Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 4325073
BORDUAS, PAUL-ÉMILE (baptisé Paul-Émile-Charles), peintre, né le 1er novembre 1905 à Saint-Hilaire (Mont-Saint-Hilaire, Québec), fils de Magloire Borduas, voiturier, et d’Éva Perreault ; le 11 juin 1935, il épousa à Granby, Québec, Gabrielle Goyette, et ils eurent un fils et deux filles ; décédé le 21 février 1960 à Paris.
Chef de file du Groupe automatiste et principal auteur du manifeste intitulé Refus global, Paul-Émile Borduas a eu une profonde influence sur le développement des arts et de la pensée dans la province de Québec et au Canada. Quatrième d’une famille de sept enfants, il fréquenta d’abord l’école primaire de son village natal et suivit des cours particuliers entre 1912 et 1921. En 1922, il eut la chance de rencontrer le peintre Ozias Leduc, qui habitait la montée des Trente à Saint-Hilaire. Celui-ci le prit comme apprenti au sein de ses propres projets de décoration d’églises, notamment la chapelle Pauline de la cathédrale Saint-Michel à l’évêché de Sherbrooke, la chapelle des dames du Sacré-Cœur à Halifax et le baptistère de l’église Notre-Dame à Montréal. Dès 1923, Leduc encouragea son jeune élève à s’inscrire à l’école des beaux arts de Montréal, qui venait d’ouvrir ses portes.
Emmanuel Fougerat, le premier directeur de l’établissement, fut remplacé dès 1925 par Charles Maillard*, qui, tout comme Robert Mahias et Edmond Dyonnet, y furent les maîtres de Borduas. Ce dernier termina ses études et quitta l’école des beaux-arts de Montréal en 1927 avec un « premier diplôme » en poche. Le diplôme pour l’enseignement du dessin dans les écoles lui serait décerné en 1932. Apparemment, il ne s’était pas beaucoup plu à l’école des beaux-arts et avait préféré le genre d’apprentissage qu’il avait connu avec celui qu’il nommait « Monsieur Leduc ». Il se brouilla d’ailleurs avec Maillard, peintre académique prêchant à ses élèves le régionalisme et le mépris de l’art moderne.
Après un bref passage comme enseignant du dessin dans des écoles primaires de Montréal – interrompu parce que Maillard fit nommer un confrère de Borduas à un poste pour lequel ce dernier était déjà engagé –, le jeune artiste alla parfaire sa formation à Paris, où il demeurerait de la fin de 1928 à 1930, grâce à la générosité de l’abbé Olivier Maurault*, ami de Leduc et alors curé de la paroisse Notre-Dame de Montréal. Borduas s’inscrivit aux Ateliers d’art sacré, dirigés par Maurice Denis et Georges Desvallières. Durant son séjour, il tint un journal où il nota des détails sur ses cours, ses visites d’expositions (Pascin, Renoir, Picasso), ses voyages en France. La lecture de ce journal laisse l’impression qu’il prit plus de goût à une collaboration sur le terrain avec Pierre Dubois qu’aux ateliers. Dubois lui proposa en effet de l’accompagner dans la Meuse, à Rambucourt et à Xivray-et-Marvoisin, où des projets de décoration d’églises l’attendaient. Trop content de quitter l’atmosphère un peu guindée des cours, Borduas se joignit à l’équipe de Dubois. L’occasion lui permit de faire la connaissance du dominicain Marie-Alain Couturier, qu’il reverrait au Canada. Couturier était destiné à devenir le directeur de la revue l’Art sacré, de Paris, et à promouvoir le rapprochement de l’Église et des artistes modernes (notamment Le Corbusier, Henri Matisse et Fernand Léger). Ce premier contact avec l’Europe fut très important pour le jeune Borduas. Il y découvrit la peinture de l’école de Paris et s’enthousiasma pour celle de Pascin et de Renoir. Contrairement à son confrère Alfred Pellan*, qui passerait 14 ans en France, il n’eut cependant pas alors de contact avec les avant-gardes (cubisme et surréalisme).
