BOISSEAU, JOSIAS, agent général des sieurs intéressés en la Ferme du roi, né vers 1641, décédé à une date inconnue.

Boisseau arriva probablement dans la Colonie en 1678. Il était accompagné de son épouse, Marie Colombier. C’est lui et Charles Aubert* de La Chesnaye, l’un des sieurs intéressés en la Ferme du roi, qui, au printemps de 1679, envoyèrent Louis Jolliet explorer la baie d’Hudson. À ce moment, les relations de l’agent général avec Aubert de La Chesnaye et Jolliet étaient excellentes. Mais un différend les opposa pendant l’hiver de 1679–1680, qui s’envenima rapidement.

Le pays était alors déchiré par des querelles de partis : Duchesneau et Frontenac [V. Buade] s’affrontaient ouvertement. Toutes les puissances, grandes et petites, se réclamaient ou du gouverneur ou de l’intendant ; la neutralité était une position difficile à tenir, les paroles et les gestes les plus innocents étant déformés et interprétés. Pour reprendre l’expression même de Louis XIV dans une lettre à Duchesneau, on ne manquait jamais de désapprouver ou d’approuver la conduite des particuliers à proportion qu’ils étaient amis ou ennemis de l’adversaire.

Or Boisseau était protégé par Frontenac, avec qui, selon Duchesneau, il était associé pour la contrebande des fourrures. Le vindicatif gouverneur épousa la querelle de l’agent général ; La Chesnaye, son beau-frère Lalande et son neveu Jolliet obtinrent l’appui de l’intendant. On ne connaît pas, à vrai dire, l’occasion du conflit, mais il fut d’une violence extrême. Le 10 avril 1680, Boisseau enregistrait une protestation contre Duchesneau, dont les ordonnances auraient toujours été préjudiciables à la compagnie des sieurs intéressés à la Ferme du roi, et dénonçait les « abus, torts, pilleries et malversations » de La Chesnaye et de ses parents et alliés : « assassinat » ( ?) d’un de ses domestiques, libelles diffamatoires affichés aux portes des églises, menaces, procès, etc.

Avec acharnement, pendant toute l’année 1680, Boisseau poursuivit ses ennemis, en particulier Aubert de La Chesnaye qu’il visait à travers Lalande et Jolliet. En mars, il accusa ces derniers de trafic illégal avec les Anglais de la baie d’Hudson, réclamant contre eux une amende de 2 000#, la confiscation de leur bateau et la saisie des marchandises. Duchesneau tenta de parer le coup ; finalement, il dut sévir, réduisant néanmoins la peine exigée par l’agent général. Or – c’est bien le plus incroyable – le crime avait été inventé de toutes pièces, comme Delanglez l’a démontré. Pour satisfaire sa vengeance, Boisseau ne reculait donc pas devant la calomnie. Vingt fois, du 22 mars au 15 octobre, seul ou flanqué de témoins, il se présenta devant l’un ou l’autre des notaires de Québec pour signer des déclarations visant à perdre ses adversaires : La Chesnaye, Lalande, Jolliet et, sans doute, Duchesneau, sans oublier Philippe Gaultier de Comporté, Jacques Le Ber* et Charles Le Moyne.

En 1681, l’agent général explose. Le 9 janvier, en jurant et blasphémant « par plusieurs fois », il déchire, piétine et jette au feu deux ordonnances de Duchesneau que lui remet un huissier, affirmant qu’il en ferait autant à l’intendant s’il le tenait. En mars, accompagné d’un garde du gouverneur, il croise dans la rue le fils de Duchesneau, âgé de 16 à 17 ans, et Vaultier, son domestique. De part et d’autre les insultes fusent. Frontenac, mis au courant, exige réparation ; l’intendant lui envoie son fils et Vaultier. Loin de présenter ses excuses, le jeune Duchesneau provoque Boisseau. Frontenac en Colère se rue sur l’adolescent, le frappe à coups de canne et déchire ses vêtements. Duchesneau s’échappe enfin et réussit à gagner le palais ; son père, de peur que le gouverneur n’enlève le jeune homme de force, barricade la maison et arme ses gens. Si l’on en croit l’intendant, le jeune seigneur aurait néanmoins passé un mois dans les prisons du fort, en compagnie de Vaultier. Enfin, en août, « dans un comportement sans pareil, jurant horriblement contre Dieu Et comme un lyon », Boisseau maltraite « extraordinairement » René Favre, qu’il frappe des mains et des pieds, le saisissant à la gorge et menaçant de l’étrangler.

