessera pas de l’attirer mais où il ne demeura que de six à huit semaines. En janvier 1847, il prononce ses premiers vœux et, en avril, à la suite d’une visite de Mgr Ignace Bourget qui désire que les Clercs de Saint-Viateur s’implantent au Canada, il est chargé de cette mission. On lui adjoint deux autres frères enseignants, Augustin Fayard et Louis Chrétien.

Arrivés à Montréal à la fin de mai avec Mgr Bourget, les premiers clercs de Saint-Viateur au Canada sont immédiatement dirigés vers le village d’Industrie (Joliette) où ils prennent la direction de l’école paroissiale et d’un collège qui avait ouvert ses portes l’année précédente grâce aux efforts conjugués du curé Antoine Manseau* et de l’entrepreneur Barthélemy Joliette*. Le collège de Joliette prétendait innover en matière d’éducation : il devait former un homme nouveau à partir d’un programme d’études de cinq ans axé sur les disciplines scientifiques et industrielles, les arts libéraux et les langues modernes, le français et l’anglais.

Les Clercs de Saint-Viateur, destinés en France aux petites écoles de campagne, n’étaient pas préparés à cette tâche : des arrivants, seul Champagneur était suffisamment instruit. Cependant, l’arrivée plus ou moins prévue de renforts en la personne des pères Thérèse Lahaye et Antoine Thibaudier, deux religieux français œuvrant aux États-Unis depuis 1841, et la présence de deux clercs tonsurés parmi les neuf recrues canadiennes (cinq venaient d’un embryon de fondation, les Frères de la Croix de Chambly) expliquent que cette première année fut un succès.

En partie dépouillé de son pouvoir par les « Américains » qui avaient été récemment ordonnés prêtres, Champagneur se retire à l’écart et se consacre à l’initiation des recrues canadiennes, tâche que Thibaudier et Lahaye considéraient comme une perte de temps. Champagneur jugea, en effet, que, « n’étant pas prêtre, il convenait [...] de s’effacer et de donner ample latitude aux nouveaux pères ». En 1849, il accepte le sacerdoce que lui propose Bourget et peu de temps après il redevient supérieur, cumulant aussi les postes de directeur du collège et de maître des novices. Toutefois, sa direction du collège de Joliette se solde par une « rébellion » du personnel en 1852 : les religieux français ne pouvaient s’insérer dans la tradition des collèges classiques puisque la majorité d’entre eux n’avaient pas fait d’études poussées. Le père Pascal Lajoie vient l’y remplacer la même année. À cette date, l’évêque de Montréal avait confié à la congrégation deux autres collèges : celui de Chambly [V. Pierre-Marie Mignault*] en 1849 et celui de Rigaud en 1850. Dans ce dernier cas, le programme d’enseignement moderne de Joliette servit de modèle et d’inspiration mais, aussi bien à Rigaud qu’à Joliette, l’enseignement du latin était aussi offert à ceux qui le désiraient.

En 1852, la congrégation accepte de dispenser l’enseignement aux garçons sourds et muets, ce qui lui fournit l’occasion de s’implanter à Montréal conformément aux vœux de Mgr Bourget [V. Charles-Irénée Lagorce*]. À partir de cette date, le père Champagneur oriente ses effectifs principalement vers les écoles élémentaires. Mgr Bourget, qui passe six semaines à la maison mère des Clercs de Saint-Viateur à Vourles à la fin de 1855, encourage cette orientation. Il se préoccupe aussi de renforcer les liens de la congrégation canadienne avec la France alors que le père Champagneur songe à se donner une certaine autonomie dans le choix des œuvres au Canada. En 1858, l’évêque lui impose l’envoi de religieux à Victoria, sur l’île de Vancouver, à la suite d’une promesse à Mgr Modeste Demers* puis, en 1865, à Bourbonnais dans l’Illinois afin de réparer le « mal » que l’abbé Charles-Paschal-Télesphore Chiniquy* avait causé à la population franco-américaine. Cinq ans plus tard, à sa demande maintes fois réitérée, Champagneur est remplacé comme supérieur par le père Lajoie ; il conserve néanmoins les fonctions de maître des novices.

La faible participation française (on ne comptera en aucun temps plus de cinq Français dans cette congrégation), un recrutement d’au moins dix Canadiens par année, la collaboration de curés comme Antoine Manseau et la direction d’un évêque, considéré à certains égards comme cofondateur, expliquent à la fois la rapide canadianisation de cette congrégation de frères enseignants et sa « cléricalisation ». La contribution du père Champagneur n’est pas négligeable pour autant. Même si Mgr Joseph La Rocque avouait en 1855 n’avoir jamais vu « homme aussi nul, en ce qui regarde la direction des divers établissements », ses nombreuses « démissions », son désir d’entrer à la Trappe et son projet avorté d’une communauté d’ermites colonisateurs à Saint-Côme, les solitaires de Saint-Viateur, révèlent à la fois des difficultés d’adaptation et le désir d’une société autre. Le fait qu’il soit né en France l’a sans doute aidé à se maintenir à la tête de cette congrégation pendant au-delà d’une génération, mais il y a plus : les jeunes Canadiens l’ont perçu comme un véritable maître de la vie spirituelle.

