CALVIN, DILENO (Deleno) DEXTER, marchand de bois, transitaire, homme d’affaires et homme politique, né le 15 mai 1798 à Clarendon, près de Rutland, Vermont, quatrième des cinq enfants de Sandford Jenks Calvin et d’Abigail Chipman ; en 1831, il épousa Harriet Webb (décédée en 1843) puis, en 1844, Marion Maria Breck (décédée en 1861) et enfin, en 1861, Catherine Wilkinson (décédée en 1911) ; six enfants naquirent de chacun de ses deux premiers mariages et deux du troisième, mais seulement six parvinrent à l’âge adulte ; décédé le 18 mai 1884 à Garden Island, Ontario.

Le père de Dileno Dexter Calvin, avocat obscur qui se fit fermier, mourut alors que celui-ci n’avait que huit ans ; il ne lui laissait pas grand-chose en héritage et n’avait presque rien prévu pour son instruction. En 1818, Calvin quitta le Vermont pour s’installer à Rodman, New York, où il travailla comme manœuvre pendant trois ans. Homme ambitieux, il devint fermier colonisateur et marchand de bois près de La Fargeville, New York. En 1825, année de sa première entreprise forestière digne de mention, un voisin et lui équarrirent du bois et le transportèrent en radeau sur le Saint-Laurent pour le vendre dans les « anses à bois » situées près de la ville de Québec. Calvin décida finalement de se consacrer surtout au commerce du bois et, en 1835, il s’établit dans la ville voisine de Clayton ; le gros de ses activités consistait à transporter le bois par radeau jusqu’à Québec, d’où il était expédié vers les marchés britanniques.

Mais Clayton ne constituant pas un bon siège pour ses activités, Calvin se réinstalla en 1844 sur une terre qu’il avait louée à l’extrémité est de l’île Garden, à deux milles au sud de Kingston, Haut-Canada ; de là il lui était possible d’effectuer ses opérations à l’intérieur du réseau commercial britannique. Son nouveau lieu de résidence se trouvait à la tête du réseau de navigation des Grands Lacs, à un point du fleuve où, jusqu’au début du xxe siècle, il était commode et peu coûteux de former en radeau le bois arrivant par bateau de la région des Grands Lacs. Grâce à l’île, Calvin disposait d’une baie bien abritée, facile d’accès pour les embarcations à voile et convenant bien à la formation de radeau. Cet emplacement joua un rôle décisif dans l’expansion de ses affaires.

En fait, Calvin avait déjà été actif dans l’île avant même de quitter Clayton. En 1836, avec ses associés John Counter* et l’Américain Hiram Cook, il avait formé la Kingston Stave Forwarding Company, qui y louait des terres. James Bell Forsyth*, un marchand de Québec qui devait bénéficier des succès de la compagnie, l’aida à s’établir. En 1838, les associés faisaient leurs affaires sous la raison sociale Calvin, Cook and Counter. Après avoir déménagé dans l’île en 1844, Calvin prit la direction de la compagnie avec, presque toujours, au moins un associé. Celle-ci établit une succursale à Hamilton (ouverte jusqu’en 1854), qui vint s’ajouter à celle de Québec, ainsi que des bureaux dans divers endroits comme Liverpool, Glasgow et Sault-Sainte-Marie. La compagnie possédait de 12 à 15 navires qui livraient le bois équarri et les douves, principalement du chêne et du pin, à l’île Garden, en provenance d’endroits aussi éloignés que le Michigan et l’Indiana. Même si Calvin achetait du bois pour le revendre et finançait à l’occasion des producteurs de bois indépendants, le gros du bois expédié à Québec n’appartenait pas à la firme mais à différents entrepreneurs forestiers. Le bois était transporté sur les 350 milles qui séparaient l’île Garden de Québec moyennant un prix déterminé. Calvin se mettait ainsi à l’abri de certaines vicissitudes du marché, car il fixait son prix sans tenir compte de la marge de profit de ses clients. Pour s’assurer une rentabilité maximale et garder une main-d’œuvre permanente et stable (jusqu’à 700 employés dans les périodes de pointe), Calvin chercha à diversifier ses entreprises ; ses associés et lui furent également « marchands généraux », manufacturiers, transitaires, voituriers publics, propriétaires de quais, propriétaires d’entrepôts et constructeurs de navires. La société exploita également un service de remorqueurs fort lucratif et subventionné par le gouvernement, sur le Saint-Laurent, en amont de Montréal, de 1858 à 1874. L’actif de la firme passa de $216 000 en 1854 à $460 000 en 1871 ; neuf ans plus tard, elle avait investi $75 000 uniquement dans le remorquage et la récupération de navires. En plus de ses actions dans la société, Calvin possédait de nombreuses terres aux États-Unis et siégeait au conseil d’administration de la Kingston and Pembroke Railway. En 1865, la firme était l’une des plus grosses dans le commerce du bois au Canada et la plus importante sur le marché du bois dans les anses de Québec. À sa mort, Calvin possédait plus de 92 p. cent des actions de la compagnie (qui prit le nom de Calvin and Son après 1880) et il laissait derrière lui une fortune évaluée à un minimum de $324 000.

