BRODIE, WILLIAM, dentiste et entomologiste, né en 1831 (baptisé le 9 juillet) à Peterhead, Écosse, fils de George Brodie et de Jean Milne ; il épousa Jean (Jane Anna) Macpherson (McPherson) de Whitby, Haut-Canada, et ils eurent un fils et six filles ; décédé le 6 août 1909 à Toronto.

William Brodie avait quatre ans lorsque sa famille immigra dans le Haut-Canada et, suivant le conseil de William Lyon Mackenzie*, s’établit dans une ferme du canton de Whitchurch, près de Toronto. Sa mère, femme instruite et ambitieuse, nourrit chez lui une passion pour la flore et la faune des environs. Après de courtes études dans des écoles locales, il commença à enseigner dans les cantons de Whitchurch et Markham. Il étudia aussi l’art dentaire et, le 20 janvier 1870, après en avoir passé les examens, il fut admis au Royal College of Dental Surgeons of Ontario. Il pratiquerait dans le canton de Markham et à Toronto durant plus de 40 ans. On dit qu’il fut le premier dentiste de Toronto à anesthésier ses patients au chloroforme. Cependant, cette profession était pour lui « un moyen de gagner [sa] vie » ; elle lui permettait de se consacrer à l’histoire naturelle, et surtout à l’entomologie. On raconte que sa passion pour cette science était telle que, au moins une fois, il envoya chez un autre dentiste un patient affligé d’une rage de dents parce qu’il était en train de discuter de spécimens entomologiques avec un visiteur.

Brodie amassait et étudiait des spécimens de toutes sortes, et il devint une autorité en matière d’entomologie et de botanique. Doué d’un sens aigu de l’observation, il avait l’esprit inquisiteur et une vaste culture scientifique et philosophique. « S’il recueillait un coquillage ou un fossile, rappelait l’un de ses amis, il évoquait des problèmes relatifs aux conditions antérieures ou aux ères géologiques ; s’il remarquait une plante, il soulevait une question d’écologie ou d’environnement. » Son enthousiasme pour la nature et ses fréquentes randonnées le long des cours d’eau et dans les bois de sa région lui inspiraient de charmantes histoires sur la faune. On rapporte qu’il expliquait que, lorsqu’il allait s’entretenir avec les animaux, c’était invariablement eux qui l’interrogeaient. Il transmit sa réceptivité aux beautés de la nature à beaucoup de jeunes, dont l’écrivain Ernest Thompson Seton*. Incidemment, Seton était en voyage avec le fils unique de Brodie, jeune naturaliste prometteur, lorsque celui-ci se noya en traversant la rivière Assiniboine en 1883.

En 1877, comme il estimait que l’Entomological Society of Ontario négligeait sa mission scientifique pour devenir un simple cercle mondain, Brodie aida à fonder la Toronto Entomological Society et en assuma la présidence. L’année suivante, il la rebaptisa Natural History Society of Toronto afin qu’elle accueille aussi des amateurs de zoologie et de botanique. Il occupait encore la présidence quand, en 1885, la société devint la section de biologie du Canadian Institute. En 1898, il écrivit une série d’articles de vulgarisation sur la nature, et notamment sur l’entomologie scientifique, pour la rubrique « Home Study Club » de l’Evening News, de Toronto. En outre, il attira l’attention sur d’importantes formations géologiques interglaciaires mises au jour par des travaux d’excavation exécutés le long de la rivière Don. Il s’était signalé sur la scène politique de Toronto en devenant en 1877 le premier président du groupe local de la Reform Association.

En 1900, les collections de Brodie figuraient parmi les plus riches et les plus belles du continent. Elles se composaient de 100 000 spécimens de la flore et de la faune ontariennes, à part les poissons, les oiseaux et les mammifères. Brodie était un spécialiste des parasites, particulièrement de ceux qui proviennent des insectes phytophages et causent les galles, gonflements anormaux du tissu végétal. Peu avant son décès, le département de l’Agriculture des États-Unis le reconnut comme le plus grand expert nord-américain concernant cet aspect de la pathologie végétale, non seulement parce que ses collections étaient complètes et classées avec précision, mais aussi parce que, grâce à sa capacité d’analyse, il avait su retracer et identifier les parasites provenant des insectes phytophages et reconnaître de nouvelles espèces. Une fois comprise la symbiose entre parasite et plante, Brodie fit un pas de plus et proposa d’importer, d’acclimater et d’élever sous contrôle de nouveaux parasites qui détruiraient les parasites provenant des insectes. On dit que l’un de ces parasites utiles, employé sur son conseil, contribua à enrayer une infestation qui menaçait de détruire les arbres fruitiers de la Californie.

En 1903, Brodie vendit ses 18 000 spécimens de galle à la Smithsonian Institution de Washington. Cette dernière lui offrit d’acheter aussi les 80 000 autres spécimens de ses collections, mais il préféra les vendre, à un prix symbolique de 1 000 $, au gouvernement de l’Ontario, qui les plaça au Provincial Museum, à l’école normale de Toronto. Pour le remercier, le gouvernement le nomma conservateur du muséum et entomologiste de la province, ce qui lui permit d’abandonner enfin la pratique de l’art dentaire. Dans sa nouvelle fonction, qu’il exerça jusqu’à ce qu’une pneumonie l’emporte en 1909, il continua de renseigner les agriculteurs sur les divers parasites qui menaçaient leurs récoltes.

La carrière scientifique de Brodie se situe dans la période où l’histoire naturelle proprement dite, qui mettait l’accent sur la description et la classification des choses de la nature, fut supplantée progressivement par la biologie et l’étude des organismes vivants. La morphologie l’intéressait moins que l’écologie, c’est-à-dire l’étude des relations entre les êtres vivants et leur milieu. Bien qu’il soit resté sceptique à l’égard de la théorie darwinienne de la sélection naturelle (il la jugeait tautologique), il reconnaissait que l’évolutionnisme était « le système philosophique des temps modernes et censément le plus naturel » parce qu’il donnait, « de l’« ordre de la nature », une expression plus complète et plus vraie que tous les systèmes antérieurs ». En 1895, il expliqua à un auditoire de profanes : « On dit que la nature est une bonne vieille nourrice, et nous aimons à nous reposer sur son flanc, à écouter ses histoires merveilleuses et sa musique enchanteresse. Pourtant, elle a de multiples aspects et peut être aussi implacable et cruelle qu’une tombe. Sans cesse, elle commande : « conforme-toi », et ce qui n’obéit pas est piétiné sans merci. » Pour tempérer ses convictions scientifiques, il puisait, à la fois dans la tradition philosophique de l’Occident et de l’Orient, des éléments lui permettant de situer les processus évolutifs dans un contexte universel, voire mystique, qui donnait un sens plus profond à l’implacabilité apparente de la nature. En même temps, par ses méditations sur l’intelligence et la conscience des insectes, ses travaux se rattachaient aux premiers principes de la théorie psychologique sur la nature des fonctions mentales.

Oubliée pendant l’âge d’or des pesticides chimiques, l’utilisation des prédateurs naturels – méthode dont William Brodie fut l’un des pionniers – a retrouvé des adeptes depuis que l’on s’inquiète de la pollution. Certains aspects de sa carrière contrastent vivement avec d’autres. Malgré l’importance de son œuvre scientifique, sa renommée internationale et son influence d’amant de la nature, il laissa assez peu de publications spécialisées et vécut assez isolé des autres grands entomologistes canadiens, sauf l’abbé Léon Provancher*, avec qui il eut quelques échanges. Ce contraste met en évidence le fait qu’il fut une figure de transition. On néglige aisément son importance au Canada dans l’histoire des sciences et dans la tradition des écrits sur la nature.

Suzanne Zeller

La plupart des articles de William Brodie ont été publiés dans le Canadian Entomologist (London, Ontario) et le Canadian Bee Journal (Beeton, Ontario). On peut consulter une liste chronologique de ces articles et de plusieurs autres dans Science and technology biblio. (Richardson et MacDonald). De plus, Brodie et John E. White ont dressé la Check list of insects of the Dominion of Canada pour la Natural Hist. Soc. of Toronto (Toronto, 1883). Une petite collection de papiers personnels de Brodie est conservée aux Royal Ontario Museum Library and Arch. (Toronto), SC 20A.

Univ. of Toronto Arch., A82-0003/002.— Univ. of Toronto Library, Thomas Fisher Rare Book Library, ms coll. 127 (J. L. Baillie papers), box 25.— Hist. of Toronto, 2 : 17.

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Suzanne Zeller, « BRODIE, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/brodie_william_13F.html.

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Auteur de l'article:    Suzanne Zeller
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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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