Provenance : Avec la permission de Wikimedia Commons
BICKERDIKE, ROBERT, homme d’affaires, homme politique et réformateur social, né le 17 août 1843 à Kingston, Haut-Canada, fils de Thomas Bickerdike, fermier, et d’Agnes Forster Cowan ; le 4 décembre 1866, il épousa à Montréal Helen Thomson Reid (décédée en 1907), et ils eurent au moins trois fils et six filles ; décédé le 28 décembre 1928 à Lachine, Québec.
Les ancêtres de Robert Bickerdike étaient d’ascendance normande et appartenaient à l’une des plus vieilles familles d’Angleterre, les de Bicker, qui s’était installée dans le Yorkshire tard au xie siècle. En mémoire de Robert Bickerdike, exécuté en 1585 à cause de sa foi catholique, le fils aîné de chacune des branches de la famille Bickerdike recevait le prénom de Robert.
Natif du Berkshire, Thomas Bickerdike, dernier fils d’une branche protestante de la famille, était arrivé au pays au plus tard en 1820. Il quitta le Haut-Canada à la fin des années 1840 et s’établit à Saint-Louis-de-Gonzague, dans le comté bas-canadien de Beauharnois, où il acheta une modeste ferme. Son fils Robert étudia au village de Beauharnois, et c’est sans doute au cours de cette période qu’il apprit à parler couramment le français. Il travailla à la ferme familiale jusqu’à l’âge de 17 ans puis monta à Montréal, où il devint boucher. Vers 1865, il se lança dans l’empaquetage du porc. En juin 1875, avec Duncan McCormick, il créa une entreprise qui comportait en plus un abattoir, la Robert Bickerdike Company. Elle se trouvait dans la petite municipalité de Saint-Henri (Montréal), où Bickerdike élut domicile peu après. L’année suivante, il fit son entrée dans l’exportation des bovins, qui en était à ses débuts. Un jour, il se classerait parmi les membres les plus prospères de cette industrie au Canada.
En 1881, Bickerdike fonda à Saint-Henri la Dominion Abattoir and Stock Yards Company Limited avec les bouchers Edward Charters, William Morgan et Robert Nicholson, le tanneur Pierre Claude, le savonnier et huilier William Strachan et le négociant en bovins Robert J. Hopper. L’entreprise avait un capital autorisé de 200 000 $. Bickerdike en était l’administrateur délégué. Pour protéger ses investissements, il étendit ses activités au domaine de l’assurance en fondant en 1884 la Live Stock Insurance Company ; en 1898, il en serait président. Vers 1895, non seulement exploitait-il son entreprise d’abattage et d’exportation de bétail, mais il était aussi agent d’assurance et agent d’expédition. Pendant cette décennie, diverses compagnies d’assurance lui demandèrent d’inspecter du bétail. En 1887, il fut secrétaire de la Dominion Livestock Association.
En 1892, un embargo britannique sur le bétail canadien, imposé à la suite de la découverte de bêtes malades, frappa durement les exportateurs de bovins. Bickerdike protesta vigoureusement et demanda à plusieurs reprises au British Board of Agriculture de lever ce boycott. Les bovins du Canada, insistait-il, n’étaient pas malades ; les Britanniques prenaient prétexte de l’embargo pour protéger leur propre industrie contre la concurrence. Craignant que le litige nuise à l’ensemble des échanges commerciaux entre le Canada et la Grande-Bretagne, il prévint les Britanniques de ne pas se tourner vers la France ni les États-Unis. L’embargo serait toujours en vigueur en 1912.
En 1893, la Dominion Abattoir and Stock Yards Company Limited se réorganisa. À l’exception de Bickerdike, les associés de la première heure partirent. Louis Delorme, exportateur de bétail, et Wellington E. Bell, comptable, les remplacèrent. La société avait un capital de 250 000 $, qui pouvait grimper à un million de dollars. Elle obtint le droit d’émettre des obligations, d’acquérir d’autres entreprises et de construire des stations hydrauliques. Sept ans plus tard, elle prit le nom de Robert Bickerdike and Company Limited. Entre-temps, les assurances prirent de plus en plus de place dans les activités de Bickerdike. Il fut nommé en 1900 directeur de succursale dans une société d’assurances générales, la Compagnie d’assurance de l’Ouest, où il resterait jusqu’en 1924. Il dirigea aussi, en 1900–1901, une succursale de la Compagnie d’assurance de Québec contre les accidents du feu. De 1901 à 1912, il exerça la même fonction à la Union Marine Insurance Company of Halifax, Nova Scotia. À compter de 1910, on le trouve au conseil d’administration de plusieurs sociétés d’assurance, dont certaines bien connues, telle la Compagnie d’assurance du Canada sur la vie, où il demeura de 1912 au moins jusqu’à 1917.
Bickerdike n’exportait plus de bétail depuis 1911. Il continuerait seul à la Robert Bickerdike and Company, dans les domaines des assurances et des finances, jusqu’en 1919. Ses connaissances financières l’avaient conduit en 1891 à la vice-présidence de la Banque d’Hochelaga ; il occupa ce poste jusqu’en 1911. Cette année-là, avec le député conservateur fédéral Rodolphe Forget*, il fonda la Banque internationale du Canada, qui cherchait surtout à attirer des investissements de la France. À peine plus d’un an après, les tensions entre les investisseurs français et canadiens menèrent cet établissement à la faillite.