Mais l’aspect le plus intéressant de la carrière de Calvin est peut-être son rôle de patriarche bienveillant. En 1848, Calvin et Cook achetèrent une terre de 15 acres à l’extrémité sud de l’île Garden et, dès 1862, ils étaient propriétaires de toute l’île ; en 1880, Calvin acheta la part de son associé. Surnommé « le gouverneur » par ses employés, il dominait la petite société de l’île. De 1860 à 1885, au plus fort de la prospérité de la compagnie, jusqu’à 750 personnes vécurent et travaillèrent dans l’île. La plupart étaient des employés de la compagnie. C’était une communauté entièrement autosuffisante, qui possédait sa propre école, subventionnée par la firme, un institut des artisans, avec une excellente bibliothèque, son propre bureau de poste et plusieurs confréries. En dépit des origines diverses de ses habitants, Canadiens français, Écossais, Anglais, Irlandais, Américains et Indiens de la réserve de Caughnawaga, près de Montréal, l’île réussit à éviter les conflits raciaux ou religieux. Les visiteurs la décrivaient comme « un village simple, bien ordonné » et la trouvaient « fascinante » ; des études récentes confirment que la compagnie recherchait le bien-être des habitants de l’île. L’attitude paternaliste de Calvin vis-à-vis de ses employés prit des formes diverses. Durant la récession qui suivit la panique de 1873, il fut obligé de réduire les salaires, mais il se refusa à licencier un seul travailleur et, quand il le put, il haussa les salaires ; il permit aussi aux employés qui avaient de l’ancienneté ou des postes de confiance d’acquérir de petites parts dans la compagnie. Cependant, il demeura toujours farouchement opposé à toute organisation des travailleurs. Après que les marins travaillant à bord de ses navires se furent affiliés à la Seamen’s Union, à la fin des années 1870 et au début des années 1880, il fit tout son possible pour briser le syndicat (faisant venir des marins de Glasgow) et finit par mettre dehors la plupart de ses membres. En convertissant des schooners en chalands pour le remorquage sur le lac Ontario, il eut moins besoin d’hommes d’équipage.

Calvin joua aussi un rôle marquant dans la vie publique. Il fut nommé magistrat en 1845, peu de temps après avoir reçu la citoyenneté canadienne. En 1865, il présidait le conseil municipal de l’île de Wolfe et des îles environnantes, et il devint le premier préfet du comté de Frontenac après sa séparation du comté de Lennox and Addington, en 1863. Trois ans plus tard, on érigea l’île Garden en village, et Calvin fut régulièrement élu sans opposition président du conseil municipal jusqu’à la fin de sa vie. Il fit longtemps partie du conseil de comté de Frontenac et en fut quatre fois préfet. En 1870, sir John Alexander Macdonald* nomma Calvin, ainsi que Hugh Allan et Casimir Stanislaus Gzowski*, à une commission qui recommanda l’amélioration des canaux du Saint-Laurent ; Calvin, qui pensait sans doute à son entreprise de transit basée dans la région de Kingston, s’opposa à ce qu’on rendît le fleuve navigable pour les navires au long cours.

En 1868, Calvin se lança dans l’arène politique provinciale, se présentant comme candidat conservateur, avec l’appui hésitant de Macdonald, lors de l’élection partielle tenue dans le comté de Frontenac, à la suite du décès de sir Henry Smith*. Il l’emporta aisément sur Byron Moffatt Britton. En 1871, il fut réélu sans opposition. Bien qu’il ne fût pas choisi comme candidat par son parti dans Frontenac en 1875, il retrouva sans difficulté son siège à l’Assemblée en 1877, après la mort du député conservateur Peter Graham. Calvin connut le même succès lors des élections générales de 1879, mais il ne se représenta pas en 1883. Il avait bénéficié des votes de la presque totalité des électeurs de Garden Island, car il était le propriétaire de l’île et le patron de la majorité de ses habitants ; comme le notait son petit-fils : « les hommes [...] votaient sagement [...] conservateur ».

