Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3213793
CASGRAIN, HENRI-RAYMOND, prêtre catholique, auteur, éditeur et historien, né le 16 décembre 1831 à Rivière-Ouelle, Bas-Canada, cinquième des 14 enfants de Charles-Eusèbe Casgrain* et d’Eliza Anne Baby ; décédé le 11 février 1904 à Québec.
Lorsque Henri-Raymond Casgrain entra au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière le 23 février 1843, il possédait déjà le goût de l’étude et de la lecture que lui avait communiqué sa mère. Son intérêt pour l’histoire du Canada se développa au collège sous l’influence de l’abbé Jean-Cléophas Cloutier, tandis que l’abbé Pierre-Henri Bouchy l’initia à la littérature française. Premier en rhétorique et « un des meilleurs talens de sa classe en philosophie surtout », Casgrain s’inscrivit à l’école de médecine et de chirurgie de Montréal à l’automne de 1852, mais il se rendit vite compte que cette profession ne lui convenait pas.
Le 2 février 1853, Casgrain entreprit ses études en théologie au grand séminaire de Québec. À la suite d’une bronchite contractée au printemps de 1854, il passa quelques mois dans sa famille. L’archevêque de Québec, Mgr Pierre-Flavien Turgeon*, l’autorisa à poursuivre son cours de théologie au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, où il enseigna la littérature, le catéchisme et le dessin. Casgrain fut ordonné prêtre dans ce collège le 5 octobre 1856. Des ennuis de santé l’obligèrent toutefois à quitter l’enseignement trois ans plus tard. On le nomma vicaire à la paroisse de La Nativité-de-Notre-Dame à Beauport en 1859.
Casgrain s’adonna alors à la littérature. En 1860, il publia dans le Courrier du Canada deux légendes canadiennes-françaises sous le pseudonyme de Mme E. B., initiales de sa mère. Il écrivit sa première légende, « le Tableau de la Rivière-Ouelle », en hommage au poète Octave Crémazie* et dédia la seconde, « les Pionniers canadiens », à l’historien François-Xavier Garneau*. Il espérait gagner la faveur des deux hommes et ainsi accéder plus rapidement au milieu littéraire québécois, où l’un et l’autre exerçaient une influence déterminante. Sa nomination comme vicaire de Notre-Dame de Québec, le 5 mai 1860, combla ses attentes puisqu’il pouvait fréquenter assidûment la librairie de Crémazie, où se rencontraient François-Xavier Garneau, Jean-Baptiste-Antoine Ferland*, François-Alexandre-Hubert La Rue*, Joseph-Charles Taché*, Étienne Parent*, Antoine Gérin-Lajoie*, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* et les jeunes poètes Alfred Garneau, Louis Fréchette et Pamphile Le May*. Avec la parution en septembre 1860 d’une troisième légende, « le Saint-Laurent, fantaisie », écrite en hommage à Taché, Casgrain comptait se faire accepter parmi les écrivains.
Le mouvement littéraire qui s’amorçait alors donna naissance à deux revues publiées à Québec, les Soirées canadiennes et le Foyer canadien, qui contribuèrent à l’essor des lettres canadiennes-françaises. En tant que membre fondateur des Soirées canadiennes en 1861, Casgrain, plein de zèle et d’enthousiasme, vit à la bonne marche de la revue ; il recueillait les textes, corrigeait les épreuves, encourageait les écrivains à raconter des légendes canadiennes en prose ou en poésie. Il publia lui-même une quatrième légende, « la Jongleuse », en 1861.
À la suite d’un conflit avec les éditeurs Jean-Docile et Léger* Brousseau, Casgrain et quatre autres membres des Soirées canadiennes quittèrent la revue et devinrent éditeurs-propriétaires du Foyer canadien en 1863. Casgrain s’y dévoua entièrement en corrigeant les épreuves du roman les Anciens Canadiens de Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé et en préparant le deuxième tome de la Littérature canadienne de 1850 à 1860, offert en prime pour l’année 1864 et qui contenait les poèmes de Crémazie parus dans les périodiques et le roman « le Chercheur de trésors ou l’Influence d’un livre » de Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé.
Grâce au prestige que Casgrain avait acquis au cours des dernières années, il se sentit prêt à tracer la voie de la littérature dans un essai qu’il publia dans le Foyer canadien en 1866 sous le titre de « le Mouvement littéraire en Canada ». Toutefois, il n’innovait pas autant qu’il croyait puisque plusieurs idées étaient déjà véhiculées par d’autres depuis longtemps. Son mérite est d’avoir synthétisé les aspirations patriotiques des intellectuels canadiens-français. Ses directives furent suivies pendant de nombreuses années par les écrivains qui virent dans ce manifeste les jalons d’une littérature nationale toute orientée vers le patriotisme et la religion.
À l’époque, Casgrain jouissait déjà d’une certaine renommée, d’autant plus qu’il avait à son actif son recueil Légendes canadiennes (Québec, 1861), un ouvrage historique, Histoire de la mère Marie de l’Incarnation [...] (Québec, 1864), et des biographies de ses contemporains : Antoine-Sébastien Falardeau* (1862), Auguste-Eugène Aubry (1865), François-Xavier Garneau (1866), Jules-Isaïe Benoît*, dit Livernois (1866), et Georges-Barthélemi Faribault* (1867). Outre ses activités littéraires, il sympathisa discrètement au gaumisme canadien dans les années 1865–1868 [V. Alexis Pelletier].
