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CAUCHON, JOSEPH-ÉDOUARD, journaliste, homme d’affaires et homme politique, né à Québec le 31 décembre 1816, fils de Joseph-Ange Cauchon et de Marguerite Valée, décédé dans la vallée de la Qu’Appelle (Saskatchewan) le 23 février 1885.
Joseph-Édouard Cauchon était issu d’une des plus anciennes familles de la colonie. Son ancêtre Jehan Cochon, originaire de Dieppe, en Normandie, France, serait arrivé au Canada vers 1636 avec sa famille, dont un fils du nom de Jean. Venu comme colon et non comme engagé, Cochon obtint une concession dans la seigneurie de Beaupré, où portaient alors les efforts de peuplement et de colonisation de la nouvelle Compagnie des Cent-Associés. Son fils obtint une concession semblable à la même époque et, de 1652 à 1667, il occupa la fonction de procureur fiscal. Il faisait donc partie de la « bourgeoisie de la fonction publique », alors concentrée dans la région de Québec, dont l’activité était à la fois agraire et administrative. En 1680, le nom Cochon s’est écrit Cauchon, et cette graphie plus recherchée est restée en usage. La famille s’enracine sur la côte de Beaupré. Ce n’est qu’à la sixième génération, semble-t-il, qu’elle émigre vers la ville. On sait que Joseph-Ange est laitier à Québec quand il épouse Marguerite Valée le 14 avril 1814. Leur fils Joseph-Édouard naît deux ans plus tard, dans la paroisse Saint-Roch, à Québec.
Joseph-Édouard Cauchon fait ses études classiques au petit séminaire de Québec, de 1830 à 1839. En 1839, il entreprend son droit à l’étude de James George Baird et publie à Québec, en 1841, un manuel intitulé Notions élémentaires de physique, avec planches à l’usage des maisons d’éducation, d’une valeur scientifique et pédagogique modeste, mais qui attire l’attention sur son jeune auteur. En 1841–1842, Cauchon travaille comme rédacteur au Canadien, dont l’impression est assurée par Jean-Baptiste Fréchette, y remplaçant Étienne Parent* qui, en tant que député du comté de Saguenay, doit se rendre à Kingston, au Haut-Canada, où se tiennent les deux premières sessions de l’Assemblée législative du Canada-Uni. Cette expérience au journal le Canadien détermine profondément l’avenir de Cauchon. Même s’il est reçu au barreau en 1843, il ne pratiquera jamais le droit. Il sera journaliste et homme politique.
C’est avec son beau-frère Augustin Côté* que Cauchon lance le Journal de Québec, qui paraît le 1er décembre 1842. Cette publication succède à l’édition française de la Gazette de Québec qui, après quelques interruptions, a cessé de paraître le 29 octobre 1842, en raison de difficultés financières insurmontables. Cauchon est propriétaire du Journal de Québec de 1842 à 1862 et rédacteur de 1842 à 1875, sauf de 1855 à 1857 et en 1861, années au cours desquelles il est membre du ministère en place. Le Journal de Québec, bihebdomadaire in-folio de deux feuillets à l’origine, s’apparente aux autres journaux du xixe siècle, notamment par ses rubriques. De tendance réformiste, il traite principalement de politique et de religion. Il emprunte ses nouvelles provinciales et internationales aux journaux canadiens et étrangers et donne une large place aux activités municipales, économiques et littéraires de la région de Québec. Dans sa circulaire du 5 novembre 1842, le Journal de Québec prétend être un « palladium de la liberté ». Il se dit indépendant des hommes et des partis ; quand il appuiera les uns ou les autres, il le fera « uniquement par amour des principes ». Il est à la fois nationaliste et unioniste, « canadien » d’abord mais prêt à tendre « la main de bon cœur à tous ceux [...] qui désirent l’agrandissement et la prospérité de la patrie commune ». Cet idéal sera sérieusement entamé par la personnalité fougueuse, l’ambition et les intérêts personnels de Cauchon qui demeurera l’inspirateur du journal pendant presque toute sa carrière politique.
Il est difficile de mesurer l’œuvre journalistique de Cauchon, le Journal de Québec n’ayant pas encore fait l’objet d’une étude systématique. D’autre part, les témoignages des contemporains à son égard sont toujours entachés de partisanerie. Pour le libéral Laurent-Olivier David*, Cauchon aurait été un homme « ambitieux, violent, aimant l’argent, les honneurs, le luxe, peu scrupuleux, actif, plein de ressources et de moyens ». Au contraire, Alfred Duclos* De Celles, ami des conservateurs, admire Cauchon qui a « tout lu, tout retenu, histoire, droit constitutionnel, économie politique ». Pour la Patrie enfin, Cauchon a été un journaliste imprévisible pouvant dérouter les plus calmes de ses adversaires et il aurait été le seul « qui réussît jamais à faire sortir le sage et digne Étienne Parent de ses gonds ». De tous ces témoignages, contradictoires à maints points de vue, il reste que Cauchon s’est imposé comme journaliste par sa forte intelligence, son caractère violent et énergique et une plume mordante.