De 1847 à 1874, année de son retour en France, le père Champagneur initia à la vie religieuse tous les jeunes gens qui se présentèrent au noviciat de cette congrégation, soit environ 250 individus dont la plupart œuvrèrent par la suite dans l’enseignement à l’intérieur de la congrégation ou à l’extérieur. Comme il connaissait intimement tous les membres de cette congrégation, son influence réelle ne saurait être évaluée à partir des difficultés administratives qu’il a connues à un moment ou l’autre. Ses Cours de méditations, publiés entre 1871 et 1874, ne rendent compte qu’imparfaitement d’une spiritualité de type sectaire axée sur la conversion, l’ascèse et la sainteté de vie. Ceux qui s’engageaient dans ces pratiques pouvaient acquérir une notoriété réelle, au moins dans leur communauté (et souvent à l’extérieur). Étienne Champagneur en est un exemple même s’il s’est vu contraint d’accepter le sacerdoce pour poursuivre sa tâche.

Benoît Lévesque

La Direction générale des Clercs de Saint-Viateur (Rome) a publié de nombreuses séries de documents dont les originaux se trouvent dans les différents dépôts d’archives des Clercs de Saint-Viateur à Rome et à Joliette ou à Outremont, au Québec. En marge des documents reproduits, on a pris soin d’indiquer le lieu où est déposé l’original. Nous avons surtout consulté : Circulaires du père Étienne Champagneur, fondateur et supérieur : 1847–1848, 1850–1870 (Outremont, 1972) ; Documents : le père Louis Querbes, fondateur des Clercs de Saint-Viateur, 1793–1859 (14 vol., Côteau-du-Lac, Québec, 1955–1960) ; « Dossier : Amérique » (6 vol. polycopiés, Côteau-du-Lac, 1955–1959), II–VI ; Dossier Querbes ; correspondance reçue par le père Louis Querbes (33 vol. parus, s.l., 1960–  ).

Nous avons aussi consulté, tirés des archives de Rome, les vol. I du Reg. matricule de tous les sujets ordonnés au noviciat de Vourles, France, depuis la fondation jusqu’au 1er oct. 1876, et du Reg. des religieux ; des archives de Joliette, quelques lettres du père Querbes, des documents concernant le collège de cette ville et un exemplaire des Instructions pour le noviciat des C. S. V. du père Etienne Champagneur ; des archives d’Outremont, RL-1, RL-2, RL-3, RL-4, RD, RG-1 (il existe un cahier incomplet pour 1847–1848 attribué au père Champagneur), un autre exemplaire des Instructions pour le noviciat et les « Conférences du noviciat des Clercs de Saint-Viateur ».

Nous avons aussi utilisé : le Clerc de Saint-Viateur élevé à la perfection par la pratique de l’oraison [...] (3 vol., Joliette, 1869–1872) et les Annuaires de la Congrégation des Clercs de Saint-Viateur, 1918, 1925, 1931, 1943 (les Archives des Clercs de Saint-Viateur à Outremont possèdent une collection complète de ces annuaires dont le titre et le lieu de publication varient).  [b. l.]

ACAM, 420.080 ; 465.105 ; 901.055 ; 990.027.— Arch. de la Soc. hist. de Joliette, Cartable Antoine Manseau, curé.— Arch. de l’évêché de Joliette, Cartable collège de Joliette ; Cartable Saint-Charles-Borromée-de-L’Industrie, I.— Mélanges religieux (Montréal), 25, 28 sept. 1846, 2 juin, 24 août 1847.— Allaire, Dictionnaire.— Antoine Bernard, Vie du père Champagneur : fondateur au Canada de l’Institut de Saint-Viateur (Montréal, 1943).— Benoît Lévesque, « Les communautés religieuses françaises au Québec : une immigration utopique (1837–1874) ? Étude de sociologie historique », Éléments pour une sociologie des communautés religieuses au Québec, Bernard Denault et Benoît Lévesque, édit. (Montréal et Sherbrooke, Québec, 1975) ; « D’un projet primitivement utopique à une congrégation religieuse : sociologie génétique des Clercs de Saint-Viateur (1793–1859) » (thèse de doctorat, univ. de Paris V, 1975) ; « Naissance et implantation des Clercs de Saint-Viateur au Canada, 1847–1870 » (thèse de m.a., univ. de Sherbrooke, 1971).— J.-C. Robert, « L’activité économique de Barthélemy Joliette et la fondation du village d’Industrie (Joliette), 1822–1850 » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1971), 127–164.— Pierre Robert, Vie du père Louis Querbes, fondateur de l’Institut des Clercs de Saint-Viateur (1793–1859) (Bruxelles, 1922), 392s.— François Prud’homme, « Étude sur les divers recueils : instructions pour le noviciat », Feuillets querbésiens (Côteau-du-Lac), no 46 (1960) : 502–504 ; no 47 (1960) : 517–520.— J.-C. Robert, « Un seigneur entrepreneur, Barthélemy Joliette, et la fondation du village d’Industrie (Joliette), 1822–1850 », RHAF, 26 (1972–1973) : 375–395.

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Benoît Lévesque, « CHAMPAGNEUR, ÉTIENNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/champagneur_etienne_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
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