Actif dans un large éventail d’entreprises, Bickerdike avait été en 1892 l’un des fondateurs de la St Henri Light and Power Company (rebaptisée l’année suivante Standard Light and Power Company) et il en fut président de 1898 au moins jusqu’à 1905. Il occupa la présidence de la Montreal and Great Lakes Steamship Company de 1909 environ à 1912 et celle de la Canada Securities Corporation de 1910 à 1914. Il appartint au conseil d’administration de nombreuses sociétés, notamment la Marconi Wireless Telegraph Company of Canada Limited à compter de 1909 environ jusqu’à 1917.
Grand artisan du progrès qui fit de Montréal le principal centre urbain du Canada au début du xxe siècle, Bickerdike y avait été président du Bureau de commerce en 1896. Il fit partie de la Commission du havre de Montréal de 1896 à 1906 et en fut président intérimaire. Il consacra beaucoup de temps et d’énergie à l’aménagement du port et, en tant que député aux Communes, il défendit cette partie de la ville. La jetée Bickerdike témoigne de l’importance de son soutien.
En 1875, Bickerdike avait passé quelques mois au conseil municipal de Saint-Henri, où il habitait à l’époque. Sa principale expérience en administration municipale eut lieu en 1895–1896 : installé depuis peu à Summerlea (Lachine), il fut alors maire suppléant de cette localité. Au scrutin provincial de 1897, il défendit les couleurs du Parti libéral, à l’encontre de la tradition conservatrice de sa famille, et fut élu dans Montréal, division no 5. En 1900 s’amorça pour lui une période de 17 ans en politique fédérale : de nouveau candidat libéral, il l’emporta haut la main dans Saint-Laurent, circonscription montréalaise à majorité franco-catholique et à minorité juive. Bickerdike se distinguerait surtout par ses prises de position sur de grandes questions sociales, mais ses interventions au Parlement comprendraient aussi plusieurs brefs discours en faveur d’intérêts économiques liés de très près à ses affaires, entre autres l’exportation de bétail. Décrit un jour comme un « pilier » du Parti libéral par l’Ottawa Citizen, il siégea aux Communes pendant une bonne partie du régime de sir Wilfrid Laurier*. Malgré leur vieille amitié, il rompit avec son chef au cours de la Première Guerre mondiale parce que Laurier s’opposait à la conscription. Dans sa lettre de démission, en 1917, Bickerdike rappelait la présence de ses fils et petits-fils dans l’armée.
Bickerdike se démarqua par les positions qu’il énonça dans quelques-uns des grands débats sociaux et culturels des débuts du xxe siècle. Ce fervent défenseur des droits linguistiques et religieux des minorités déclara un jour que le Québec donnait l’exemple par la manière dont il traitait sa minorité anglo-protestante. Membre du comité protestant du Conseil de l’instruction publique de 1911 à 1923, il jugeait le bilan de cette province dans le dossier des minorités particulièrement brillant pour ce qui était des écoles. En 1905, au cours de la polémique sur les droits des collectivités franco-catholiques des nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan en matière de langue et d’écoles confessionnelles [V. sir Wilfrid Laurier], il avait plaidé en faveur des minorités. On devait, disait-il, se méfier de ceux qui cherchaient à exploiter les conflits à des fins politiques.
Presbytérien aux convictions indubitables, Bickerdike représentait une circonscription fédérale où il y avait un important électorat juif et il aimait à se définir comme le représentant des Juifs à la Chambre. En 1906, il contesta l’idée, couramment admise, que seul le dimanche, jour de repos des chrétiens, devait être respecté. Contrairement à d’autres députés fédéraux, selon qui les Juifs étaient tout au plus des invités dans une société chrétienne et devaient donc se plier à la religion de la majorité, il défendit leur liberté d’observer leur sabbat. Les Juifs, dit-il à ses pairs, avaient droit à tout autant de respect dans la pratique de leur religion. Par conséquent, ils devaient être autorisés à fermer leurs commerces le samedi et à les ouvrir le dimanche.
Du début à la fin de sa carrière politique, Bickerdike revendiqua l’égalité des droits pour tous les citoyens, sans égard à leur confession religieuse. En 1910, il présenta une motion pour que la protection accordée aux jeunes protestants et catholiques en vertu de la Loi des jeunes délinquants de 1908 s’applique à tous les autres, particulièrement les Juifs. En une autre occasion, il exprima son inquiétude quant à la possibilité que des établissements d’enseignement du Canada utilisent des quotas fondés sur l’appartenance religieuse. En 1912, il proposa que la Queen’s University raye de sa charte la mention de son caractère « typiquement chrétien » et le critère d’embauche « profession de foi chrétienne ». En 1917, il insista pour qu’on accorde le droit de vote aux « femmes loyales du Canada » et qu’on leur donne les mêmes droits et privilèges politiques qu’aux hommes. Avec constance, il se fit l’interprète des pauvres et des citoyens privés du droit électoral et défendit les idéaux libéraux. Bon nombre de ses discours exprimaient une juste indignation devant les lois en vigueur à l’époque et devant les attitudes de la plupart de ses contemporains. Qu’il ait réclamé une réforme pénitentiaire, fait pression en faveur des minorités religieuses ou prôné l’interdiction de vendre des cigarettes aux mineurs, sa détermination ne fléchissait jamais.