Cauchon et son puissant Journal de Québec prennent une part active à tous les débats publics du temps, qui se ramènent en dernière analyse à des débats politiques. Citons, à titre d’exemples, les débats contre George Brown* et le Globe sur les questions scolaires et religieuses et sur le principe de la représentation proportionnelle à la population ; contre Télesphore Fournier et Marc-Aurèle Plamondon du National (Québec) sur l’idéologie radicale des « rouges » (dont le nom, qui passera à l’histoire, fut d’ailleurs emprunté par Cauchon aux radicaux français) ; contre Louis-Antoine Dessaulles* et le Pays (Montréal) sur le caractère démocratique du gouvernement ; contre Joseph-Charles Taché* et le Courrier du Canada sur le principe de la confédération et sur la réforme scolaire.
Le plus célèbre de ces débats, celui sur la confédération, est à l’origine de deux opuscules de Cauchon sur le sujet. En 1858, Cauchon s’oppose à une première ébauche de confédération dans une série d’articles qu’il met en brochure à Québec sous le titre Étude sur l’union projetée des provinces [...]. Le projet est alors fort imprécis, et l’auteur l’étudie à partir de 27 hypothèses qui résument le problème de l’Union. En juillet 1864, alors que vient de s’établir la coalition entre George Brown et sir Étienne-Paschal Taché*, Cauchon reprend le sujet dans de nouveaux articles publiés à Québec entre le 12 décembre 1864 et le 8 janvier 1865. Ces derniers constituent l’essai politique intitulé l’Union des provinces de l’Amérique britannique du Nord, qui a été publié en français et en anglais et dont la valeur documentaire a été éprouvée par tous les historiens qui se sont penchés sur l’époque entourant la Confédération. L’auteur y liquide graduellement ses thèses de 1858 puis, après avoir présenté les grands moments de l’histoire constitutionnelle du Canada-Uni depuis 1840, il établit que l’union des provinces, pour former un tout ou une fédération, est devenue une nécessité politique. Il se fait ensuite le partisan d’une union fédérale forte, qui ressemblerait le plus à l’union législative et le moins à la constitution américaine. Enfin, il défend chacune des Soixante-douze Résolutions de Québec, que le parlement du Canada-Uni est appelé à ratifier dans un avenir très prochain, et conclut que la confédération projetée garantirait la sauvegarde des privilèges, droits acquis et institutions particulières du Bas-Canada. Cet écrit, qui appuie les partisans de la confédération, révèle l’appartenance politique de Cauchon ; celui-ci est devenu, en 1864, après 20 ans de vie politique, l’un des plus puissants conservateurs du Bas-Canada.
C’est en effet en 1844 que Cauchon entre en politique. Il est alors élu député du comté de Montmorency, triomphant de Frédéric-Auguste Quesnel*, et il représentera cette circonscription pendant toute sa carrière politique. En 1848 et en 1861, il est élu « par acclamation » ; en 1851, 1854, 1857 et 1863, il aura des opposants. Selon les mœurs du temps, plusieurs de ces élections sont marquées de corruption et de violence.
Dès son entrée au parlement du Canada-Uni, Cauchon associe son nom à ceux des hommes politiques qui doivent jouer un rôle déterminant dans l’histoire du pays. Il appuie la politique réformiste de Louis-Hippolyte La Fontaine* et de Robert Baldwin* ; avec Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, il fait la lutte pour que soit élu comme orateur (président) de la chambre Augustin-Norbert Morin*, parce qu’il est bilingue ; il part en guerre contre Louis-Joseph Papineau*, qu’il classe parmi ces « hommes qui sont puissants à détruire, mais qui n’ont jamais rien élevé sur les ruines qu’ils ont faites ». Au parlement, Cauchon appuie donc le grand compromis politique qui a suivi l’échec de la rébellion de 1837–1838 et mené à la responsabilité ministérielle. D’ailleurs, Cauchon défend l’Union à l’occasion d’un débat sur son rappel en 1849, parce qu’elle assure l’égalité de représentation au parlement et garantit ainsi la sécurité des institutions et des lois de chaque province. Mais en 1851 Cauchon manifeste son opposition, n’approuvant pas l’alliance du ministère, dirigé par Francis Hincks et Morin, avec les Clear Grits de Brown, dont il condamne les principes « démocratiques, socialistes et anticatholiques ». Il refuse même le poste de secrétaire adjoint de la province, sans siège au cabinet, que lui offre Hincks. L’attitude défiante de Cauchon à l’égard du ministère, qui s’exprime et au parlement et dans son Journal de Québec, contribue à affaiblir le gouvernement et le parti réformiste.