Sans être un grand homme politique, Calvin prit son rôle de député à cœur et défendit son point de vue avec vigueur. Il travailla dur pour obtenir des emplois de faveur pour ses électeurs. Il prenait un intérêt passionné aux réformes fiscales, désapprouvant le principe de l’exemption pour toute personne ou institution qui possédait des biens tels que des actions ou des terres non mises en valeur. Malgré ses propres affaires, il favorisa l’agriculture plutôt que l’industrie du bois, lorsque leurs intérêts s’opposaient ; il prônait l’octroi de droits de coupe aux propriétaires terriens et s’opposa à ce qu’on accordât de vastes concessions forestières, ce qui pouvait retarder la colonisation des terres, nécessaire au développement du pays. Il défendit également des réformes mineures dans les domaines électoral et judiciaire. Il imposa la prohibition, une de ses marottes, aux résidants de Garden Island. Calvin, qui avait 70 ans lorsqu’il fit son entrée sur la scène politique provinciale, était considéré comme « un des excentriques des premiers temps du parlement ontarien » ; c’est seulement un an avant sa mort qu’il abandonna la politique provinciale. Ses excentricités, en fait, étaient nombreuses ; son petit-fils note qu’il se méfiait des hommes qui rongeaient leurs ongles, n’aimait pas ceux qui étaient de petite taille « sans autre bonne raison que parce qu’ils étaient de petite taille » et avait un profond mépris pour les chiens et leurs propriétaires. Quand « un homme est pauvre, disait Calvin, il a un chien, s’il est très pauvre, il en a deux ».

Calvin ne devait jamais cesser d’aimer sa terre américaine. Au cours de l’hiver de 1842–1843, alors qu’il vivait à Clayton, New York, il fit partie d’un mouvement de renouveau religieux et, après la mort de sa première femme, il se convertit à la religion baptiste et reçut le baptême en 1844. Il demeura un fervent fidèle de cette Église. Bien qu’il fût devenu sujet britannique et monarchiste (il fit remarquer un jour à Macdonald qu’il pouvait acclamer la reine aussi fort que lui), il conserva la demeure des Calvin à La Fargeville et fut enterré à Clayton, aux côtés de sa mère et de sa première femme.

Donald Swainson

Meg et John d’Esterre (Garden Island, Ontario) possèdent les papiers de la famille Calvin ; cette collection comprend des cahiers de découpures de journaux et d’autres éléments de grande valeur.

AO, MU 500–515.— APC, MG 26, A.— Ontario, Legislative Library, Newspaper Hansard, 1868–1882 (mfm aux AO).— QUA, Calvin Company records ; Calvin legal papers.— By-laws of Elysian Lodge, no.212, A.F.A.M., Garden Island, Ontario (Hamilton, Ontario, 1872).— Ottawa Daily Citizen, 12 juin 1880, 19 mai 1881.— Catalogue of books contained in the library of the Garden Island Mechanics’ Institute (Kingston, Ontario, 1883).— CPC, 1872 ; 1874 ; 1877 ; 1878 ; 1881 ; 1883.— Kingston directory (Kingston), 1857–1858, 1865, 1867, 1885–1886.— M. C. Boyd, The story of Garden Island, M. A. Boyd, édit. (Kingston, 1973).— A. A. Calvin, « Timber trading in Canada, 1812–1849 : special emphasis on forwarding, 1836–1849 » (thèse de b.a., Queen’s Univ., Kingston, 1930).— D. D. Calvin, « Rafting on the St. Lawrence », Patterns of Canada, W. J. Megill, édit. (Toronto, 1966), 119–125 ; A saga of the St. Lawrence : timber & shipping through three generations (Toronto, 1945).— Beverley Doherty, « Real wage changes as revealed in the manuscripts of the shipyard of the Calvin Company : selected years, 1848–1884 » (thèse de b.a., Queen’s Univ., 1973).— Sarah Edinborough, « Garden Island : a unique community seen through its social institutions » (travail présenté à la Queen’s Univ., 1978).— T. R. Glover et D. D. Calvin, A corner of empire : the old Ontario strand (Toronto et Cambridge, Angl., 1937).— A. R. M. Lower, Great Britain’s woodyard : British America and the timber trade, 1763–1867 (Montréal et Londres, 1973).— Christian Norman, « A company community : Garden Island, Upper Canada at mid-century », Canadian papers in rural history, D. H. Akenson, édit. (2 vol. parus, Gananoque, Ontario, 1979–  ), II : 113–134.— Adam Shortt, « Down the St. Lawrence on a timber raft », Queen’s Quarterly, 10 (1902–1903) ; 16–34.— Donald Swainson, « Benevolent patriarch ruled an island and an industry », Whig-Standard (Kingston), 28 avril 1979 : 9 ; « Garden Island and the Calvin Company », Historic Kingston, no 28 (1980) : 35–56.

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Donald Swainson, « CALVIN, DILENO (Deleno) DEXTER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/calvin_dileno_dexter_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    1 décembre 2024