Quoiqu’une maladie des yeux l’incommodât toute sa vie, Casgrain demeura plein d’énergie. Son recueil de poésies les Miettes : distractions poétiques ([Québec], 1869) qu’il dédia à son ami Antoine Gérin-Lajoie fit suite à deux années de maladie. Au début des années 1870, il publia des biographies de Philippe-Joseph Aubert de Gaspé (1871) et de l’historien américain Francis Parkman* (1872), ainsi que des portraits caricaturaux de ses contemporains dans l’Opinion publique (1872) sous le pseudonyme de Placide Lépine. Enfin, il formula dans Critique littéraire (Québec, 1872) ses idées sur le sujet en proposant des critères d’analyse pour une critique « saine et vigoureuse ».
En septembre 1872, Casgrain abandonna définitivement le ministère pour des raisons de santé et se retira à Rivière-Ouelle pendant quelques années. Le surintendant du département de l’Instruction publique, Gédéon Ouimet, fit appel à ses services en 1876 pour établir « une série de livres de prix d’école canadiens ». Son rôle consistait à choisir les auteurs et les ouvrages qui représentaient le plus d’attrait pour le public canadien. Casgrain devint l’intermédiaire entre le département de l’Instruction publique et l’imprimeur. L’accord établissait la liste des ouvrages canadiens à donner en prix, le nombre à fournir au gouvernement ainsi que les coûts à payer à l’imprimeur et au relieur.
En dix ans, le département de l’Instruction publique acheta environ 80 000 volumes des imprimeurs Léger Brousseau et Augustin Côté. Casgrain vendait au gouvernement les volumes plus cher qu’ils lui coûtaient. Une fois les imprimeurs et le relieur payés, il réalisait un bénéfice substantiel, soit plus de 1 000 $ par année. Il redistribua ces profits à des communautés religieuses moyennant une rente viagère de 6 % à 8 %. Casgrain devint ainsi un écrivain très à l’aise financièrement, compte tenu des revenus importants qu’il tirait de la vente de droits d’auteur, de la publication d’articles et de son rôle d’éditeur.
Pendant ces années, Casgrain publia deux ouvrages historiques, Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec (Québec, 1878) et Une paroisse canadienne au xviie siècle ([Québec], 1880), et fit réimprimer des biographies. De plus, il assuma, avec la collaboration d’Honoré-Julien-Jean-Baptiste Chouinard, la responsabilité de la publication des Œuvres complètes d’Octave Crémazie, ouvrage paru à Montréal en 1882. La même année, il devint membre de la Société royale du Canada ; il y présenta d’ailleurs plusieurs conférences, principalement sur les Acadiens.
Casgrain fut un grand voyageur. Il effectua 16 traversées en Europe entre 1858 et 1899 et de nombreuses visites aux États-Unis. Il quittait le Canada chaque hiver, car les reflets du soleil sur la neige affectaient ses yeux. Outre qu’ils étaient bénéfiques pour sa santé, ces voyages lui offraient aussi une excellente occasion de parfaire ses connaissances et d’approfondir l’histoire du Canada. À l’étranger, Casgrain multiplia les rencontres, se lia d’amitié avec les descendants des grandes familles françaises, les archivistes, les bibliothécaires, les historiens et les écrivains. Il en profitait pour mettre en valeur son rôle de représentant de l’élite canadienne-française. Outre ce côté solennel, Casgrain tirait avantage de ses séjours en Europe pour copier ou faire copier des documents sur le Canada, assister à des conférences et aller à l’opéra et au théâtre.
Casgrain fut aussi professeur d’histoire de la littérature à la faculté des arts de l’université Laval de 1887 à 1895, puis professeur d’histoire de 1895 à 1904. À partir de 1887, les écrits historiques dominent sa production. Dans Un pèlerinage au pays d’Évangéline, publié à Québec en 1887 et couronné par l’Académie française l’année suivante, Casgrain raconte tous les malheurs que les Acadiens subirent lors de leur dispersion. Il contribua à une meilleure connaissance de l’histoire du Canada non seulement par ses ouvrages mais aussi par les documents qu’il fit copier, notamment la collection des manuscrits de François de Lévis* réunie en 12 volumes qu’il édita pour le gouvernement et qui fut publiée de 1889 à 1895. Ce travail devait s’avérer d’une valeur inestimable pour les futurs historiens du Canada. En ayant recours aux documents de l’époque pour tracer le portrait de l’Ancien Régime dans Montcalm et Lévis (Québec, 1891), Casgrain signait l’une de ses œuvres importantes. Ardent défenseur du peuple acadien, il publia Une seconde Acadie [...] (Québec, 1894) et les Sulpiciens et les Prêtres des Missions-Étrangères en Acadie (1676–1762) (Québec, 1897), où il montrait l’attachement des Acadiens à leur religion et l’importance du clergé qui dirigeait le peuple.