Cauchon, avec son « frère d’armes », Louis-Victor Sicotte, sera à l’origine de la défaite du ministère Hincks-Morin en 1854, épisode qui prépare la coalition libérale-conservatrice. Il salue avec joie ces événements de 1854, même s’ils anéantissent ses espoirs bien connus de devenir premier ministre du Canada-Uni. En effet, ses attentes étaient liées à la crise politique de 1854 que résout la coalition libérale-conservatrice. Sous le ministère de sir Allan Napier MacNab* et de Morin, en 1854, Cauchon appuie fermement les projets de loi abolissant le régime seigneurial et sécularisant les biens du clergé.
Quand le gouvernement est reconstitué en 1855, avec MacNab et Étienne-Paschal Taché, Cauchon s’affirme en présentant une loi qui devait rendre le Conseil législatif électif. Nommé commissaire des Terres de la couronne pour le Bas-Canada, la même année, il est maintenu à son poste par le nouveau gouvernement de Taché et de John Alexander Macdonald*. Il démissionne en avril 1857 sur la question du chemin de fer de la rive nord. L’histoire de celui-ci a réellement commencé en 1852, année où venait de s’ouvrir l’ère des chemins de fer canadiens. Il a été reconnu juridiquement en 1853, au moment même où le gouvernement décidait de subventionner la construction du Grand Tronc, de Montréal à Lévis, sur la rive sud. Les promoteurs d’un chemin de fer sur la rive nord entre Montréal et Québec ont demandé une aide semblable ; le gouvernement l’a refusée, déclarant que ce chemin de fer était d’intérêt local plutôt que provincial. Mais, convaincu que seul un chemin de fer sur la rive nord pouvait relever la position économique de Québec, Cauchon y a consacré toute son énergie à partir de 1855, multipliant les démarches afin d’obtenir les fonds nécessaires auprès de la ville de Québec, des différentes municipalités de la rive nord et des capitalistes londoniens, comme en témoigne sa correspondance. En 1857, les plans et devis sont prêts mais les capitaux manquent toujours. Cauchon adresse alors un ultimatum au gouvernement : il demande l’octroi de terres pour le chemin de fer et menace de démissionner de son poste de commissaire s’il n’obtient pas satisfaction. Le gouvernement accepte la résignation de Cauchon mais, quelques mois plus tard, il accorde 1 500 000 acres de terres incultes à l’entreprise. Il faut préciser que les terres concédées par le gouvernement aux compagnies de chemin de fer servaient, à l’époque, de garantie pour les emprunts que ces firmes devaient effectuer sur les marchés financiers. Pour sa part, la ville de Québec vote une subvention de $50 000. On doit pourtant suspendre le projet, les démarches auprès des capitalistes londoniens ayant été infructueuses. Le Grand Tronc est évidemment l’obstacle [V. James Bell Forsyth*], ce qui n’est pas pour réchauffer les sentiments de Cauchon envers des collègues, dont Étienne-Paschal Taché, personnellement engagés dans l’entreprise du Grand Tronc. Aussi se montre-t-il particulièrement jaloux de son autonomie politique après 1857, et ses votes en chambre oscillent-ils entre la droite et la gauche.
Cauchon devient même l’adversaire du gouvernement de Macdonald et de George-Étienne Cartier* en 1858, appuyant nettement le principe de la « double majorité » [V. Thomas-Jean-Jacques Loranger]. Au cours d’un débat parlementaire sur la question, Cauchon affirme que le principe fédéral, qui est à la base de l’Union des deux Canadas et qui a été sanctionné en 1848 par le gouvernement du pays, « ne peut être réel qu’en autant que les Conseillers Exécutifs pris dans une section de la Province, en possèdent la confiance exprimée par la majorité de ses représentants ». Sur deux questions majeures, le siège du gouvernement et le projet de loi sur les tarifs douaniers, celui-ci présenté par Alexander Tilloch Galt*, il vote encore contre le gouvernement Cartier-Macdonald et, dans son Journal de Québec, s’oppose au projet de confédération qui a été mis au programme ministériel sous la pression de Galt.