Pour Bickerdike, abolir la peine capitale était un impératif. On pourrait aller jusqu’à dire que ce fut le combat de sa vie. Rares furent ceux qui se prononcèrent avec autant de vigueur ou d’éloquence que lui en faveur de cette réforme. En 1914 et de nouveau en 1916, il présenta un projet de loi visant à remplacer la peine capitale par l’emprisonnement à perpétuité. Il s’opposait à la peine de mort pour de multiples raisons. Selon lui, elle était une insulte au christianisme et à la religion en général et une honte pour toute nation civilisée. « Rien n’est plus dégradant pour l’ensemble de la société […] que la peine de mort », déclara-t-il aux Communes. Il parla aussi des disparités de classes en signalant que ce châtiment était administré bien plus souvent aux pauvres qu’aux riches. Il réfutait la thèse selon laquelle les exécutions sous l’égide de l’État avaient un effet dissuasif et il prévenait contre le risque d’erreur. Bien qu’il n’ait jamais renoncé à son objectif, il ne le vit pas se réaliser : la peine capitale serait abolie au Canada seulement en 1976.
À titre personnel, Bickerdike participa en 1916 à la fondation de la National Prison Reform Association, dont il fut président. Trois ans plus tard, cet organisme fusionna avec la Honour League of Canada, ce qui donna l’Association canadienne pour le bien-être des prisonniers. Celle-ci faisait pression contre la peine de mort, portait assistance aux familles des prisonniers et cherchait du travail aux ex-détenus. Bickerdike en serait président honoraire jusqu’à son décès. Il attira l’attention des Communes sur les terribles conditions qui régnaient dans les pénitenciers canadiens. Ses revendications en faveur d’une réforme du système carcéral s’appuyaient sur ses convictions chrétiennes. En 1917, donc en plein conflit mondial, il présenta à la Chambre une résolution offrant à tous les prisonniers la possibilité de s’enrôler dans l’armée active : ainsi, ils pourraient se racheter tout en servant leur pays.
Bickerdike occupa une place prédominante dans la vie communautaire. Dans le secteur de la santé, il fut, entre autres, membre du conseil d’administration de l’hôpital Royal Victoria à compter de 1896, membre à vie du conseil d’administration du Montreal General Hospital à partir de 1898 ainsi que membre du conseil d’administration et président du Western Hospital of Montreal. Il occupa la présidence de la Société St George en 1912. Intéressé par l’inventaire du patrimoine canadien, il participa à la Société de numismatique et d’archéologie de Montréal. Sa générosité était connue ; selon une nécrologie, il s’était « entendu avec le ministre de son église [à Lachine] pour que personne ne souffre de la faim ».
Invalide durant les trois dernières années de sa vie, Robert Bickerdike mourut le 28 décembre 1928 à sa maison de Lachine, appelée Elmcroft. Lui qui n’avait jamais recherché les honneurs s’était vu offrir un titre de chevalier pour son soutien à l’effort de guerre. Toutefois, en 1919, avant la parution de la liste de distinctions, la Chambre des communes avait adopté une motion suspendant l’octroi de titres à des Canadiens. Bickerdike laissait le souvenir d’un homme qui avait un grand appétit de vivre. Son intégrité, son altruisme et sa charité faisaient l’admiration de tous.
ANQ-M, CE601-S120, 4 déc. 1866 ; TP11, S2, SS20, SSS48, vol. 6-o, 31 juill. 1875, no 450 ; vol. 11-o, 15 juill. 1911, no 64 ; vol. 17-o, 6 janv. 1919, no 1265 ; vol. 21-o, 14 mai 1900, no 1087.— BAC, MG 26, G.— Gazette (Montréal), 29 déc. 1928.— Annuaire, Montréal, 1875–1917.— R. C. Brown et Ramsay Cook, Canada, 1896–1921 : a nation transformed (Toronto, 1974).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1900–1917 ; Parl., Doc. de la session, 1891, no 7b.— Canada Gazette, 26 févr. 1881.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— CPG, 1897–1917.— DPQ.— H. B. Neatby, Laurier and a Liberal Quebec ; a study in political management, R. T. Clippingdale, édit. (Toronto, 1973).— Québec, Statuts, 1893, c.79 ; 1900, c.80.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec.— The storied province of Quebec ; past and present, W. [C. H.] Wood et al., édit. (5 vol., Toronto, 1931–1932).
Jack Jedwab, « BICKERDIKE, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bickerdike_robert_15F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/bickerdike_robert_15F.html |
Auteur de l'article: | Jack Jedwab |
Titre de l'article: | BICKERDIKE, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |