ARCHIBALD, LEWIS A., boulanger et chef syndical, né en 1840 ou en 1841 à Country Harbour, Nouvelle-Écosse ; décédé le 8 octobre 1913 à Halifax en laissant dans le deuil un fils.

De tous les défenseurs de la classe ouvrière qui vécurent à Halifax au xixe siècle, Lewis A. Archibald fut peut-être le plus tenace, le plus éloquent et le plus clairvoyant. Compagnon boulanger, puis un moment propriétaire d’une petite entreprise, il croyait profondément en l’indépendance des artisans et en la solidarité de classe. Il stigmatisa les capitalistes de la boulangerie qui, en raison de leur cupidité, disait-il, étaient non seulement les ennemis des travailleurs, mais de la civilisation elle-même.

Le premier conflit de travail auquel participa Archibald fut probablement la grève organisée par la Halifax Journeymen Bakers’ Friendly Society en 1868, l’année de sa fondation. Cette grève visait à obtenir la journée de 12 heures dans la boulangerie, où le travail de nuit et les heures de travail interminables étaient alors la règle. Bien que le document intitulé Constitution and bye-laws du syndicat ne porte pas de signature, on y reconnaît le ton des discours et écrits subséquents d’Archibald. « Nous ne souhaitons rien faire d’injuste ; nous ne recherchons que justice et équité : un juste salaire pour une honnête journée de travail, et non, comme c’est le cas depuis trop longtemps, un travail illimité pour un salaire limité. Mettre tin à cette anomalie est un droit absolu du travailleur ; on ne saurait le nier aujourd’hui, car l’ensemble du monde civilisé le reconnaît. »

Malheureusement pour les boulangers, « l’ensemble du monde civilisé » n’incluait pas, entre autres, l’industriel William Church Moir* qui, résolu à transformer sa boulangerie en une grande manufacture, recourut à des briseurs de grève et à des manœuvres d’intimidation pour faire échec au syndicat. Cette défaite dut consterner Archibald et ses collègues. En 1868, ils avaient produit une analyse dans laquelle ils attribuaient aux longues heures et au travail de nuit « souffrances incalculables, maladie, vieillissement prématuré et mort ». « Du point de vue moral et intellectuel, disaient-ils, cela est presque aussi grave, car nous n’avons pas de temps à consacrer aux loisirs ni à l’avancement moral ; pas de temps pour le cercle social ou familial. Nous n’avons pas le temps d’aller à des assemblées publiques, à des conférences, à des concerts ni d’accomplir nos devoirs religieux. Le soleil brille en vain pour nous ; que les arbres et les plantes croissent, que les fleurs s’épanouissent, ce n’est pas pour nous. Les délices de la campagne sont pour nous un livre scellé ; pour nous préparer à nous mettre à la tâche avant l’aurore, nous devons aller au lit (si nous en avons un) tandis que le reste du monde est éveillé, et nous peinons tandis que le reste du monde dort, à l’inverse des lois de la nature. Rien d’étonnant à ce que certains d’entre nous recourent à des stimulants pour aiguillonner leur nature éreintée et pour oublier un moment leur dégradation. » Mêlant adroitement des thèmes puissants du milieu de l’époque victorienne – la nature, la citoyenneté, la piété et la tempérance –, ce manifeste ouvrier exprime avec éloquence le sentiment profond des compagnons face à l’énormité du capitalisme industriel.

Ce sentiment se manifesta avec encore plus de clarté au cours de la série de campagnes menées dans les années 1880, de toute évidence sur l’initiative d’Archibald, en faveur des compagnons boulangers. Le syndicat, qui s’était effondré en 1879, reprit vie en 1882 sous le nom de Journeymen Bakers’ Friendly Union, s’affilia à l’Amalgamated Trades Union (le nouveau conseil du travail de Halifax), et reprit la croisade contre la Moir and Company et contre les horaires surchargés. Le 12 septembre 1884, l’Amalgamated Trades Union déclencha un boycottage des produits de Moir. Les boulangers y participèrent, ainsi que des ouvriers de toute la province, mais non – ce qui allait être fatal au mouvement – les employés de la manufacture de Moir. Le 13 novembre 1884, dans un discours magistral, Archibald, alors président de son syndicat, développa le thème de la dégradation du travailleur par l’usine. Parlant des « arts et mystères de la boulangerie », il nota avec un humour grinçant qu’il avait assez bien appris les « arts » dans une petite boulangerie, mais que les « mystères » restaient enfouis dans les grands établissements. Là se pratiquait une forme brutale d’« esclavage blanc », un « crime contre l’homme, la famille, le foyer, l’État et la nature ».