De retour au Canada en juin 1930, Borduas s’attendait à faire, à l’instar de son premier maître, une carrière de décorateur d’églises, pour laquelle il se sentait bien préparé. Dès l’automne de cette année-là, Leduc le choisit comme associé pour la décoration de l’église de la paroisse des Saints-Anges de Lachine. Borduas tenta ensuite de voler de ses propres ailes. Mais ses démarches en vue d’obtenir des contrats personnels pour des églises de Montréal (Saint-Denis, Saint-Jean-de-la-Croix, Saint-Vincent-Ferrier, entre autres) se soldèrent par un échec. Autant la crise économique que son manque de notoriété pourraient expliquer cette déconvenue. Seul un chemin de croix, par ailleurs très proche d’un chemin de croix qu’avait réalisé Leduc pour l’église de Saint-Hilaire, trouva preneur à Saint-Michel, paroisse de Rougemont. Borduas garderait de l’amertume de ces essais infructueux et son détachement de la foi chrétienne daterait de cette période. N’ayant guère d’autres choix, il se rabattit sur l’enseignement du dessin au collège André-Grasset et dans les écoles de la Commission des écoles catholiques de Montréal. Son horaire extrêmement chargé l’empêcha de produire beaucoup. Insatisfait de plusieurs tableaux, Borduas les détruisit ou réutilisa la toile.
Le 11 juin 1935, Borduas épousa Gabrielle Goyette, fille d’un médecin de Granby qui lui donnerait trois enfants, Janine, Renée et Paul. Deux ans plus tard, il obtint enfin, pour un salaire annuel de 1 200 $, un poste de professeur de dessin et de décoration à l’École du meuble, à Montréal. Il y remplaça Jean-Paul Lemieux*, parti enseigner à l’école des beaux-arts de Québec. Au moment de son engagement, Jean-Marie Gauvreau* dirigeait l’établissement. Borduas y trouverait un milieu stimulant, à cause de la présence à la fois de l’architecte Marcel Parizeau, de l’historien d’art Maurice Gagnon et des jeunes gens qui seraient ses élèves. Forcé, à cause de la Deuxième Guerre mondiale, de prolonger un séjour en Amérique (où il viendrait pour prêcher le carême dans la paroisse française de New York), le père Couturier passerait à Montréal et donnerait même quelques cours à l’École du meuble, où Borduas aurait le plaisir de le retrouver.
Pour Borduas, la découverte du surréalisme et la lecture, en 1938, du « Château étoilé » d’André Breton – texte qui allait devenir le cinquième chapitre de l’Amour fou, publié à Paris en 1937, mais qu’il vit dans la livraison du 15 juin 1936 de la revue Minotaure à la bibliothèque de l’École du meuble – furent déterminantes. Breton y citait le fameux conseil de Léonard de Vinci, enjoignant ses élèves à regarder longuement un vieux mur pour voir apparaître, dans ses craquelures et ses taches, des configurations qu’ils n’avaient qu’à « copier » pour obtenir des tableaux originaux, et y voyait la résolution de l’opposition de l’objectif et du subjectif à un niveau supérieur. Borduas en tira l’idée qu’il y avait moyen de considérer le support (feuille de papier ou toile) comme une sorte d’écran paranoïaque. En traçant des traits au hasard, sans idée préconçue, donc « automatiquement », sur cet écran de projection de contenus inconscients, Borduas reconstitua pour ainsi dire le vieux mur de Léonard de Vinci. Il n’eut alors qu’à y découvrir des formes, les préciser, puis y ajouter la couleur et les ombres pour créer des volumes.
Borduas appliqua tout spécialement le procédé aux gouaches qu’il réalisa en 1942. Selon ses dires, il fit sa première expérimentation de l’automatisme dans Abstraction verte, petit tableau fait spontanément en 1941, directement à l’huile, et qui rappelait ses propres natures mortes de la même année. Grâce à l’initiative du père Wilfrid Corbeil*, qui fit toujours preuve d’une grande ouverture à l’art moderne canadien, la toile fut présentée pour la première fois du 11 au 14 janvier 1942 dans les parloirs du séminaire de Joliette.
La même année, du 25 avril au 2 mai, Borduas présenta 45 « œuvres surréalistes » à la salle de l’Ermitage, à Montréal. Cette exposition de ses gouaches remporta un franc succès financier et la critique (Marcel Parizeau, Robert Élie*, Jean-Charles Doyon) lui fut favorable. Celles-ci dénotent une certaine influence de Pellan qui, revenu au Canada en 1940, avait entre-temps exposé, à Québec et à Montréal, ses œuvres exécutées à Paris. En 1943, Borduas tenta de transposer à l’huile les effets obtenus dans les gouaches, mais non sans introduire des changements importants. À la dichotomie dessin/couleur, il substitua celle du fond et de l’objet en suspension devant ce fond qui recule à l’infini, comme dans Viol aux confins de la matière. Tandis que les gouaches étaient fidèles au schéma de composition du portrait ou de la nature morte, le paysage, plus propre à évoquer la scène intérieure de l’inconscient, dominait la nouvelle production qui fut présentée du 2 au 13 octobre 1943 à la Dominion Gallery, à Montréal. L’exposition ne souleva pas, chez les collectionneurs, autant d’enthousiasme que celle de l’année précédente. Borduas commença progressivement à cette époque à se détacher des gens de sa génération et à se rapprocher davantage des jeunes, tant ses propres élèves de l’École du meuble (Jean-Paul Riopelle*, Marcel Barbeau, Guy Viau, Charles Daudelin*, Roger Fauteux), que leurs amis de l’école des beaux-arts de Montréal (Fernand Leduc, Pierre Gauvreau*, Françoise Sullivan) ou du collège Notre-Dame (Jean-Paul Mousseau*, Claude Vermette). Plusieurs membres du Groupe automatiste, dont Borduas fut le chef de file et dont on peut faire remonter la naissance à 1941 – Borduas ayant pris l’initiative de recevoir de ses élèves et leurs amis à son atelier de la rue de Mentana dès cette année-là –, se trouvaient parmi eux.
En 1946 et 1947, Borduas exposa avec le groupe dans des endroits de fortune : au 1257, rue Amherst, à Montréal, du 20 au 29 avril 1946 ; chez Mme Julienne Gauvreau, la mère de Pierre et Claude*, au 75, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal, du 15 février au 1er mars 1947 ; à la petite galerie du Luxembourg, à Paris, du 20 juin au 13 juillet 1947. Sous le vent de l’île, qu’achèterait en 1953 la Galerie nationale du Canada, à Ottawa, figura dans la deuxième de ces expositions. L’œuvre, réalisée en 1947, représente un continent, plutôt qu’une « île », au-dessus duquel virevolte dans l’espace comme divers fragments d’objets où d’aucuns crurent voir une troupe d’Amérindiens emplumés. Le fond est peint de larges coups de brosse, mais les fragments sont faits à la spatule, ce qui les détache plus efficacement du fond.
L’activité automatiste de Borduas culmina le 9 août 1948 par le lancement, à la librairie Tranquille à Montréal, du recueil intitulé Refus global. En faisaient entre autres partie des textes dramatiques de Claude Gauvreau, une conférence de Françoise Sullivan, un article de Bruno Cormier* et une proclamation de Fernand Leduc. Borduas s’était chargé de la rédaction des principaux textes du recueil, y compris de celle du manifeste du même titre qui se voulait cependant une œuvre collective. Dans ce texte que Borduas signa avec 15 membres du Groupe automatiste, il dénonçait la vieille idéologie de conservation, qui faisait consister l’identité québécoise en l’attachement à la religion catholique, à la langue française et à un certain nombre de coutumes rurales. « Au diable le goupillon et la tuque ! », s’écria-t-il au milieu du manifeste, qui appelait à une plus grande ouverture aux manifestations les plus vivantes de la pensée universelle. « Fini l’assassinat massif du présent et du futur à coups redoublés du passé ! »
Le manifeste souleva un tollé dans la presse. Une centaine d’articles, presque tous négatifs, parurent immédiatement après son lancement. Les attaques du manifeste contre la religion catholique et le nationalisme de droite, représenté par le parti de l’Union nationale, coûtèrent à Borduas son emploi à l’École du meuble. Le peintre considérerait toujours ce congédiement comme une injustice grave parce qu’il découlait d’une activité « extra-scolaire alors que son enseignement ne lui avait attiré aucun reproche. Quelques membres du Groupe automatiste vinrent à sa défense dans les journaux, en particulier Pierre et Claude Gauvreau. Mais rien n’y fit. Borduas se vit contraint de vivre de sa seule peinture. En 1949, il revint sur l’incident dans un pamphlet autobiographique intitulé Projections libérantes. « Enfin libre de peindre », y écrivit-il. En réalité, sa mise à pied créa pour sa famille des conditions difficiles ; en octobre 1951, sa femme et ses enfants le quittèrent, le laissant atterré. L’année suivante, il vendit sa maison de Saint-Hilaire, située au bord de la rivière Richelieu, au docteur Alphonse Campeau, qui la garderait toute sa vie avec un soin jaloux. Elle existe encore au début du xxie siècle.
Découragé du climat oppressif qui régnait dans sa province natale, Borduas songea à l’exil et voulut partir pour New York. Le maccarthysme sévissait cependant aux États-Unis et les inspecteurs de l’immigration américaine lui firent des misères parce qu’il avait donné une entrevue à Gilles Hénault* (parue le 1er février 1947 dans la revue montréalaise et communiste Combat). À l’époque, quelques membres du Groupe automatiste, dont Claude Gauvreau et Jean-Paul Mousseau, avaient tenté un certain rapprochement avec le Parti ouvrier progressiste, d’allégeance communiste, mais leur anarchisme cadrait mal avec la discipline révolutionnaire du parti et l’on ne s’entendait pas non plus sur le genre d’art susceptible de rejoindre le peuple. Comme les surréalistes en France, les automatistes québécois étaient davantage perçus comme des révoltés que comme de véritables révolutionnaires. Quoi qu’il en soit, Refus global comporte un paragraphe intitulé « Règlement final des comptes », qui marque la rupture définitive des automatistes avec le communisme canadien.
Borduas réussit à défendre sa cause auprès du Federal Bureau of Investigation et put enfin partir pour les États-Unis, d’abord à Provincetown, dans l’État du Massachusetts, où il passa l’été de 1953 à peindre au bord de la mer. Il est possible qu’il y ait rencontré Hans Hofmann, puisque le peintre allemand donnait des cours d’été dans cette ville du cap Cod qui attirait nombre d’artistes. À l’automne, Borduas s’installa à New York, où il vivrait jusqu’en septembre 1955. L’appui de certains collectionneurs québécois – Gérard Lortie, en particulier – et celui de galeries new-yorkaises (la Passedoit Gallery et la Martha Jackson Gallery) lui permirent de louer un vaste atelier dans Greenwich Village. Cette période fut très importante pour l’évolution de sa peinture et de sa carrière. Le titre qu’il donna à une toile peinte en 1953, les Signes s’envolent, paraît traduire ce qui se passe dans sa peinture, où l’objet éclate (les « signes » disparaissent donc) et où le fond se rapproche de la surface picturale. À partir de ce moment, Borduas travailla exclusivement à la spatule, ce qui donna plus de matérialité à sa peinture. Sa première exposition à New York eut lieu à la Passedoit Gallery, du 5 au 23 janvier 1954, et mérita des commentaires élogieux. Le 6 février, le critique Rodolphe de Repentigny, qui s’était rendu sur place pour l’occasion, raconta dans l’Autorité du peuple de Montréal que le peintre américain Robert Motherwell, présent au vernissage, s’était écrié : « C’est le Courbet du xxe siècle ! » Passedoit, où l’on n’avait pas présenté de peinture non figurative avant Borduas, n’était cependant pas une galerie très prestigieuse. Heureusement, la Martha Jackson Gallery exposerait finalement les œuvres de Borduas du 18 mars au 6 avril 1957 et du 24 mars au 18 avril 1959, donc après qu’il eut quitté l’Amérique. À New York, Borduas se rendit compte que, même s’il pouvait se réclamer du surréalisme, en particulier de l’idée d’un art venu de l’inconscient, l’expressionnisme abstrait pratiqué par Jackson Pollock, Franz Kline ou Mark Rothko – peintres que Borduas put fréquenter au Cedar Bar – allait encore plus loin que l’automatisme du groupe de Montréal, à l’époque où il était sous sa gouverne.