L’année 1898 fut marquée par un épisode peu reluisant dans la vie de Casgrain : il retoucha le texte de l’inscription du monument à Samuel de Champlain*, à Québec, que Narcisse-Eutrope Dionne* avait préparé à la demande d’un comité. Corriger le libellé de l’inscription sans l’assentiment du comité, s’en approprier le mérite et tenter de se justifier dans une brochure à tirage limité, tout cela révèle un personnage imbu de lui-même et qui recherche les honneurs individuels. Son attitude illustre bien qu’il agissait encore pour son profit personnel comme il l’avait fait lorsqu’il avait revendiqué la propriété littéraire des Œuvres complètes de Crémazie en 1882 et celle des Anciens Canadiens d’Aubert de Gaspé en 1883.
Casgrain consacra ses dernières années d’écriture à la rédaction de ses mémoires. Son ouvrage « Souvenances canadiennes » écrit entre 1899 et 1902 contient beaucoup d’anecdotes sur sa vie, ses voyages, les gens qu’il a rencontrés et divers épisodes sur les mœurs canadiennes-françaises. Dans « la Vie de famille », ouvrage inachevé, il dépeint avec coloris des petits tableaux de la vie champêtre, tels la fenaison, la moisson, le broyage du lin, la chasse. Après avoir exercé le métier d’écrivain pendant plus de 40 ans, Casgrain dut interrompre sa production à cause de sa cécité.
Le nom de Casgrain est étroitement lié à l’histoire littéraire canadienne de la seconde moitié du xixe siècle. Tour à tour conteur, biographe, poète, critique et historien, il a produit une trentaine d’ouvrages littéraires et historiques qui, malgré certaines faiblesses, furent prisés du public car ils s’inscrivaient dans le goût de l’époque par leur style romantique. Casgrain a cru en la viabilité d’une littérature nationale et il s’est donné entièrement à cette cause. En proposant une littérature canadienne moralisante et patriotique, il a incité les écrivains à produire des œuvres inspirées du milieu canadien. Son vrai ministère a donc été de promouvoir la saine littérature, de critiquer les écrivains avec bienveillance et d’être leur confident.
Comme historien, Casgrain n’avait pas l’impartialité et l’exactitude de Garneau et de Ferland. Il a manqué d’objectivité dans l’interprétation des faits et l’analyse des documents. Autant dans ses critiques que dans ses écrits, il a vu l’histoire du point de vue catholique et canadien-français, en mettant en lumière les valeurs religieuses et en exaltant le patriotisme de ses concitoyens. Malgré tout, il occupe une place importante parmi les historiens de la seconde moitié du xixe siècle, car il a su animer ses récits et présenter des textes cohérents avec un plan bien défini.
Homme de lettres renommé, Casgrain a laissé une œuvre où la couleur locale ne fait pas défaut. Plusieurs de ses ouvrages d’ailleurs peignent avec minutie divers aspects de la vie champêtre. Dans Légendes canadiennes, il fait preuve d’une imagination toute romantique. Néanmoins, à côté des pages agréables qui décrivent avec sobriété les scènes pittoresques de la vie canadienne-française, on déplore la lourdeur de son style et surtout les récits macabres sur la férocité des Indiens. Ses biographies de contemporains se veulent un témoignage sur ceux qui ont contribué à faire mieux connaître le Canada. Malgré bien des digressions, elles s’appuient sur des documents jusque-là inédits et d’un grand intérêt. Avec les années, Casgrain a su raffermir son écriture et présenter des textes intéressants. Enfin, ses récits de voyages et ses mémoires conviennent davantage à son style puisqu’il laisse alors courir sa plume afin de rapporter ce qu’il observe, ce qu’il connaît, mais aussi ce qu’il pense des hommes et des événements.
Homme énergique, vaniteux et opportuniste, Henri-Raymond Casgrain a mené une vie aisée dont il a pleinement profité malgré une maladie des yeux qui l’a incommodé toute sa vie. Louangé par les uns et critiqué par les autres, il n’a pas laissé son entourage indifférent. Il s’avère un personnage important du xixe siècle canadien tant par ses activités que par ses œuvres. Personnalité très attachante, mais aussi très complexe, on a relevé chez lui des petitesses qui ne doivent pas faire oublier tout ce qu’il a réalisé pour promouvoir et populariser la littérature canadienne au Canada et à l’étranger.
La bibliographie la plus complète sur les écrits d’Henri-Raymond Casgrain et les études le concernant se retrouve dans notre thèse, « l’Abbé Henri-Raymond Casgrain, l’homme et l’œuvre » (thèse de ph.d., univ. d’Ottawa, 1977). [j.-p. h.]
AC, Québec, État civil, Catholiques, Saint-Jean-Baptiste (Québec), 15 févr. 1904.— ANQ-BSLGIM, CE4-1, 16 déc. 1832.
Jean-Paul Hudon, « CASGRAIN, HENRI-RAYMOND », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/casgrain_henri_raymond_13F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Paul Hudon |
Titre de l'article: | CASGRAIN, HENRI-RAYMOND |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |