BENOIT, PAUL (baptisé Joseph-Paul-Augustin), prêtre, chanoine régulier de l’Immaculée-Conception, professeur, écrivain et missionnaire colonisateur, né. le 14 janvier 1850 aux Nans, France, fils de Charles Benoit, cultivateur, et d’Euphrasie Blondet ; décédé le 19 novembre 1915 à Saint-Chamond, France.

Élevé aux Rousses, dans le Jura français, Paul Benoit y reçoit une éducation « vaguement teintée de rigorisme » et il gardera pour toujours l’empreinte de son entourage catholique, royaliste et traditionaliste. Il fréquente les petits séminaires et le grand séminaire de sa région natale, puis le séminaire français de Rome, où il accède au sacerdoce en 1874. Dans la même année, il est reçu docteur en philosophie de l’université grégorienne et docteur en théologie du collège Saint-Thomas à la Minerve. Il devient alors professeur au grand séminaire de Lons-le-Saunier, en France, et directeur de l’établissement dès son arrivée.

En 1877, Benoit est agrégé à la congrégation des Chanoines réguliers de l’Immaculée-Conception, fondée par dom Adrien Gréa en 1866 dans le but de restaurer un mode de vie répandu dans l’Église primitive ; les religieux axent leur vie commune sur la liturgie, la mortification et se vouent en plus aux tâches paroissiales propres au clergé séculier. En 1884, dom Benoit devient maître du noviciat, directeur des études de l’institut et « le premier conseiller » du supérieur, avec qui il se lie d’une amitié indéfectible. Il se révèle un intellectuel doté d’une grande puissance de travail, et d’un « esprit dogmatique », posé et inébranlable dans ses convictions. Adversaire résolu des idées libérales, portées au compte de la maçonnerie surtout, il consacre à cette dernière deux volumes de sa somme la Cité antichrétienne au XIXe siècle. Séduit par la polémique, il lutte par le verbe, par la plume, contre le rationalisme, le modernisme, le laïcisme et toutes « les erreurs modernes ».

Alors que le gouvernement français se signale, vers 1880, par l’introduction dans la vie pratique quotidienne de l’héritage républicain, l’Amérique française reste aux yeux de dom Benoit une terre d’élection, d’autant plus qu’il a autrefois connu quelques-uns de ses ecclésiastiques allés parfaire leurs études à Rome. Dès 1887, il amorce des rapports avec Auguste Bodard, secrétaire de la Société d’immigration française au Canada, et peu après ébauche le projet d’une fondation au Nouveau Monde.

À l’été de 1890, dom Benoit débarque à Québec, en voyage exploratoire qui le conduit, à la fin, jusque dans la future Saskatchewan. Il reconnaît dans l’Amérique française « la véritable France ». Se trouvant de la sorte confirmé dans ses vues, il jette son dévolu sur des terres incultes des Prairies dans le Manitoba ouvert au peuplement. Rentré au pays, il lance une circulaire en France de l’Est et dans la Suisse romande pour recruter des montagnards disposés à le suivre vers ces contrées nouvelles. Dès le 14 mai 1891, il installe un premier convoi (3 religieux et 44 laïques) dans la région dite de « la montagne de Pembina ». Bien que l’église et le prieuré, sitôt construits, aient été rasés dans un incendie et que dom Benoit ait perdu dans les flammes « plusieurs ouvrages en préparation », il ne se laisse pas abattre : un mois plus tard, une construction nouvelle est en marche. Il obtient, dès 1891, l’érection canonique de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes. D’autres convois aident encore, au cours des années suivantes, à faire de la fondation la paroisse rurale de langue française la plus considérable de l’archidiocèse de Saint-Boniface, avec une population en 1910 de 1 247 habitants. Une deuxième colonie, Saint-Claude, érigée en paroisse en 1895, devient une fondation très prospère. Deux autres connaissent moins de succès.

Alors que dom Gréa a fait du supérieur son délégué pour toutes les maisons du Nouveau Monde, les Chanoines réguliers en viennent à desservir jusqu’à 12 paroisses et 10 missions dans le sud du Manitoba. Ils établissent aussi des maisons à Bonne Madone (Saskatchewan) et à Vegreville (Alberta), ainsi qu’à Nominingue (Lac-Nominingue, Québec). De quatre qu’ils étaient à l’établissement de Notre-Dame-de-Lourdes en 1891, leur nombre s’élève à 45 en 1902. Néanmoins, le recrutement local demeure faible ; en effet, les confrères de dom Benoit sont presque tous venus de France, indice des difficultés de dom Benoit à retenir des jeunes gens du pays. Plusieurs, à la vérité, dont Gréa et Mgr Adélard Langevin, taxent le supérieur de sévérité et d’intransigeance dans le maintien des observances canoniques. Cependant, dom Benoit peut compter sur l’amitié profonde de l’archevêque dès son accession au siège de Saint-Boniface en 1895. S’ensuivent 20 années de collaboration entre le prélat et le curé aux vues analogues, malgré des caractères on ne peut plus divers.

En 1890, l’Assemblée législative du Manitoba a édicté des lois qui créent un système d’enseignement non confessionnel, privant ainsi les écoles catholiques des fonds publics [V. Thomas Greenway*]. Cependant, dès 1898, dom Benoit instaure à Notre-Dame-de-Lourdes un modus vivendi par lequel il accepte que les cinq écoles de la paroisse soient désignées « nationales » ou publiques ; de son côté, le département de l’Éducation se résout, en raison de l’influence politique de dom Benoit, à fermer les yeux sur le fait que l’on enseigne le français et la religion dans ces écoles. Cet arrangement précaire se répand dans l’archidiocèse, mais ce modus vivendi va sombrer sous un nouveau souffle d’intolérance en 1916.

Entre-temps, dom Benoit livre de précieux rapports statistiques sur ses fondations, lance de nombreuses charges contre « les erreurs modernes », publie encore parfois des études sur des questions d’histoire ecclésiastique. Il fournit ainsi d’abondantes colonnes à une vingtaine de périodiques, tant en Suisse et en France que sur les bords du Saint-Laurent et dans les Prairies. Il ne recule pas devant la préparation de la Vie de Mgr Taché, archevêque de St-Boniface, en deux épais volumes, ouvrage auquel il consacre ses énergies de 1900 à 1904.

Toutefois, en 1906, une volonté de modernisation, issue de la maison des Chanoines réguliers de l’Immaculée-Conception à Rome, apporte des adoucissements à la règle de l’institut. Dom Benoit, qui s’oppose aux réformes, est destitué le 28 mars 1910 de ses charges de supérieur de la congrégation au Nouveau Monde et de curé de Notre-Dame-de-Lourdes, et il doit aller s’installer à la retraite à Saint-Léon, tout près, dans « le plus grand chagrin de [sa] vie ». Sous son impulsion, les religieux de la montagne de Pembina, sauf ceux de Notre-Dame-de-Lourdes, passent au clergé séculier de l’archidiocèse.

Benoit, escomptant que des changements survenus dans les hautes sphères de l’Église permettront aux partisans de Gréa de rétablir un institut première manière, passe à Rome en 1915 pour défendre ce point de vue. Rentré dans son pays natal, il meurt cette année-là, pendant qu’il prêche une retraite et attend de connaître les suites de ses interventions. La restauration qu’il avait désirée ne se réalisera jamais. D’abord inhumée aux Rousses, la dépouille de Benoit est rapportée en 1925 auprès de ses paroissiens de Notre-Dame-de-Lourdes.

Après avoir fondé des paroisses florissantes aujourd’hui encore, dom Paul Benoit avait dû renoncer à son rêve d’effectuer d’autres fondations et de reconquérir les Prairies à la francité. La greffe de son institut en terre d’Amérique a constitué un succès mitigé. Le modus vivendi qu’il avait instauré pour résoudre la question des écoles du Manitoba s’écroulerait peu de temps après son départ. Il a rédigé plusieurs ouvrages, mais quelques-uns de ces volumes ont dû être soldés, et d’autres n’ont guère trouvé la faveur des lecteurs. Il n’en demeure pas moins que, par ses activités, cet apôtre de la colonisation, chef de file, écrivain et, surtout, conseiller fort écouté de Langevin, a pesé lourd sur un territoire aussi vaste que son Jura natal et laissé une marque indélébile dans l’histoire des Prairies.

Maurice Dupasquier

Les documents rédigés par dom Paul Benoit, qui a soutenu un commerce épistolaire étendu avec ses contemporains, sont répandus dans de nombreux dépôts d’archives, dont on trouvera la liste partielle dans notre thèse intitulée « Dom Paul Benoit et le Nouveau Monde, 1850–1915 » (thèse de d. ès l., Univ. Laval, 1970). Cette liste est incomplète, parce qu’un certain nombre de documents restent fermés aux chercheurs et que d’autres sont venus au jour depuis la préparation de notre thèse.  [m. d.]

Outre ses rapports statistiques qui y sont aussi énumérés et ses principaux articles de revues et de journaux, dom Benoit a laissé plusieurs ouvrages, dont quelques-uns inédits, et huit publiés : la Cité antichrétienne au XIXe siècle (4 vol., Paris, 1885–1886 ; la première partie, les Erreurs modernes, en 2 volumes, a été rééditée en 1887, et une 4e édition refondue et augmentée a paru en 1894 ; une traduction en espagnol a été publiée à Barcelone, Espagne, en 1888) ; la Vérité sur Voltaire (Lons-le-Saunier, France, 1887) ; Histoire de l’abbaye et de la terre de Saint-Claude (2 vol., Montreuil-sur-Mer, France, 1890–1892) ; l’Anglomanie au Canada : résumé historique de la question des écoles du Manitoba ([Trois-Rivières, Québec], 1899) ; Vie de Mgr Taché, archevêque de St-Boniface (2 vol., Montréal, 1904) ; le Jeune Dom Paul Benoit ([Lyon, France, 1916]) ; la Vie des clercs dans les siècles passés [...] (Paris, [1917]) ; et Vie populaire de saint Claude (Besançon, France, 1924).

B.-M. Berthet, « Dom Paul Benoit (1850–1915) », Soc. d’émulation du Jura, Mémoires (Lons-le-Saunier, France), 12e sér., 13 (1945) : 101–121.— « Feu le R.P. Dom Paul Benoit » et « Dom Paul Benoit », les Cloches de Saint-Boniface (Saint-Boniface, Manitoba), 14 (1915) : 383–388 et 15 (1916) : 116–120, 129–132, respectivement.— Donatien Frémont, les Français dans l’Ouest canadien (Winnipeg, 1959).— Antoine Gaborieau, Un siècle d’histoire : Notre-Dame-de-Lourdes (Manitoba), 1891–1990 (Notre-Dame-de-Lourdes, 1990).— [A.-G.] Morice, Histoire de l’Église catholique dans l’Ouest canadien, du lac Supérieur au Pacifique (1659–1915) (2e éd., 4 vol., Saint-Boniface et Montréal, 1921–1923).

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Maurice Dupasquier, « BENOIT, PAUL (baptisé Joseph-Paul-Augustin) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/benoit_paul_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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