Malgré l’échec du boycottage, Archibald tint bon. De tous les témoignages présentés en 1888 à Halifax aux audiences de la Commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail, le sien contenait peut-être la critique la plus virulente du capitalisme industriel. Il mettait en lumière l’inutile et impardonnable violence subie par les enfants dans les manufactures de la ville. De 1889 à 1896, Archibald contribua à l’établissement de la section locale 89 (Halifax) du Journeymen Bakers’ and Confectioners’ International Union of America, qui obtint la journée de neuf heures en 1890 mais la perdit en 1891, encore une fois à cause de Moir. Il continua de travailler pour l’Amalgamated Trades Union et y occupa même un poste de concierge pendant une courte période. Il tint une petite boulangerie en 1894 puis fut employé, à titre de compagnon, par la J. J. Scriven and Sons, boulangerie mécanisée qu’il quitta environ deux ans avant sa mort.

Il y avait une bonne dose de « passéisme » chez Lewis A. Archibald. La campagne de 1884 mobilisa les artisans et dénonça les monopoles industriels au nom des petits boulangers indépendants, dont certains appartenaient au syndicat, mais elle ne rejoignit pas les travailleurs d’usine. Pire, quelque chose dans la rhétorique d’Archibald dénigrait implicitement tous ceux – femmes, enfants, ouvriers non qualifiés – qui ne correspondaient pas au bel idéal d’indépendance de l’artisan. Archibald employait un langage suranné qui parlait de citoyenneté, d’appartenance, d’intendance et de respectabilité. Toutefois, il maniait ce langage avec brio, et sa colère contre le nouvel ordre industriel, qui offensait sa conception du bien et du mal, était sincère et empreinte de compassion. En outre, en appuyant l’Amalgamated Trades Union, en invitant les mineurs à s’associer à la lutte contre les trop longues heures de travail, en s’indignant de voir des industriels tel Moir se faciliter la vie en pratiquant impunément des abus contre des enfants, il commençait à utiliser à des fins nouvelles le langage traditionnel de l’artisan. Cet homme doué, irascible, sarcastique et idéaliste méritait bien plus que l’obscurité et le silence dans lesquels il mourut en 1913.

Ian McKay

PANS, MG 1, 963B, Joumeymen Bakers’ Friendly Soc., « To the master bakers of Halifax » ([1868]) ; MG 20, 332, minutes, book 1 : 7 févr., 7 mars 1891.— Acadian Recorder, 24 avril 1882, 26 mars 1883, 4 janv. 1886, 16 janv. 1889, 29 janv., 15 juill. 1890, 13, 22, 28 janv., 10–11 févr. 1891, 16 janv. 1893, 14 déc. 1894, 28 nov. 1896, 30 janv. 1897.— Morning Chronicle (Halifax), 24 janv. 1884, 30 janv. 1890.— Morning Herald (Halifax), 14 nov. 1884.— Trades Journal (Springhill, N.-É.), 28 juill. 1880.— Baker’s Journal (Cleveland, Ohio), 9, 16 mai 1891, 26 nov., 31 déc. 1892, remplacé par le Bakers’ Journal and Deutsch-Amerikanische Bäcker-Zeitung, 14 oct. 1896.— Canada, Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, Rapport (5 vol. en 6 vol., Ottawa, 1889), Evidence – Nova Scotia, 14, 179–181.— Constitution and bye-laws of the Journeymen Bakers’ Friendly Society, of Halifax and vicinity (Halifax, 1869).— DBC, 12 (biographie de W. C. Moir).— Ian McKay, « Capital and labour in the Halifax baking and confectionery industry during the last half of the nineteenth century », le Travailleur (Halifax), 3 (1978) : 63–108 ; The craft transformed : an essay on the carpenters of Halifax, 1885–1985 (Halifax, 1985).— K. G. P[r]yke, « Labour and politics : Nova Scotia at confederation », Hist. sociale (Ottawa), no 6 (nov. 1970) : 33–55.

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Ian McKay, « ARCHIBALD, LEWIS A. », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/archibald_lewis_a_14F.html.

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Auteur de l'article:    Ian McKay
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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