BEALE, ANTHONY, successeur de John Fullartine comme gouverneur et commandant en chef de la Hudsons Bay Company à la baie James, né vers 1664, décédé le 13 avril 1731 (ancien style) au fort Prince of Wales.

Anthony Beale entra au service de la Hudsons Bay Company comme apprenti en 1678. On ne sait pas exactement où il vécut ses premières expériences dans la baie James ni s’il relevait directement du gouverneur Charles Bayly*, mais John Nixon*, successeur de celui-ci, l’inscrit sous le nom de « Anthony Beale alias Small Cole » sur la liste des hommes désignés pour passer l’hiver de 1682–1683 au fort Albany. Le stage d’apprentissage de Beale se terminait en 1685 mais, comme il ne rentra pas en Angleterre cette année-là, son père demanda au gouverneur et au comité qu’on permît à son fils de revenir à bord du navire ravitailleur en 1686. La demande fut agréée mais les circonstances retardèrent le retour du jeune Beale jusqu’en 1687. En effet, le navire qui quitta l’Angleterre au printemps de 1686, pour se rendre à la baie James, fit naufrage dans le détroit d’Hudson. Avant même ce sinistre, une troupe de Français, sous Pierre de Troyes*, était venue de Montréal par voie de terre dans le but de s’emparer des postes de la compagnie, bien que la France et l’Angleterre fussent en paix à l’époque. Le gouverneur Henry Sergeant* livra le fort Albany le 16 juillet et Beale fut du nombre des prisonniers. Fort heureusement pour lui, après sa libération, Beale ne fut pas laissé à la baie James avec les 22 malheureux qui y passèrent un hiver de misère (1686–1687). Il se trouvait parmi les quelque 50 hommes, venus des forts Moose, Albany et de la rivière Rupert, qui atteignirent le fort York à bord du Colleton, bateau « fragile et faisant eau ». Le gouverneur George Geyer* logea pour l’hiver tout ce monde qui lui arrivait à l’improviste, soit au fort York, soit à New Severn.

Beale arriva à Londres à l’automne de 1687. Le 18 novembre, avec deux de ses compagnons, il présenta au comité un mémoire dans lequel, en plus de critiquer la façon dont Sergeant avait livré le fort Albany, il laissait entendre que sa conduite n’était pas sans reproches.

La compagnie rengagea Beale moyennant un traitement annuel de £12, mais sans préciser ses fonctions. Comme il connaissait les conditions de vie et de travail à la baie James, on trouva sans doute utile de le joindre à l’expédition qui, sous les ordres du capitaine John Marsh*, quitta la Tamise au printemps de 1688 avec mission de rétablir les droits de commerce de la compagnie à la rivière Albany, sans ennuyer les Français ni « les déranger » à moins qu’ils ne provoquent les hostilités. Comme la trêve entre la France et l’Angleterre devait se prolonger jusqu’au ler janvier 1688/1689, l’ordre de reprendre le fort Albany (rebaptisé fort Sainte-Anne) ne fut pas donné. L’expédition se solda par un échec total et au printemps de 1689 tous les survivants avaient été faits prisonniers par Pierre Le Moyne d’Iberville. Plus tard la même année, on libéra la plupart des Anglais mais parmi les plus expérimentés plusieurs furent envoyés par voie de terre en Nouvelle-France dans le but évident de priver la compagnie de leurs services. Beale était du nombre. Comme la guerre avait entre-temps éclaté entre la France et l’Angleterre, lui et ses compagnons subirent une « servitude de misère » en Nouvelle-France jusqu’à l’été de 1691 où on les emmena en France pour les incarcérer à La Rochelle. La femme de Beale, Mary, qu’il avait sans doute épousée après son retour en Angleterre en 1687, signa la pétition que les épouses des prisonniers adressèrent à la reine Mary le ler octobre 1691 pour la prier de les aider à obtenir la libération de leurs maris.

La guerre se poursuivit mais Beale fut libéré à temps pour s’embarquer, après avoir signé un contrat plus avantageux avec la compagnie, sur le Royal Hudsons Bay (capitaine Michael Grimington). Ce navire faisait partie de l’expédition de James Knight qui quitta la Tamise au printemps de 1692 avec mission de reprendre le fort Albany. Knight passa l’hiver à l’île Gilpin au large de la région de l’East Main, et le 22 juin 1693 il s’empara sans difficulté du fort défendu par une demi-douzaine de Français.

C’était la troisième fois que la compagnie engageait Beale et le comité avait recommandé à Knight d’avoir « une certaine considération » pour lui. Au cours de ce troisième engagement, qui devait se prolonger jusqu’en 1708, Beale s’éleva du rang de subalterne utile et expérimenté à celui de gouverneur. Quoique cette période fût particulièrement critique pour la compagnie, Beale ne se trouva plus mêlé aux conflits entre Anglais et Français car, de 1690 à 1697, ces derniers s’en prirent à la région de Port Nelson et n’attaquèrent plus le fort Albany avant 1709. Heureusement qu’à la baie d’Hudson on ne tint aucun compte du traité de Ryswick, signé en l 697, sinon la carrière de Beale aurait bien pu subir un troisième arrêt, peut-être définitif. Mais il arriva que le fort York resta aux mains des Français après la victoire navale d’Iberville au large de la rivière Hayes en 1697, et que la compagnie garda le fort Albany, le seul qui lui restait dans la baie jusqu’en 1714, quoique les deux postes eussent dû être échangés. Le fort Albany se trouva de nouveau menacé avec l’entrée de l’Angleterre dans la guerre de Succession d’Espagne en 1702.

C’est par étapes que Beale s’éleva au poste le plus important au fort Albany. Il servit sous les ordres du gouverneur Knight de 1693 à 1697 et était parmi les « quelques hommes » dont disposait Fullartine en 1697 et 1698. Au cours des hivers de 1698–1699 et de 1699–1700, il eut à rendre compte à Knight du commerce dans la région de l’East Main, commerce dont le comptoir était établi sur une île du littoral. À son départ pour l’Angleterre, à l’automne de 1700, Knight nomma Beale adjoint de Fullartine, le nouveau gouverneur, et le comité confirma cette nomination en 1701. Beale passa un autre hiver (1700–1701) au comptoir de l’East Main à titre de premier agent puis entra dans ses nouvelles fonctions à Albany tandis que Henry Kelsey prenait charge du commerce de la région de l’East Main. La nomination de Beale au poste de gouverneur en 1705 était due en partie à sa réputation « d’homme honnête et très prudent » qui s’y entendait aux affaires de la compagnie « aussi bien que la plupart des hommes qui en ont fait partie ». Il devenait gouverneur et commandant en chef des forts situés aux rivières Albany, Moose et Rupert, et de tous les territoires de la baie et du détroit d’Hudson ainsi que des régions de l’East Main et du West Main. En fait, comme les Français détenaient encore le fort York (rebaptisé fort Bourbon), sa juridiction ne s’étendait guère au-delà de la baie James.

Le 13 septembre 1705, lecture fut faite, avec le cérémonial d’usage, de l’ordre de nomination devant tous les habitants du fort Albany rassemblés pour l’occasion. Fullartine s’embarqua ensuite sur le Hudsons Bay [II] pour rentrer en Angleterre, mais dès le 25 septembre il revenait au fort : le capitaine Michael Grimington était tombé malade, le navire s’était échoué dans la rivière Albany et lorsqu’on put l’en sortir la saison était trop avancée pour risquer la traversée en Angleterre. Le conseil, qui s’était réuni pour examiner la situation embarrassante créée par le retour de Fullartine, décida à l’unanimité que le Hudsons Bay devrait hiverner à l’île Gilpin, située au large de la région de l’East Main, d’où Fullartine pourrait faire du commerce pour le compte de la compagnie. Ce dernier faisait partie de ce conseil et signa le procès-verbal de la réunion. Mais selon Beale, dont le témoignage est le seul qui nous soit parvenu, Fullartine se ravisa, soutenant qu’il était encore gouverneur. Beale ne voulut pas céder, bien que Fullartine ait probablement fait valoir que n’ayant pas été relevé de son poste par la reine il avait droit de reprendre le commandement. Ce fut pour montrer sa désapprobation que la compagnie ne porta que £l00 au crédit de Beale pour l’hiver 1705–1706, soit un traitement de gouverneur adjoint. La différence de £100 que Beale réclama d’une façon pressante ne lui fut versée qu’en juin 1710.

La lettre de Beale, datée du 23 juillet 1706 et adressée au gouverneur et au comité, constitue le deuxième document en provenance du fort Albany, conservé dans les archives de la compagnie. C’est la lettre d’un homme brusque qui n’hésite pas à reprocher à la compagnie certaines négligences, en particulier de ne pas envoyer de navire ravitailleur à la rivière Albany chaque année pour subvenir aux besoins des employés et des Indiens qui en étaient venus à dépendre des provisions de la compagnie. Le journal que Beale a tenu au fort Albany au cours de l’hiver 1705–1706 est d’un grand intérêt : c’est le plus ancien journal d’un poste de traite dans les archives de la compagnie et les inscriptions brèves et d’ordre pratique que l’on y trouve nous révèlent beaucoup sur la vie et les travaux dans les postes de la baie James à l’époque de la menace française. Beale, qui n’avait aucune instruction ou bien peu, se trouvait, à l’été de 1706, commandant de la seule possession anglaise à la baie d’Hudson. Il n’avait que 27 hommes sous ses ordres et il pouvait s’attendre à ce que les communications avec Londres fussent très irrégulières. Il rentra en Angleterre en 1708 à sa propre demande, abandonnant ainsi le poste de gouverneur.

En 1710, une accusation de commerce illicite de fourrures fut portée contre Beale ; une longue enquête s’ensuivit dont on ne connaît pas les résultats. Quoi qu’il en soit, le gouverneur et le comité furent heureux de s’assurer ses services dès 1711. En effet, la maladie empêchait James Knight d’aller remplacer John Fullartine au fort Albany et on ne pouvait compter sur Henry Kelsey, le gouverneur adjoint qui avait déjà demandé de rentrer au pays. Beale, qui n’avait certainement pas oublié l’affaire de 1705, demanda et obtint que la reine lui remît un ordre de nomination en bonne et due forme pour. « être mieux en mesure d’exercer son commandement ». L’ordre le constituait gouverneur et commandant en chef, en remplacement de John Fullartine, de tous les postes de la compagnie dans la baie James, plus particulièrement des postes situés aux rivières Albany, Moose et Rupert et de tous les autres qui avaient été récemment établis ou repris à l’ennemi. En fait, la compagnie ne faisait du commerce qu’au fort Albany. Beale reçut aussi l’ordre de prendre des mesures défensives et offensives contre les Français.

Beale et son ancien adjoint, Nathaniel Bishop, arrivèrent le 26 septembre 1711, après une mauvaise traversée à bord du Pery commandé par le capitaine Richard Ward. Ce fut un choc pour Kelsey qui avait assumé les fonctions de gouverneur après le départ de Fullartine, le mois précédent, et qui se trouvait maintenant relégué à un poste subalterne. Kelsey avait peut-être autant de mérite que Beale, mais les circonstances avaient favorisé ce dernier à un moment où la compagnie n’avait plus qu’un seul poste et une poignée d’employés sur lesquels elle pouvait compter. Ces loyaux employés avaient enduré bien des privations au cours de leur emprisonnement chez les Français et, comme Beale, avaient beaucoup d’expérience dans le commerce des fourrures.

Au terme du contrat de Beale en 1714, la situation à la baie d’Hudson avait grandement changé. Le traité d’Utrecht, signé en l 713, mettait fin à la guerre en Europe et rendait le fort York à la compagnie. James Knight fut envoyé au fort York à titre de commandant en chef et, comme Richard Staunton* qui se trouvait déjà au fort Albany accepta d’y rester comme premier agent sous les ordres de Knight, Beale fut rappelé en Angleterre.

Beale demanda d’être rengagé en 1718, mais la compagnie n’avait aucun poste à lui offrir. Quoiqu’il n’y eût rien de changé à la situation en 1720, il fut engagé avec un traitement de £50 par an, pour travailler sous le commandement de Kelsey au fort York. Kelsey reçut ordre de placer Beale là où il serait le plus utile, de le faire siéger au conseil, et de veiller à ce qu’il soit traité « très poliment ». Au cours de l’été de 1721, Kelsey fit un voyage dans le Nord pour faire du commerce avec les Esquimaux et c’est Beale qui commanda le fort York pendant son absence. Plus tard la même année, Beale reçut sa nomination officielle comme « second », poste qu’il conserva aussi de 1722 à1726 sous les ordres de Thomas McCliesh*, successeur de Kelsey. Il touchait un traitement de £60 par an. Il assuma la charge de commandant du fort York durant le dernier hiver (1726–1727) qu’il y passa, pendant l’absence de McCliesh qui se trouvait en Angleterre, puis se rendit à la rivière Churchill à titre de « commandant en chef » au fort Prince of Wales. On l’y avait envoyé avec mission de stimuler le commerce et de remédier au désordre qui y régnait par suite du manque d’expérience de son prédécesseur, le jeune Richard Norton*. Beale s’acquitta de ses fonctions à la satisfaction du comité, mais il approchait de 70 ans et, en 1730, il demanda de rentrer en Angleterre l’année suivante, pour raison de santé. Il mourut toutefois le 13 avril 1731. Thomas Bird assuma le commandement et inscrivit dans les livres que Beale avait été inhumé avec tous les honneurs, au fort Prince of Wales, le jour suivant.

Beale laissait son épouse, Joanna (apparemment sa deuxième femme), et leur fille Frances, qui toutes deux demeuraient en Angleterre comme d’ailleurs toutes les familles des employés de la compagnie à l’époque.

L’avancement de Beale au service de la compagnie à partir d’emplois très modestes prouve qu’il était doué de détermination et d’une grande force de caractère. Son manque de connaissance du monde extérieur à la baie d’Hudson explique sans doute ses limites, mais son courage, sa loyauté et sa connaissance des Indiens et du commerce des fourrures faisaient de lui un précieux auxiliaire pour la compagnie, particulièrement à une époque où elle ne détenait plus qu’un poste bien menacé à la baie.

Alice M. Johnson

À part le journal dont il est question dans la biographie, Beale a tenu quatre autres journaux à Albany, un au fort York et deux au fort Prince of Wales. On trouve les détails des références à Beale dans les HBC Arch., HBRS, XXV (Davies et Johnson) où se trouvent aussi ses lettres à la compagnie. Les événements relatifs à cette période sont décrits en détail dans HBRS, XXI (Rich).  [a. m. j.]

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Alice M. Johnson, « BEALE, ANTHONY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/beale_anthony_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    1 décembre 2024