Espérant être mieux reconnu en France qu’aux États-Unis, Borduas embarqua sur le Liberty le 21 septembre 1955, avec sa fille Janine. Riopelle l’aida à trouver un appartement, rue Rousselet, à Paris. Par la suite, les deux hommes se fréquenteraient peu. Dans les cinq ans qu’il lui resterait à vivre, Borduas ne trouverait pas à Paris le succès espéré. Des projets de rencontre avec le fameux critique d’art Michel Tapié de Ceyléran ne se matérialisèrent pas. Aucun des mouvements d’avant-garde dans la capitale française ne lui convint vraiment : ni l’art informel (Georges Mathieu), ni la nouvelle figuration (Jean Dubuffet), ni les « réalités nouvelles » (Yves Klein). Certes, il exposa dans certaines galeries européennes importantes, comme la Arthur Tooth and Sons Gallery de Londres (du 8 octobre au 2 novembre 1957 et du 7 au 25 octobre 1958) ou la galerie Alfred Schmela, à Düsseldorf, en Allemagne (juillet 1958). Il représenta aussi le Canada à l’Exposition universelle de Bruxelles en mai 1958, comme il l’avait fait à la troisième Biennale de São Paulo en juillet 1955. Mais Borduas dut attendre jusqu’en 1959 pour qu’une galerie parisienne – la galerie Saint-Germain – lui ouvre ses portes du 20 mai au 13 juin pour une exposition solo.
Sans la présence d’amis, comme Robert Élie, Michel Camus, Marcelle Ferron*, et de quelques visiteurs canadiens, comme Gisèle et Gérard Lortie, Max Stern*, Gilbert Blair Laing*, le séjour de Borduas à Paris aurait été beaucoup plus pénible. Le peintre n’eut jamais une très bonne santé. Vers la fin de sa vie, il exprima dans ses lettres la nostalgie du pays. Comme il s’en ouvrit à un ami d’enfance, Bernard Bernard, dans une lettre datée du 28 avril 1959, il rêvait de « construire un atelier sur le Richelieu à l’embouchure de la petite rivière tout près de Saint-Mathias ».
N’empêche que Borduas, une fois installé à Paris, avait encore modifié sa façon de peindre. Après un moment de transition qui prolongea pour ainsi dire sa période new-yorkaise – ses tableaux devenant de plus en plus all over (dans le sens où le regard n’est pas porté à s’arrêter sur un élément en particulier, mais au contraire à glisser de l’un à l’autre) et de plus en plus blancs –, il introduisit des taches noires dans ses tableaux. Ces taches furent parfois lues comme des trouées dans un écran blanc, mais plus généralement comme des taches sur un fond. Il arrive aussi encore qu’on ne puisse se décider entre une lecture et l’autre. Borduas avoua à un journaliste parisien qu’il aspirait à rendre ses tableaux « réversibles », autrement dit à rendre ces deux lectures possibles successivement pour la même œuvre. En 1957, Borduas utilisa parfois des bruns très foncés dans ses toiles, comme dans son chef-d’œuvre, l’Étoile noire. Il se montra surtout de plus en plus exigeant dans la construction géométrique de ses tableaux. L’automatisme était loin derrière Borduas. Il reconnaîtrait lui-même avoir subi une certaine influence de Mondrian. Les derniers tableaux du peintre canadien furent plus calligraphiques. Ils témoignèrent peut-être, à leur manière, de l’ultime projet d’exil de leur auteur, jamais réalisé, au Japon.
Paul-Émile Borduas mourut à Paris le 21 février 1960 d’une crise cardiaque. Outre son influence sur la pensée au Québec, il laissait derrière lui un œuvre considérable, moins par le nombre des tableaux que par leur originalité et leur signification pour la peinture canadienne. Deux grandes rétrospectives furent organisées tout de suite après sa mort. La première, préparée par Willem Sandberg, eut lieu au Stedelijk Museum à Amsterdam, du 22 décembre 1960 au 30 janvier 1961. Grâce à l’initiative de Evan Hopkins Turner, directeur du Musée des beaux-arts de Montréal, la seconde se tint à ce dernier endroit du 11 janvier au 11 février 1962, puis se déplaça à la Galerie nationale du Canada, à Ottawa, du 8 mars au 8 avril, et à l’Art Gallery of Toronto, du 4 mai au 3 juin. Depuis la publication intégrale des écrits de Borduas, l’originalité de sa pensée ne cesse de se préciser. Chaque dix ans, la parution du Refus global, qui, à l’aube de la Révolution tranquille, fut un véritable ferment intellectuel, fait l’objet d’une commémoration.
Les papiers personnels de Paul-Émile Borduas, ainsi que les originaux de tous ses écrits, sont conservés dans le Fonds Paul-Émile Borduas au Musée d’art contemporain de Montréal. Ses écrits ont fait l’objet d’une édition critique : P. É. Borduas, Écrits, A.-G. Bourassa et al., édit. (2 vol. en 3 tomes, Montréal, 1987–1997). Un choix de ses textes, et leur traduction anglaise, a été publié dans P.-É. Borduas, Paul-Émile Borduas : écrits, 1942–1958, F.-M. Gagnon, édit. (Halifax, 1978).
Pour en savoir davantage sur l’artiste et son œuvre, nous renvoyons principalement le lecteur aux ouvrages suivants : A.-G. Bourassa, Surréalisme et Littérature québécoise (Montréal, 1977).— Ann Davis, Frontiers of our dreams : Quebec painting in the 1940’s and 1950’s ([Winnipeg], 1979).— Robert Élie, Borduas (Montréal, 1943).— Ray Ellenwood, Egregore : a history of the Montréal automatist movement (Toronto, 1992).— F.-M. Gagnon, Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941–1954 (Outremont, Québec, 1998) ; Paul-Émile Borduas (catalogue d’exposition, Musée des beaux-arts de Montréal, 1988) ; Paul-Émile Borduas, 1905–1960 (Ottawa, 1976) ; Paul-Émile Borduas (1905–1960) : biographie critique et analyse de l’œuvre (Montréal, 1978).— Maurice Gagnon, Sur un état actuel de la peinture canadienne (Montréal, 1945).— Gilles Lapointe, l’Envol des signes : Borduas et ses lettres (Montréal, 1996).— Gilles Lapointe et F.-M. Gagnon, Saint-Hilaire et les automatistes (Mont-Saint-Hilaire, Québec, 1997).— Gilles Lapointe et Raymond Montpetit, Paul-Émile Borduas, photographe : un regard sur Percé, été 1938 ([Saint-Laurent, Québec], 1998).— Paul-Émile Borduas, 1905–1960 (catalogue d’exposition, Musée des beaux-arts de Montréal, 1962).— Guy Robert, Borduas ([Sainte-Foy, Québec, 1972]) ; Borduas, ou, le Dilemme culturel québécois ([Montréal], 1977).
Soc. de généalogie de Québec, Fichier Drouin, Notre-Dame (Granby, Québec), 11 juin 1935 ; Saint-Hilaire (Mont-Saint-Hilaire), 5 nov. 1905 (mfm).— « M. P.-É. Borduas meurt à Paris à l’âge de 54 ans », le Soleil (Québec), 23 févr. 1960.
François-Marc Gagnon, « BORDUAS, PAUL-ÉMILE (baptisé Paul-Émile-Charles) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/borduas_paul_emile_18F.html.
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Auteur de l'article: | François-Marc Gagnon |
Titre de l'article: | BORDUAS, PAUL-ÉMILE (baptisé Paul-Émile-Charles) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |