BRASS, WILLIAM, trafiquant de fourrures et marchand condamné à mort pour viol, baptisé le 8 mai 1796 à Kingston, Haut-Canada, fils de David Brass et de Mary Magdalen Mattice ; il épousa une prénommée Elizabeth, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 1er décembre 1837 à Kingston.
Né vers 1792, William Brass était le fils d’un riche et respectable colon loyaliste de Kingston. En 1821, il reçut une concession de terre dans le canton de Loughborough, au nord de la ville, où il se lança en affaires à titre de marchand et de trafiquant de fourrures. On ne sait pas grand-chose de ses activités, si ce n’est qu’il passa un temps considérable à trafiquer parmi les Indiens. En 1834, la nouvelle se répandit qu’il avait été dévoré par les loups au cours d’une expédition. Un morceau de crâne et quelques ossements avaient été découverts à 12 milles de Kingston et identifiés comme siens. La rumeur se révéla fausse, mais elle n’en témoigne pas moins de son existence nomade et plutôt sauvage.
Avec le peuplement du canton de Loughborough au cours des années 1820 et 1830 et l’importance décroissante de la traite des fourrures dans l’économie de la province, les affaires de Brass commencèrent à péricliter. Il assista à l’occasion aux réunions des réformistes, mais il ne semble pas avoir manifesté beaucoup d’intérêt pour les conventions morales et sociales chères à la majorité de la population du Haut-Canada. Il commença à boire exagérément et sa femme le quitta. En juin 1835, il retint les services de l’avocat Henry Smith* pour redresser sa situation financière. Mais, profitant de l’ivrognerie de Brass, Smith manœuvra plutôt pour faire mettre à son nom les titres de propriété de son client.
En juin 1837, au cours d’une de ses soûleries épouvantables, Brass fut arrêté sous l’inculpation d’avoir violé Mary Ann Dempsey, fillette de huit ans du canton de Loughborough qui avait été laissée à sa garde. Après huit jours de delirium tremens, Brass dégrisa et prit connaissance de la situation dans laquelle il se trouvait. En septembre, il poursuivit Smith sous trois chefs d’accusation différents : d’abord pour le vol présumé de ses terres, ensuite pour dommages et intérêts et finalement pour effraction à son domicile. Henry Cassady et John Alexander Macdonald* furent chargés de sa défense dans la cause de viol. Le British Whig déclara alors que Brass était « victime d’une abominable conspiration fomentée par un individu retors en qui il avait eu confiance et mise à exécution par de pauvres hères comme lui ».
Le procès, tenu le 7 octobre devant le juge Jonas Jones, causa un grand émoi. Le solliciteur général William Henry Draper*, qui représentait le ministère public, fit venir la présumée victime à la barre et lui fit relater l’incident. Les témoignages de deux médecins et d’une sage-femme permirent d’établir que l’enfant avait probablement été violée. Le dernier témoin de la couronne, John Caswell, affirma avoir vu le viol sans toutefois avoir pu intervenir puisque, dit-il, l’accusé était armé. La « très habile défense » était menée par Macdonald, et le British Whig fut impressionné par ce jeune avocat de 22 ans à qui il prédisait une ascension rapide. Macdonald et Cassady essayèrent de prouver que Smith, Caswell, Stephen Acroid et d’autres voisins de Brass conspiraient contre lui pour lui enlever ses terres. La défense tenta aussi de démontrer qu’étant ivre au moment du présumé viol, Brass était incapable de relations sexuelles. Et même s’il avait commis ce viol, soutenaient-ils, il était indiscutablement privé de sa raison à ce moment-là et, en conséquence, il n’avait pas à répondre de ses actes devant la loi. Néanmoins, après un peu plus d’une heure de délibération, le jury déclara Brass coupable et Jones le condamna à être pendu le 1er décembre.
De nombreuses personnes étaient d’avis que Brass ne méritait pas la pendaison. Une pétition adressée au lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head* par 135 habitants du district de Midland, dont 18 juges de paix, demandait d’épargner la vie de Brass, mais ce fut en vain. En insistant sur les services rendus à la couronne par son père lorsqu’il avait servi sous l’étendard des Butler’s Rangers, la pétition mettait en évidence la tension qui existait dans le canton de Loughborough entre les familles loyalistes et les groupes d’immigrants arrivés depuis moins longtemps. Le préambule de John Solomon Cartwright révèle bien l’attitude favorable à laquelle s’attendaient les loyalistes de la part des administrateurs coloniaux dans les cas laissés à leur pouvoir discrétionnaire. Entre-temps, la défense essaya d’obtenir un nouveau procès, et on retint des dépositions qui mettaient en doute le témoignage de Caswell ; plusieurs de celles-ci venaient de descendants de loyalistes. Trois individus jurèrent que ce dernier n’était pas dans la maison de Brass le jour du présumé viol, mais quelque part ailleurs. Une déposante, Filinda Chadwick, jura avoir surpris, quelques jours avant le procès, une conversation au cours de laquelle Caswell disait à Mme Brass qu’il pouvait aussi bien sauver son mari que le faire pendre. Bref, Kingston fut le théâtre d’une vive controverse jusqu’au 1er décembre.
Ce jour-là, Brass et son bourreau, tous deux vêtus de robes blanches, firent leur apparition sur la potence dressée pour la circonstance à partir d’une fenêtre du palais de justice. À la fois méprisé et craint de ses voisins, Brass devenait alors une attraction publique. Sur un ton calme et résolu, il proclama son innocence et, à maintes reprises, accusa Smith, Acroid et Caswell de conspirer contre lui. Il s’enquit de leur présence, disant qu’il espérait les voir une dernière fois. À peine avait-il fini de parler qu’une partie de la plate-forme céda et il y resta suspendu, se balançant pendant un moment. Un coup de pied le fit basculer hors de la plate-forme, mais au lieu d’atterrir dans l’autre monde, il tomba directement dans le cercueil qui l’attendait juste en bas. La foule se mit à crier au meurtre et tenta de le délivrer, mais les soldats réussirent à maintenir l’ordre. Plein de morgue, le shérif Richard Bullock coupa la corde du cou de Brass et le traîna dans l’escalier du palais de justice. Triomphant, le condamné criait à la foule : « Vous voyez bien que je suis innocent ; ce n’est pas pour moi que cette potence a été construite, c’est pour le jeune Henry Smith. » Il fut de nouveau jeté de la fenêtre, avec une corde plus courte cette fois, et il plongea dans la mort en prononçant le nom de Smith. Le lendemain, Brass fut enterré, non pas dans le lot familial à Kingston, mais dans sa ferme du canton de Loughborough.
Les réactions à la condamnation et à l’exécution de William Brass furent des plus partagées. Pour un grand nombre de fermiers du canton de Loughborough, constamment aux prises avec ces vastes étendues sauvages, l’aisance avec laquelle Brass allait et venait dans cet environnement hostile en avait fait un être quasi surnaturel. Réduit presque à l’état d’animal, symbole de ces vastes étendues sauvages, il leur inspirait de l’horreur. C’est sans doute à cause de cette inimitié qu’ils étaient plutôt enclins à croire en sa culpabilité et se montraient moins réceptifs aux témoignages qui pouvaient laisser croire à son innocence. Dans d’autres régions, par contre, des gens s’indignaient devant les doutes qui persistaient dans cette cause et devant cette exécution sabotée. Le British Whig publia une lettre dans laquelle un citoyen d’Adolphustown demandait des renseignements additionnels concernant cette pendaison et affirmait que la « passion soulevée par le récit de son m[eurtre] » dépassait en intensité toutes les réactions qu’il avait pu observer dans sa région à la suite d’un crime. La rumeur publique voulait, poursuivait-il, que Brass ait été ramené à la vie grâce aux secours de la chirurgie et qu’il soit encore vivant.
APC, RG 5, A1 : 98346–98393.— The parish register of Kingston, Upper Canada, 1785–1811, A. H. Young, édit. (Kingston, Ontario, 1921), 89.— British Whig, 28 févr. 1834, 12, 28 sept., 7 oct., 1er, 8 déc. 1837.— Chronicle & Gazette, 26 avril, 17 mai 1834, 11 oct. 1837.— Upper Canada Herald, 10 oct. 1837.— W. [R.] Teatero, « He worked in shadow of the gallows », Whig-Standard (Kingston), 13 juill. 1978 : 7, 15.
William Teatero, « BRASS, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/brass_william_7F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |