BIBEAU (Bibeault), MARIE (Mary), dite Marie-Anne-de-Jésus, première supérieure générale des Petites Franciscaines de Marie, née le 9 octobre 1865 à Sorel, Bas-Canada, fille de Pierre Bibeault, cultivateur, et de Catherine Latraverse ; décédée le 30 avril 1924 à Baie-Saint-Paul, Québec.
Marie Bibeau fréquente l’école de rang de son village, où elle acquiert une instruction sommaire, puis travaille comme couturière. Vers 1887, elle émigre au Massachusetts avec sa famille, à Manchaug, au sud de Worcester, où se trouve une importante communauté franco-américaine. Dans cette dernière ville, le curé de Notre-Dame-des-Canadiens, Joseph Brouillet, fait alors des démarches pour ouvrir un orphelinat dans une maison qu’il a achetée. Il songe à fonder une communauté religieuse pour prendre en charge cette œuvre. Il convainc deux institutrices, qui sont des tertiaires franciscaines, et Marie-Louise Rondeau, étudiante au couvent des Sœurs de la Présentation de Marie à Saint-Hyacinthe, au Québec, d’en former l’embryon. L’orphelinat ouvre ses portes le 13 août 1889. Attirée par la vie religieuse, Marie Bibeau décide de se joindre au groupe et est reçue comme postulante le 7 octobre 1889. Admise à la vêture le 24 novembre, elle reçoit le nom de Marie-Anne-de-Jésus. La communauté, de spiritualité franciscaine, compte alors trois novices et deux postulantes qui s’occupent d’une quarantaine d’enfants. Le travail est énorme – quêtes quotidiennes, entretien et confection des vêtements des enfants, enseignement – et ne laisse guère de temps pour la vie religieuse.
À l’été de 1890, les sœurs doivent se rendre à l’évidence : leur communauté est menacée par les décisions du fondateur qui, au surplus, a agi sans autorisation épiscopale. Le curé Brouillet a accepté trop de sujets, les vêtures ont été expéditives, la formation religieuse rudimentaire et le travail sont devenus considérables à la suite d’un essaimage trop hâtif ; de plus, son désaccord avec le chapelain de la communauté, l’oblat Zotique Durocher, au sujet de la formation des novices, et sa gestion financière hasardeuse ont créé beaucoup d’instabilité. Sans « aucune sûreté, ni du côté spirituel, ni du côté temporel », selon leur conseiller juridique, Ambroise Choquet, les « religieuses », conseillées par des amis et des bienfaiteurs, demandent la reconnaissance civile sous le nom de Sœurs oblates de Saint-François d’Assise le 10 septembre 1890 et obtiennent la protection de l’évêque Patrick Thomas O’Reilly, de Springfield, qui leur apprend toutefois qu’elles ne sont pas religieuses. Commence alors un long conflit qui oppose les oblates au curé Brouillet. Ce dernier répand le bruit qu’elles sont excommuniées, leur refuse les sacrements et requiert même les services d’un huissier pour les expulser de leur maison en janvier 1891.
Après s’être réfugiées dans une maison abandonnée de Worcester, « la maison de misère », comme elles la désignent, les 15 « religieuses » ouvrent un nouvel orphelinat et tentent de trouver une solution à leurs difficultés. Elles sont alors mises en contact avec le curé de Baie-Saint-Paul, Ambroise Fafard, qui a fondé un hospice dans sa paroisse en 1889 et cherche une communauté pour diriger son œuvre. Sœur Marie-Anne-de-Jésus et sœur Marie-Joseph (Marie-Louise Rondeau) se rendent alors à Baie-Saint-Paul pour discuter de l’entreprise et rencontrer l’évêque de Chicoutimi, Mgr Louis-Nazaire Bégin. Elles prennent la décision de réorienter leur « communauté » le 13 novembre 1891, tout en conservant leur orphelinat de Worcester : c’est l’arrivée des « sœurs brunes » à Baie-Saint-Paul. Elles devront toutefois refaire leur noviciat, puisqu’elles ne sont pas religieuses. Sœur Marie-Anne-de-Jésus est mêlée de près aux nombreuses négociations associées à cette fondation difficile, à titre de première supérieure générale, poste auquel elle est élue en janvier 1892. Elle évoque dans une lettre « les jours semés d’épines auxquelles [elles se sont] meurtries bien des fois ».
L’hospice Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul oblige toutefois les « sœurs brunes » à modifier leur charisme originel. En effet, le curé Fafard a signé une entente avec le gouvernement de Québec pour recevoir 50 aliénés, en plus de la vingtaine de vieillards qu’il héberge. « Nos idiots nous donnent beaucoup de misère », écrit la supérieure. Elle est au travail avec ses sœurs et, dans son franc parler, se déclare « bouche-trou ». Elle organise les quêtes dans les rangs. « Nous ramassons de tout : des poules, des oies, des dindes, des moutons, tout cela dans la même voiture », précise-t-elle. Elle se rend chaque année dans sa paroisse natale pour quêter, et son efficacité y est réputée. Par ailleurs, c’est elle qui reçoit les Franciscaines missionnaires de Marie, venues de France en mai 1892 pour tenter d’intégrer les 11 « fondatrices » dans leur congrégation. Devant l’échec de cette fusion – les constitutions de la communauté française ne conviennent pas à l’œuvre entreprise –, mère Marie-Anne-de-Jésus a la satisfaction d’obtenir, le 7 juin 1892, l’autorisation diocésaine à l’érection des Petites Franciscaines de Marie et à l’ouverture d’un noviciat. C’est elle aussi qui demandera, en 1902, au franciscain Berchmans-Marie Mangin de contribuer à la rédaction des constitutions de la jeune congrégation et d’assurer la formation franciscaine des sœurs.
Toutefois, le maintien de l’œuvre de Worcester s’avère difficile. La supérieure générale rencontre successivement les évêques de Chicoutimi, Mgr Bégin et Mgr Michel-Thomas Labrecque, celui de Springfield, Mgr Thomas Daniel Beaven, et le délégué apostolique à Washington, Mgr Sebastianni Martinelli, pour régler la question. L’abbé Brouillet, « qui aime brouiller les cartes », selon Mgr Labrecque, continue de lancer des calomnies et tente par tous les moyens d’empêcher la jeune communauté de conserver son orphelinat de Worcester. Les religieuses peuvent toutefois compter sur le soutien de leur premier chapelain, le père Durocher, de leur confesseur, le jésuite Darveni-Hugues Langlois, et du curé Fafard. L’affaire traîne en longueur et n’est résolue que le 7 décembre 1897 : l’évêque accepte les religieuses dans son diocèse, mais elles devront transformer leur orphelinat en hospice pour vieillards, puisque les Sœurs de la charité de l’Hôpital Général de Montréal s’occupent déjà des orphelins à Worcester.
Après la mort du curé Fafard, le 12 août 1899, mère Marie-Anne-de-Jésus révèle les ressources de sa personnalité. C’est elle qui mène à terme les projets considérables du fondateur de l’hospice. Elle s’occupe des constructions exigées par l’expansion de l’œuvre des aliénés, entreprend l’érection de la maison mère à Baie-Saint-Paul, négocie les contrats successifs avec le gouvernement, gère la ferme de la communauté et la compagnie d’électricité qui alimente l’hospice, ses dépendances et le village, dirige l’organisation des quêtes, des fêtes, l’amélioration des services offerts aux aliénés et planifie l’expansion de la communauté, notamment en fondant cinq écoles en Nouvelle-Angleterre. Elle gagne l’admiration des responsables religieux et civils par sa brillante intelligence, son habileté administrative et sa foi audacieuse. En 1908, l’hospice Sainte-Anne abrite 105 malades (épileptiques, idiots et malades « privés de sentiments humains »), 39 vieillards, 20 pensionnaires privés et 79 religieuses. Le personnel laïque est réduit à 6 personnes et les religieuses sont réquisitionnées régulièrement pour des corvées : empilage des briques, réparation du mortier, peinture des murs et des galeries, récolte des patates, broyage du lin. Le personnel total de la communauté dépasse déjà 100 personnes.
En 1908, l’état de santé de mère Marie-Anne-de-Jésus l’oblige à réclamer d’être soulagée de ses responsabilités de supérieure générale. À partir de cette date, son rôle est beaucoup plus effacé. On vante ses talents de guérisseuse, ses recettes miracles de sucreries et sa compassion auprès des paroissiens. En 1920, elle accepte le poste de procuratrice générale (ou économe), qu’elle abandonne en 1923 pour des raisons de santé. Elle meurt le 30 avril 1924 en disant, selon la supérieure générale Marie-Claire-d’Assise : « Je ne vois absolument rien dans ma vie qui puisse compter comme œuvre. »
Pourtant, pendant près de 20 ans, mère Marie-Anne-de-Jésus aura vu sa vie happée par la difficile gestation d’une communauté franciscaine. Associée dans cette entreprise surtout à mère Marie-Joseph, la fondatrice américaine, elle aura été la fondatrice canadienne, celle qui réussit les négociations les plus difficiles.
ANQ-M, CE603-S7, 10 oct. 1865.— Arch. des Petites Franciscaines de Marie (Baie-Saint-Paul, Québec), Album-souvenir des noces d’argent de l’hospice Sainte-Anne ; Annales de la fondation de la communauté ; Dossier personnel de mère Marie-Anne-de-Jésus.— Michelle Garceau, Par ce signe tu vivras : histoire de la congrégation des Petites Franciscaines de Marie (1889–1955) (4e éd., Baie-Saint-Paul, 1989).— Marguerite Jean, Évolution des communautés religieuses de femmes au Canada de 1639 à nos jours (Montréal, 1977), 121–124.— Petites Franciscaines de Marie, Notice sur l’Institut des Petites Franciscaines de Marie (Baie-Saint-Paul, 1916 ; 2e éd., 1927).— Margaret Porter, Mille en moins : histoire du centre hospitalier de Charlevoix (1889–1980) (Baie-Saint-Paul, 1984).
Micheline Dumont, « BIBEAU (Bibeault), MARIE (Mary), dite Marie-Anne-de-Jésus », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bibeau_marie_15F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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