Entre-temps, l’agent général n’avait pas craint d’attaquer le Conseil souverain et les officiers de justice de la Colonie. Le juge Migeon de Branssat, par exemple, fut singulièrement malmené par Boisseau pour avoir osé arrêter certains coureurs de bois, affidés de François-Marie Perrot, gouverneur de Montréal et complice de l’agent général. Les écrits diffamatoires, la violence et la calomnie étaient les armes favorites de Boisseau. Le conseil eût volontiers engagé une action contre lui ; mais la plupart des conseillers, poursuivant l’agent général pour leur propre compte, auraient dû se récuser pour n’être pas à la fois juges et parties. Par ailleurs, « atendu la protection que donn[ait] Monsieur le Gouverneur au dit Boisseau », les conseillers s’en remirent finalement, le 10 novembre 1681, à la justice du roi.

À cette date, Boisseau était à la veille de s’embarquer pour la France. Ses extravagances de l’année 1680 avaient fait l’objet de nombreux rapports aux autorités métropolitaines ; Duchesneau, pour sa part, en avait rédigé plusieurs. Le roi ordonna à la compagnie de révoquer Boisseau, mais reprocha à l’intendant sa partialité envers Aubert de La Chesnaye et l’animosité qu’il avait montrée dans cette affaire. L’annonce du rappel de Boisseau dut arriver à Québec peu avant le 15 juillet (1681), date où on le qualifiait « cy devant » agent général.

Boisseau partit, mais en annonçant son retour prochain ; il laissait du reste à Québec sa femme et ses deux enfants, nés au Canada, qui ne rentrèrent pas en France avant l’automne de 1682. À Paris, Boisseau hésita davantage à revenir dans la Colonie quand il apprit que Frontenac, son protecteur, et Duchesneau ne seraient peut-être pas continués dans leurs fonctions : on disait même, selon Dudouyt, « quil [faisait] tout ce quil [pouvait] pour ny pas aller ». Effectivement, Duchesneau et Frontenac furent rappelés. Boisseau tenta dès lors de s’attacher au nouveau gouverneur, M. Le Febvre de La Barre, à titre de secrétaire ; mais, affirmait Dudouyt, l’affaire ne se conclura pas, car La Barre « connoist le Sr Boisseau ». L’aventure canadienne du ci-devant agent général était close.

Cet homme entier et, à l’occasion, facilement extravagant eut le malheur de séjourner en Nouvelle-France en des années où les divisions de l’autorité et l’exacerbation des passions lui permirent de donner libre cours à ses tendances excessives. Étroitement protégé, d’une part, par un Frontenac trop semblable à lui-même et cupide comme lui, il était assuré d’une impunité quasi complète dont il usa allègrement, à l’exemple de son maître ; la partialité et l’hostilité systématique du parti adverse, d’autre part, et de Duchesneau en particulier, contribuèrent à l’exaspérer tout en lui fournissant une apparente justification de ses violences. En d’autres temps et dans un climat plus serein, Josias Boisseau eût peut-être été un tout autre homme, dont l’énergie, le dynamisme et la détermination eussent fait oublier ce que son caractère avait de rude et d’impétueux.

André Vachon

AJQ, Greffe de Romain Becquet, 10 avril 1680, etc. ; Greffe de Pierre Duquet, 1663–84, passim ; Greffe de Gilles Rageot, 1666–1702, passim ; Greffe de François Genaple, 1682–1702, passim.— ANDQ, Registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse Notre-Dame de Québec, 20 avril et 14 août 1680, 23 juin 1681.— APQ, Ordres du roi, VIII : passim.— ASQ, Lettres, N, 52, 57, 61, 62 ; Polygraphie, III : 51.— Correspondance de Frontenac (1672–1682), RAPQ, 1926–27 : 120–126, 132.— Duchesneau au ministre, 13 nov. 1681, BRH, XXVI (1920) : 275–286. Jug. et délib., II : passim.— NYCD (O’Callaghan and Fernow), IX : 141, 157, 159s.— Ord. comm. (P.-G. Roy), I : 287–290.— Recensement de 1681.— Delanglez, Jolliet, 274, 285–297.— Eccles, Frontenac, 146, 149, 151.— Tanguay, Dictionnaire, I : 63.

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André Vachon, « BOISSEAU, JOSIAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/boisseau_josias_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
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