En somme, Cauchon manifeste certaines tendances libérales. Officiellement, cependant, il est toujours partisan du parti libéral-conservateur. Dans les années 1860, au cours desquelles les lignes des partis se sont fortement affermies, il appuie sans cesse le gouvernement conservateur. Il en est même le ministre des Travaux publics en 1861–1862 et, comme nous l’avons mentionné plus haut, après avoir été l’adversaire de tout changement constitutionnel, il devient en 1864 l’un des plus fervents partisans de la confédération. Au cours des débats sur le projet, il s’attarde surtout à expliquer les clauses relatives au sénat, à l’organisation judiciaire, au mariage et au divorce. Il se fait le défenseur d’un conseil législatif pour chaque province. Mais il s’oppose énergiquement à la clause devant accorder une protection spéciale à certains comtés anglophones du Bas-Canada, la considérant comme une offense aux Canadiens français qui ont toujours respecté les droits de la minorité protestante. Cet appui donné au projet fédératif ainsi que l’autorité dont il jouit à Québec et le respect qu’il suscite dans les milieux politiques le désignent tout naturellement, en 1867, pour le poste de premier ministre de la nouvelle province de Québec.
Dès le lendemain de la Confédération, Cauchon est appelé à former le gouvernement. Il se met à l’œuvre mais il rencontre un obstacle majeur qui le fait échouer. Pour une représentation adéquate des différents groupes sociaux au ministère, Cauchon offre à Christopher Dunkin, adversaire de la Confédération converti, le portefeuille de trésorier provincial. À la suggestion de Galt, Dunkin accepte à la condition que soit repris au parlement de Québec le projet d’Hector-Louis Langevin* sur l’éducation, projet qui a fait passer un moment critique au dernier gouvernement du Canada-Uni, en 1866. En effet, le projet Langevin, tel que présenté alors, devait accorder à la minorité protestante du Bas-Canada l’indépendance scolaire qu’elle désirait depuis longtemps et favorisait financièrement la majorité catholique. Inspiré par un sens élevé de la stratégie, un jeune Irlandais du Haut-Canada, Robert Bell*, déposa la même année un projet de loi sur l’éducation, qui était favorable à la minorité catholique du Haut-Canada mais qui n’avait aucune chance de passer au parlement. Dans son Journal de Québec, Cauchon appuya les réclamations de la minorité catholique du Haut-Canada et condamna les ministres qui refusaient de présenter le projet de Bell en corollaire à celui de Langevin ; bien que favorable à la reconnaissance des droits de la minorité protestante, il s’opposa, en plus, à l’établissement du poste de surintendant protestant de l’Éducation dans le Bas-Canada. Dans une telle impasse, Langevin retira son propre projet afin de ne pas exposer le ministère de Macdonald et de Narcisse-Fortunat Belleau* à une défaite. En 1867, Cauchon ne peut réintroduire un projet qui ne reconnaît pas, au départ, ses doléances. En conséquence, Dunkin est écarté. Se rendant à l’évidence que tout député protestant suivra, sous l’influence de Galt, l’exemple de Dunkin, Cauchon renonce à former : le gouvernement et, par le fait même, à devenir premier ministre de la province de Québec. Cependant, il demeure représentant de Montmorency à l’Assemblée législative de la province de Québec de 1867 à 1874.
Mais un homme de la trempe et de l’ambition de Cauchon ne peut se satisfaire d’un fauteuil de simple député au parlement de Québec. Il lance donc un ultimatum, en octobre 1867, à ses amis d’Ottawa. Il veut « l’emploi lucratif de sénateur et d’orateur du sénat ». Cette injonction précipite les événements : en six jours, Belleau résigne son siège pour la division de Stadacona et Cauchon lui succède puis occupe la présidence du sénat de novembre 1867 à mai 1869. Cette nomination est mal vue dans les milieux politiques, hostiles ou sympathiques au gouvernement. On dénonce « le mauvais coup » du ministère en des termes qui ont parfois la portée de l’insulte. Ainsi, le sénateur George Crawford* reproche-t-il au gouvernement d’avoir envoyé au sénat « le seul Cochon de la Chambre », précisant : « c’est un cochon dans son apparence, dans sa démarche, dans ses manières à table et au Parlement ». Cette nomination faite malgré tant d’opposition démontre assez la force, voire la domination, qu’exerce Cauchon sur le parti conservateur, non seulement dans la région de Québec mais aux deux niveaux du gouvernement.
La puissance de Cauchon s’exerce à un autre palier. Il est maire de Québec de 1865 à 1867, accomplissant une œuvre difficilement appréciable, vu qu’il n’a produit aucun rapport, ce que lui reprochent, à juste titre, ses ennemis politiques. L’événement majeur survenu pendant son mandat est l’incendie qui, le 14 octobre 1866, détruit totalement les faubourgs Saint-Roch et Saint-Sauveur, soit près de 3 000 maisons, laissant 15 000 personnes sans abri. L’effort de Cauchon consiste donc à organiser une brigade d’incendie permanente au coût de $38 120, comprenant le télégraphe d’alarme électrique. À cette fin, il hausse le budget du comité des incendies de la ville de Québec de $4 000 à $9 000. De plus, il aurait recueilli, grâce à une collecte, plus de $500 000 pour les sinistrés. Mais il est littéralement écrasé aux élections municipales de décembre 1867 par John Lemesurier, qui jouit de l’appui de la classe ouvrière.
Évincé et du ministère provincial et du conseil municipal de la ville de Québec, Cauchon doit donc concentrer le gros de son énergie au sénat. Mais la chambre haute est une arène beaucoup trop paisible et calme pour lui. Aussi donne-t-il sa démission le 30 juin 1872 pour retourner, après un bref mandat en 1867, à la chambre des Communes comme député indépendant de Québec-Centre, le 7 août 1872. Aux élections, son adversaire est James Gibb Ross qui représente la minorité protestante anglaise de Québec. La lutte, « la plus ardente qu’on ait jamais vue à Québec », en devient une entre nationalités et elle est marquée par un échange de coups de revolver dans le cimetière protestant de la rue Saint-Jean. Cette bataille laisse de nombreux blessés dans les deux camps et un mort chez les partisans de Ross. Parce qu’il a beaucoup d’influence à Québec comme président de la Compagnie du chemin de fer de la rive nord, comme administrateur de banques et propriétaire de l’asile de Beauport (centre hospitalier Robert-Giffard) et du Journal de Québec, Cauchon remporte la victoire. Il est aussi, semble-t-il, dans une situation économique favorable, étant également un des administrateurs de la Compagnie du chemin de fer Interocéanique du Canada (1872–1873). À Québec, on le dit riche. En fait, il mène une vie de pacha. Sa maison de pierre, au 63 rue d’Auteuil, achetée en 1855, a quelque chose du palais et du musée. D’une architecture somptueuse, elle renferme, dans des chambres réservées à cet effet, les nombreuses œuvres d’art que Cauchon a rapportées de ses fréquents voyages en Europe.
Le crédit de Cauchon, associé à son beau-frère dans la firme A. Côté & Co., est bien coté par la R. G. Dun and Company de New York (maison déterminant la cote de crédit des compagnies). D’après les courts commentaires du registre manuscrit d’informations sur le crédit de la ville de Québec pour les années 1855–1863, il est clair que les deux hommes ne possèdent à peu près rien en 1855, bien qu’ils soient en affaires depuis près de 15 ans. Leur crédit ne repose alors que sur le « patronage » gouvernemental dont jouit le Journal de Québec. Mais, dans les années postérieures à 1857, alors que le favoritisme politique a cessé provisoirement, on leur accorde la même cote à New York, parce qu’on reconnaît en eux « des hommes d’affaires sûrs, qui disposent d’un capital suffisant ». En 1861, le registre mentionne qu’en plus les deux hommes ont pour eux l’appui du clergé et une influence auprès du gouvernement, Cauchon étant alors ministre des Travaux publics, bien payé par les faveurs gouvernementales. Mais il est sûr que Cauchon s’est enrichi à d’autres sources et que la spéculation foncière a été son meilleur filon, comme en témoignent les nombreux actes notariés que nous avons pu retracer.
En 1873, des événements réveillent de nouveau l’ambition et les espoirs de Cauchon. Le mandat du lieutenant-gouverneur Belleau venant à échéance, Cauchon convoite le poste. Mais il a beaucoup trop d’ennemis politiques et son prestige est en perte de vitesse, de sorte qu’on ne pourra lui confier la fonction de lieutenant-gouverneur. En effet, l’affaire de l’asile de Beauport a grandement porté atteinte à son crédit dans la province. Malgré des subterfuges fort habiles, il a été prouvé que, depuis 1866, Cauchon était le véritable propriétaire de l’asile, que les docteurs Jean-Étienne Landry et François-Elzéar Roy ne lui servaient que de prête-noms et qu’il retirait tous les bénéfices de l’entreprise. Or, l’asile recevait à l’époque des subventions du gouvernement du Canada-Uni, et de celui du Québec après 1867, ce qui créait pour Cauchon, alors membre de l’Assemblée législative, un conflit d’intérêts. Mais ce n’est qu’en 1871 que l’opposition parlementaire à l’Assemblée législative du Québec essaya d’en faire un scandale qui amènerait la chute du gouvernement. Cauchon demeura le plus habile, cependant. Son mandat fut contesté à la session de décembre 1871, mais le comité chargé de l’enquête ne put arriver à des conclusions, faute d’un témoin important. Entre-temps, Cauchon vendit tous ses intérêts au docteur Roy. Le comité reprit son enquête à la session de 1872 et fit son rapport à l’Assemblée législative. Au moment où les députés étaient appelés à se prononcer sur la validité de l’élection de Cauchon, celui-ci fit parvenir à l’orateur sa résignation, le 10 décembre 1872. Il brigua de nouveau les suffrages dans Montmorency et reprit son siège à l’Assemblée à la fin de la session et le garda jusqu’en 1874 ; il démissionna alors définitivement de ce poste par suite de l’abolition du double mandat.
À la mort de Cartier en mai 1873, Cauchon ambitionne la succession à la direction de l’aile québécoise du parti conservateur, mais personne ne veut de lui, ni à Montréal ni à Québec. À la suite de cette nouvelle déception, il s’allie tacitement à l’opposition libérale de la chambre des Communes. À l’occasion du scandale du Pacifique, il rend public son changement d’allégeance et se fait l’un des plus cinglants adversaires de ses anciens amis politiques.
En cette même année, Cauchon connaît aussi des déboires à la direction du chemin de fer de la rive nord. Par suite des pressions d’un lobby composé de plusieurs députés des circonscriptions situées entre Québec et Montréal, la compagnie a été reformée en 1870 par une loi spéciale accordant de nouvelles subventions en terres et en argent, et Cauchon en est devenu le président, y consacrant beaucoup d’énergie avec la vigueur qui lui est propre. Il a entrepris une véritable campagne, de ville en ville, et obtenu un nombre appréciable de promesses de subventions de la ville de Québec, évaluées à $1 000 000, de Trois-Rivières et des localités concernées. Mais il a été moins heureux dans les campagnes. Les comtés de L’Assomption et de Champlain se sont opposés, sous la pression des ultramontains, à toute contribution, ce qui a brisé l’unanimité exigée des comtés de la rive nord pour la réalisation du projet. Concrètement, la résistance s’est faite autour du tracé, mais elle peut s’expliquer par des divergences de vues et des conflits d’intérêts. Le chemin de fer avait pour but de favoriser le commerce et l’industrie sur la rive nord, alors que l’idéologie conservatrice dominant dans certaines régions prônait la colonisation comme priorité de l’économie provinciale. C’est pourquoi les ultramontains, qui avaient subi les attaques de Cauchon lors de la publication du Programme catholique [V. François-Xavier-Anselme Trudel], profitèrent de l’occasion pour se payer une vengeance politique aux dépens de l’entreprise qu’il présidait, en dépit des avantages financiers indéniables. Néanmoins, Cauchon précipite la mise en chantier du chemin de fer, après avoir accordé le contrat à une firme de Chicago. Mais celle-ci ne peut obtenir sur le marché londonien les capitaux nécessaires à l’exécution des travaux. En conséquence, Cauchon se retrouve de nouveau devant un échec, et l’arme du ridicule, dont il a si souvent usé envers tous et chacun, se retourne contre lui. En mai 1873, il est évincé de la compagnie à la suite du complot d’un groupe de financiers de Québec qui réussissent à manipuler l’élection des administrateurs. Le nouveau président est James Gibb Ross que Cauchon a battu « férocement » aux élections fédérales précédentes.
C’est donc un homme déçu à maints points de vue, aigri et plus agressif que jamais que les libéraux reçoivent dans leurs rangs à la fin de 1873, au moment du scandale du Pacifique. Il ne fait aucun doute que Cauchon soit, dans cette volte-face, un opportuniste. Il ne peut croire sérieusement au libéralisme politique. Dans quelque temps, il sera partisan de l’union de tous les hommes de mêmes principes, libéraux ou conservateurs ; c’est même lui qui serait le chef de ce parti de l’union qui, en fait, ne verra jamais le jour.
Néanmoins, Cauchon, qui n’est pas compromis par un passé libéral et qui a ses entrées dans les milieux cléricaux de Québec, est d’un précieux secours pour Alexander Mackenzie*. Il contribue au règlement de l’épineuse question de l’amnistie des chefs métis, dont Louis Riel, et de celle des écoles du Nouveau-Brunswick ; il sert d’intermédiaire entre le parti libéral et l’Église catholique et, par un mémoire adressé à Rome, il contribue à la réhabilitation du parti dans la province de Québec ; au moment où « l’influence indue » pose la question des relations Église-État dans le pays, il rédige, à la demande du clergé et avec l’appui des députés libéraux fédéraux, un autre factum qui influencera sûrement l’attitude de Rome après l’enquête de Mgr George Conroy*. Tenant compte de l’influence comme de l’expérience de Cauchon, Mackenzie lui confie donc la présidence du Conseil privé du Canada en décembre 1875. Il fait de vains efforts pour le nommer ministre de la Justice ; il parvient cependant à lui confier le ministère du Revenu de l’Intérieur le 8 juin 1877. Mais Cauchon, toujours tranchant, rébarbatif et querelleur, devient vite un fardeau pour le gouvernement libéral. Il est même à l’origine de divisions parmi les libéraux québécois. Wilfrid Laurier* prétend que le bonheur de ces derniers « sera complet quand le vieux Joe aura été chassé du temple ». En vue des élections générales de 1878, Mackenzie se trouve donc obligé de renvoyer Cauchon afin de faire place à Laurier au cabinet et de refaire ainsi l’unité de l’aile québécoise du parti. C’est ce qu’il explique très clairement à George Brown : « J’ai averti Cauchon que je ne pouvais plus le garder [au cabinet] ; que sa présence nous avait fait tort partout [au pays] ; et que, juste ou injuste, le ressentiment qu’il suscitait était si fort et si répandu que j’ai convenu de ne pas entreprendre les élections avec lui. »
Mais Cauchon n’est pas homme à subir une rebuffade sans compensation, fût-ce au prix de l’exil ; il accepte le poste de lieutenant-gouverneur du Manitoba le 4 octobre 1877. Cette nomination suscite des commentaires fort variés. Dans la province de Québec, quelques-uns la justifient par la longue expérience parlementaire de Cauchon, sa vaste connaissance du droit constitutionnel et son bilinguisme. Mais, en général, on reproche à Mackenzie d’avoir préféré Cauchon à de meilleurs candidats dans le seul but de faire maison nette au gouvernement en vue des élections générales. La désignation soulève plus de critiques en Ontario. Ainsi, le Mail offre ses sincères condoléances « à la population du Manitoba qui méritait un meilleur sort » et le Grip (Toronto) associe Cauchon à l’enfant non désiré ayant été « abandonné au Manitoba par une mère déçue, le gouvernement Mackenzie ». Au Manitoba, la nomination de Cauchon réveille l’antagonisme racial et suscite un débat nationaliste entre la Manitoba Daily Free Press de Winnipeg et le Métis de Saint-Boniface. Entre 1871 et 1875, l’immigration de langue anglaise, surtout de l’Ontario, n’a cessé d’augmenter, de sorte que la population anglophone est devenue majoritaire et dispose de la balance du pouvoir. En milieu anglophone, on craint donc que Cauchon ne respecte pas les vœux, voire les lois, de la majorité, et travaille au profit de la minorité francophone. En somme, on craint la dictature. En milieu francophone, le choix suscite « une lueur d’espoir » que Mgr Alexandre-Antonin Taché* exprime en ces termes : « La nomination d’un Canadien français est aussi extraordinaire que l’arrivée du chemin de fer. »
Cauchon entre en fonction le 2 décembre 1877. La mort de sa femme, Marie-Louise Nolan, quatre jours plus tard, apaise les critiques, ce qui permet à Cauchon de commencer son mandat dans le calme. D’ailleurs, il a l’occasion de faire connaître ses intentions pacifiques : « Je ne suis pas le représentant d’une croyance ou d’une nationalité [...] Mon devoir consiste à faire respecter la loi, à ne favoriser aucun citoyen mais à rendre justice à tous. » En fait, au Manitoba, il se limite au rôle que lui reconnaît la constitution. Il laisse gouverner ceux qui en sont chargés et se fait généralement le simple intermédiaire entre le gouvernement fédéral et la province. En 1878, il réserve au gouverneur général la sanction de la loi visant à abolir la publication en français des documents officiels de la province. Dans une lettre à Mgr Taché, il commente son geste et se révèle engagé quant à l’avenir du français au Manitoba : « J’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai même dépassé ma sphère pour remédier au mal [...] la langue française est à l’abri. Pour quel temps, je l’ignore car je ne suis pas sûr que l’acte du Manitoba qui, du reste, est très vague ne puisse pas être attaqué par votre législature provinciale quand celle-ci le voudra [...] Le seul remède est une immigration française du Bas-Canada que son clergé devrait encourager de toute son influence et de toute son action. Ne vaut-il pas mieux que nos compatriotes viennent ici que d’aller aux États-Unis ? » Déçus par ce qu’ils ont qualifié de « politique de l’indifférence », certains, comme Frank Achitalel Milligan dans son étude sur les lieutenants-gouverneurs du Manitoba, ont vu en Cauchon un « roi fainéant » et affirmé que, sous son mandat, le prestige du lieutenant-gouverneur a été à son plus bas. Mais le reproche le plus généralement exprimé, à savoir le manque d’influence de Cauchon à Ottawa auprès de Mackenzie d’abord puis auprès de Macdonald, laisse penser qu’on avait une fausse notion de la fonction de lieutenant-gouverneur. En somme, on peut se rallier au jugement de Joseph Dubuc* : « Cauchon a administré le gouvernement avec justice et impartialité. » Il quittera son poste le 1er décembre 1882.
En affaires, l’activité de Cauchon au Manitoba est indéniable et elle peut d’autant plus scandaliser ceux qui n’apprécient pas son rôle discret en politique. Arrivé à Winnipeg au moment du boom économique causé par la construction du chemin de fer, Cauchon y continue le jeu de spéculation grâce auquel il s’est déjà enrichi à Québec. Au dire de Dubuc, il réalise des bénéfices de l’ordre de $500 000. Pour sa part, en mars 1882, la Manitoba Daily Free Press affirme tenir de source autorisée venant d’Ottawa que Cauchon a déjà réalisé $1 000 000 de profits. À titre d’exemples des spéculations de Cauchon, citons la vente, en trois soirs, de 120 lots au prix de $15 243,50 à Point Douglas (maintenant partie de Winnipeg) et une autre vente de 470 acres de terre à Saint-Boniface au prix de $283 000. En décembre 1880, Cauchon achète au prix de $60 000 un terrain au cœur de Winnipeg, face au nouvel édifice de la Hudson’s Bay Company. Il y élève un somptueux édifice de style grec, comprenant quatre étages destinés à loger des bureaux et des magasins. Le coût de construction de cet édifice, connu sous le nom de Cauchon Block, est évalué à $100 000. Mais surpris et ruiné par le krach de 1882, Cauchon doit abandonner son « palais » à ses créanciers en septembre 1884, après y avoir habité quelques mois, ayant décidé de demeurer à Winnipeg à la fin de son mandat. Il se retire ensuite, avec son fils Joseph, sur un homestead, Whitewood, dans la vallée de la Qu’Appelle. Il y vit « à la galette et au bacon » et meurt le 23 février 1885.
Cauchon s’est marié trois fois, ce qui a fait dire à Robert Rumilly qu’il avait « le physique de Barbe-Bleue ». Le 10 juillet 1844, il a épousé à Québec Julie Lemieux, et le couple a eu deux enfants, Joseph et Joséphine, puis, en 1866, il a épousé Marie-Louise Nolan, et un fils, Nolan, est né de ce mariage ; et, le 1er février 1880, il a pris pour épouse à Chicago Emma Lemoine, d’Ottawa.
Cauchon a fait son testament à Winnipeg le 12 février 1884. Après avoir disposé d’effets personnels, il laissait à sa femme la moitié de ses biens ; à son fils mineur Nolan, $2 500, plus le tiers du reste qu’il partageait en parts égales entre ses trois enfants. Nous n’avons trouvé aucun acte notarié concernant les biens que Cauchon aurait pu posséder encore dans la province de Québec au moment de sa mort. Vraisemblablement, son héritage se limitait donc aux seuls biens du Manitoba, officiellement évalués à $150, et à l’indemnité de £1 329 12 shillings (ou environ $6 468,29) que la Colonial Life Assurance Company versa à ses héritiers, le 26 juin 1885.
Plus que tout autre ou, du moins, de façon plus perceptible, Cauchon a collé à l’intrigue et à « l’intrigue vicieuse », dans son Journal de Québec, sa carrière politique et son activité financière. Il n’y a aucun doute qu’il a su concilier ses principes avec ses intérêts, qu’il a fait du journalisme le tremplin de sa carrière politique et, de sa carrière politique, le carrefour de ses transactions financières. Pendant 30 ans, il a été l’homme fort du district de Québec, faisant la pluie et le beau temps dans différents secteurs de l’activité humaine. Au cours de ses études au petit séminaire de Québec, à un prêtre qui lui conseillait de renoncer à son nom qui prêtait au ridicule pour le surnom de la famille (Laverdière), il avait répondu : « je m’appellerai Cauchon tout court, et je forcerai bien les rieurs à baisser la tête devant ce nom-là ». Telle a été la vie mouvementée de Cauchon : un défi constant, un incessant combat.
Joseph-Édouard Cauchon est l’auteur de : Aux électeurs du Bas-Canada (Québec, 1863) ; Étude sur l’union projetée des provinces britanniques de l’Amérique du Nord (Québec, 1858) ; Notions élémentaires de physique, avec planches à l’usage des maisons d’éducation (Québec, 1841) ; l’Union des provinces de l’Amérique britannique du Nord (Québec, 1865).
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Andrée Désilets, « CAUCHON, JOSEPH-ÉDOUARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/cauchon_joseph_edouard_11F.html.
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Auteur de l'article: | Andrée Désilets |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |