BERTRAND, JULIE (Julienne), dite Marie de Saint-Basile, première supérieure générale canadienne de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Croix et des Sept-Douleurs, née le 1er décembre 1844 à Sainte-Scholastique (Mirabel, Québec), fille d’Olivier Bertrand, entrepreneur-menuisier et cultivateur, et de Julia Welch, vraisemblablement d’origine irlandaise ; décédée le 2 avril 1923 à Saint-Laurent, Québec.
À compter de 1851, Julie Bertrand fait ses études au pensionnat de son village, ouvert l’année précédente par les Sœurs marianites de Sainte-Croix, congrégation française arrivée à Saint-Laurent, près de Montréal, en 1847, avec les Pères et les Frères de Sainte-Croix, à l’invitation de Mgr Ignace Bourget* [V. Léocadie Gascoin*]. Le 24 août 1859, elle est admise comme postulante à Saint-Laurent puis entre au noviciat le 28 décembre ; elle reçoit alors le nom de sœur Marie de Saint-Basile, en l’honneur du fondateur de la congrégation, Basile Moreau.
Comme elle a été une couventine douée et une novice remarquée, sœur Marie de Saint-Basile est affectée à des emplois de responsabilité dans cette communauté enseignante, en dépit de son jeune âge : surveillante, enseignante, titulaire de la première classe, directrice d’académie, préfète de discipline. Elle travaille dans la plupart des maisons de la province canadienne : Saint-Martin (Laval) (1862), Saint-Laurent (1865), académie Saint-Ignace à Montréal (1873), Varennes (1874) et Saint-Alphonse-de-Liguori (Saint-Liguori) (1875). Au moment où elle est à Saint-Laurent, comme titulaire de la première classe, la jeune communauté traverse une crise majeure.
En effet, la Congrégation de Sainte-Croix a essaimé aux États-Unis et les supérieurs français ont du mal à gérer l’expansion colossale de leur rameau américain dans l’Indiana, sous l’impulsion du père Édouard Sorin. La fondatrice des Sœurs marianites de Sainte-Croix au Mans, en France, Léocadie Gascoin, dite Marie des Sept-Douleurs, deuxième supérieure à Saint-Laurent en 1849, devenue provinciale en 1857 et supérieure générale en 1858, est retournée en France en 1863, d’où elle continue à administrer étroitement la province canadienne, selon les constitutions. En 1865 survient la fusion des trois provinces nord-américaines (l’Indiana, la Louisiane et le Canada) qui entraîne le transfert du noviciat dans l’Indiana pour toutes les maisons nord-américaines des Sœurs marianites de Sainte-Croix, malgré les protestations des sœurs canadiennes. Cet épisode est suivi de la sécession de la branche américaine des Sœurs marianites de Sainte-Croix en 1869. La supérieure générale se trouve dès lors à freiner l’expansion de sa branche canadienne, dans l’objectif de rester fidèle à l’esprit du fondateur et d’éviter une nouvelle sécession.
En 1876, sœur Marie de Saint-Basile est choisie pour une mission difficile : fonder un pensionnat à Sainte-Rose, paroisse de l’île Jésus qui avait espéré la venue d’une autre congrégation enseignante. Son succès auprès des paroissiens se double d’une réussite qui atteste sa capacité d’influence : 24 des 28 élèves de la première classe choisissent d’entrer au noviciat de Saint-Laurent ! C’est à titre de supérieure du pensionnat que Marie de Saint-Basile se trouve associée, trois ans plus tard, aux démarches des sœurs de Saint-Laurent pour obtenir leur séparation de la congrégation française. Élue par les sœurs comme déléguée officielle au chapitre général de 1879, elle accompagne la supérieure provinciale, mère Marie de Saint-Alphonse-de-Rodriguez, au Mans. Elle se trouve au cœur du conflit qui oppose les sœurs canadiennes à la fondatrice, laquelle, selon l’évêque de Montréal Mgr Édouard-Charles Fabre*, « met des obstacles qui nuisent au développement et à la prospérité des établissements de la province ». Après le retour de leurs déléguées, les religieuses canadiennes, dont les demandes ont reçu une fin de non-recevoir, envoient une pétition à Rome, le 23 août 1880, pour rompre tous les liens canoniques avec la congrégation française. Ce geste, perçu par la fondatrice comme une impardonnable insubordination, est lourdement sanctionné par des punitions exemplaires et des changements d’obédience, au grand désarroi des religieuses canadiennes. Ces dernières maintiennent toutefois leur position, à cause des inconvénients majeurs causés par le recours obligatoire à l’administration générale pour toutes les décisions courantes. Elles obtiennent, dans leurs démarches, l’appui de Mgr Fabre, d’un mandataire à Rome, l’abbé Gédéon Huberdeau, et de leur directeur spirituel à Varennes, l’abbé François-Xavier Bourbonnais, qui estime que la demande des sœurs canadiennes « n’est pas une révolte illégitime ».
À la suite de la suppression par Rome, « pour un temps », de toute dépendance envers la maison mère, en décembre 1882, c’est Mgr Fabre qui assure la direction de la congrégation. Il procède à une consultation auprès des sœurs qui ont exercé des postes de gouvernement, désigne les membres du conseil et nomme Marie de Saint-Basile supérieure-vicaire des Sœurs de Sainte-Croix et des Sept-Douleurs, nom de la « nouvelle » congrégation. Mère Marie de Saint-Basile n’a que 38 ans. On peut donc faire l’hypothèse qu’elle a été perçue par ses compagnes comme un témoin clé de la rupture et comme la personne toute désignée pour en assumer les conséquences. En effet, les anciennes constitutions sont toujours en vigueur, ce qui complique la situation. Mère Marie de Saint-Basile écrit à l’évêque en 1885 : « Venir à une entente avec la France est une chose parfaitement impossible. Notre situation serait intenable. » Des constitutions provisoires sont adoptées en 1889 et le premier chapitre de 1890 permet l’élection de mère Marie de Saint-Basile comme première supérieure générale, élection reconduite au chapitre de 1896.
En 1882, la congrégation est composée de 90 professes et de 22 novices ; elle compte 8 établissements à Montréal et dans la région, un en Ontario et un autre au Connecticut. La nouvelle supérieure entame alors une série de fondations, dont la très grande majorité se situe dans les paroisses « canadiennes » de la Nouvelle-Angleterre. En effet, comme bien d’autres congrégations de la province de Québec, les Sœurs de Sainte-Croix trouvent dans cette région un territoire où leur expansion n’est pas gênée par la présence des plus anciennes congrégations et est facilitée par le développement du réseau ferroviaire. Mère Marie de Saint-Basile dirige elle-même cette expansion en visitant régulièrement les maisons franco-américaines. Au moment où la supérieure générale quitte ses responsabilités, en 1902, la congrégation a pris une expansion irrésistible : 428 professes, 47 novices et 28 postulantes, réparties dans 33 maisons. La congrégation a été divisée en trois provinces – Notre-Dame-des-Sept-Douleurs (Québec), Sacré-Cœur (Nouvelle-Angleterre) et Saint-Joseph (2 maisons en Ontario, 4 aux États-Unis et 2 au Québec) – et la maison mère a été agrandie par d’importantes constructions. Rome a approuvé par décret ses constitutions en 1897, « après une attente de trois ans au lieu de 7 ou 10 ans, parce que très bien rédigées », selon mère Marie de Saint-Basile. Pour cette dernière, il s’agit de « douces consolations et de puissants encouragements », car elle a exprimé souvent « le lourd fardeau » de sa charge.
Mère Marie de Saint-Basile, qui a vécu aux premières lignes le conflit menant à l’autonomie de la province canadienne, a pratiqué un style de gouvernement basé sur la prudence, le respect de la règle et l’habileté administrative. Ses lettres circulaires sont courtes, efficaces et paraissent austères et répétitives : interdictions des voyages, des visites, restrictions des achats, recherche de l’esprit religieux dans les petites choses. En dépit des circonstances difficiles qui ont entouré la fondation canadienne, elle maintient les liens spirituels avec le fondateur, la fondatrice et les autres branches de Sainte-Croix. Elle recommande de « cultive[r] avec sagesse et discernement les vocations ». Elle s’occupe également de la formation religieuse et pédagogique des jeunes religieuses, qu’elle rassemble tous les étés à la maison mère. Sa correspondance est axée principalement sur la sécurité matérielle des maisons de la congrégation. Malheureusement, elle a détruit ses papiers personnels quelques mois avant sa mort, et l’on est ainsi privé de témoignages moins autoritaires et plus intimes.
Après son généralat, mère Marie de Saint-Basile est supérieure provinciale de la province Notre-Dame-des-Sept-Douleurs jusqu’en août 1905. Elle accepte ensuite des responsabilités moins exigeantes comme supérieure locale à Saint-Martin (1905–1911) et dans les paroisses Notre-Dame-du-Rosaire (1911–1914) et Saint-Alphonse d’Youville, à Montréal (1914–1920). En 1920, elle revient à la maison mère avec les religieuses malades, où elle occupe de modestes fonctions de type administratif en dépit d’une maladie chronique. Elle meurt le lundi de Pâques 2 avril 1923.
Mère Marie de Saint-Basile a laissé une grande réputation dans sa congrégation et dans la province de Québec, sans doute à cause de la fermeté et de l’habileté avec lesquelles elle a conduit les Sœurs de Sainte-Croix dans des circonstances difficiles. Par ailleurs, dans le champ de l’instruction des filles, elle a su seconder adroitement les préfètes générales des études qui ont assuré la réputation de cette congrégation en matière d’éducation parmi la population.
ANQ-M, CE606-S22, 1er déc. 1844.— Arch. des Sœurs de Sainte-Croix (Saint-Laurent, Québec), Annales de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Croix et des Sept-Douleurs, 2, 3 ; Circulaires de sœur Marie de Saint-Basile ; Circulaires de sœur Marie des Sept-Douleurs ; Correspondance, lettres de sœur Marie de Saint-Basile ; Mgr Fabre avec la Sacrée Congrégation de Rome ; sœurs de Saint-Laurent avec Mgr Bourget ; sœurs de Saint-Laurent avec Mgr Fabre ; Dossier concernant la pétition de 1882.— Étienne et Tony Catta, la Très Révérende Mère Marie des Sept-Douleurs, 1818–1900, et les Origines des Marianites de Sainte-Croix (Le Mans, France, [1958]).— Guy Laperrière, les Congrégations religieuses : de la France au Québec, 1880–1914 (2 vol. parus, Sainte-Foy, Québec, 1996– ), 1.— Sainte-Croix au Canada, 1847–1947 (Montréal, 1947).
Micheline Dumont, « BERTRAND, JULIE (Julienne), dite Marie de Saint-Basile », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bertrand_julie_15F.html.
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Auteur de l'article: | Micheline Dumont |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |