ALLINE, HENRY, évangéliste, hymnographe et théologien, né le 14 juin 1748 à Newport, Rhode Island, second fils de William Alline et de Rebecca Clark, décédé le 2 février 1784 à North Hampton, New Hampshire.

Henry Alline naquit dans une vieille famille de la Nouvelle-Angleterre dont les origines remontaient au temps de l’arrivée du Mayflower. Son père, probablement meunier, avait séjourné à Boston où, en 1738, il avait épousé en secondes noces la mère de Henry, avant de s’établir à Newport, port de mer de 6 000 habitants, et deuxième ville en importance de la Nouvelle-Angleterre. À Newport, le jeune Henry fréquenta l’école publique où il fut, comme il l’indiqua parla suite, « un élève assez précoce ». Son père avait très peu d’expérience du métier d’agriculteur ; toutefois, devant la nécessité de subvenir aux besoins d’une famille nombreuse, il prêta une attention toute particulière aux annonces faites par le gouverneur Charles Lawrence* en 1758 et 1759 concernant les terres fertiles offertes gratuitement en Nouvelle-Écosse.

William Alline était au nombre des 113 habitants du Rhode Island et du Connecticut qui obtinrent des concessions sur la rive nord de la rivière Pisiquid (rivière Avon) en vue d’y fonder un établissement, et, en 1760, « après avoir longuement délibéré », la famille émigra dans la région qui allait devenir le canton de Falmouth [V. John Hicks]. Les Alline participèrent alors à la répartition des terres suivant la coutume établie en Nouvelle-Angleterre et affrontèrent les rigueurs de la vie des colons en Amérique du Nord. Au début, la menace des Indiens préoccupa le jeune Henry bien davantage que les tâches prosaïques comme la construction des bâtiments, le défrichage des terres et la culture du sol.

Quelques années seulement après les premiers travaux de colonisation, on retrouvait à Falmouth un village agricole typique des régions de la « frontière » où les habitants pratiquaient une agriculture de subsistance. Dans ce milieu, trois facteurs exercèrent une influence primordiale sur Alline à l’époque où il passait de l’adolescence à la maturité ; en lui imposant des contraintes et en le privant de la possibilité de se réaliser dans la vie civile, lui qui était un garçon intelligent, dynamique et doué d’un tempérament de chef, ils l’incitèrent à chercher d’autres débouchés. En premier lieu, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse s’efforçait avec succès d’étouffer le plus possible les initiatives politiques locales en groupant les centres de décision à Halifax. Comme il n’existait aucun organisme gouvernemental de quelque importance à Falmouth, Alline ne pouvait envisager d’y mener une carrière politique valable. Deuxièmement, dans la situation de pauvreté et d’isolement qui était le lot de la campagne néo-écossaise, le jeune homme ne pouvait compter sur des institutions religieuses, culturelles et scolaires qui lui auraient permis de mettre en valeur ses aptitudes intellectuelles. Enfin, il était le plus âgé des garçons vivant à la maison, et ses parents, qui prenaient de l’âge, s’attendaient à ce qu’il remette à plus tard ses projets personnels et demeure avec eux pour diriger la ferme familiale. Fils soumis et affectueux, Alline ne pouvait penser à voler de ses propres ailes ; en outre, sa famille étant nombreuse et relativement pauvre, il ne pouvait songer à se marier et à élever une famille au domicile paternel. Ainsi fut-il forcé par les circonstances de mener une vie qui, extérieurement, était tout à fait semblable à celle des membres de la communauté dont il partageait les travaux et les rares plaisirs. Intérieurement, toutefois, il se souciait de plus en plus du salut de son âme.

Avant même que la famille eût émigré en Nouvelle-Écosse, Alline avait été « remué par l’esprit de Dieu » et il avait franchi plusieurs étapes sur la voie qui menait traditionnellement les habitants de la Nouvelle-Angleterre à la conversion. Il connaissait les enseignements chrétiens et avouait sa propre impuissance en face de son créateur. À Falmouth, où l’accès aux institutions religieuses traditionnelles était limité, il continua de s’instruire par lui-même en lisant « maints récits et comptes rendus sur le travail de la grâce dans l’âme d’autrui » puisés dans les livres de piété populaires diffusés jusque dans ces familles de défricheurs. En vieillissant, il se mêla davantage aux jeux innocents de ses camarades, auxquels il donna plus tard le nom de « plaisirs frivoles et charnels », et ses parents eurent avec lui des entretiens sur les « points controversés » de la religion et lui parlèrent du danger des « passions charnelles ». Henry et ses parents semblent avoir partagé les mêmes inquiétudes. Alline éprouvait les désirs sexuels normaux d’un jeune garçon, et ses parents se souciaient non seulement des péchés qui pouvaient être commis mais aussi de la possibilité de perdre le principal soutien de la famille. Comme il l’indique très nettement dans son journal en décrivant une de ses visions, il fut forcé d’écarter tout projet de mariage et même d’éviter la compagnie des femmes et jeunes filles.

Durant de nombreuses années, Alline lutta continuellement contre sa conscience, « gémissant sous le poids de la culpabilité et de l’obscurité, priant et implorant sans cesse pour obtenir miséricorde ». La certitude qu’il allait enfin se convertir lui fut donnée le 26 mars 1775, un dimanche, alors que les habitants de Falmouth étaient privés de sermon comme d’habitude. Après avoir erré dans les champs, Henry rentra à la maison, ouvrit la Bible et lut le psaume XXXVIII. Il nota peu après : « à mesure que je relisais les Écritures, l’amour rédempteur pénétra avec une telle force dans mon âme qu’elle sembla fondre complètement d’amour ». Par la suite, il se sentit appelé à « exercer le ministère et [...] à prêcher l’évangile ». De cruelles angoisses allaient le torturer pendant plus d’une année avant qu’il ne se décidât à répondre à cet appel.

Le journal d’Alline nous renseigne de façon assez détaillée sur les difficultés qu’il connut durant cette période d’indécision. Sa première réaction à l’appel avait été de s’écrier : « Amen, Seigneur. Je partirai ! je partirai ! Envoyez-moi ! envoyez-moi ! », mais plusieurs obstacles lui barrèrent la route. L’un des plus sérieux fut, évidemment, l’incertitude engendrée par l’éclatement de la rébellion américaine contre la Grande-Bretagne. La conversion de Henry coïncidait presque à la veille des batailles de Lexington et de Concord, et sa période de réflexion, avec les tentatives des rebelles d’expulser de Boston les troupes du lieutenant général Thomas Gage. En outre, Alline et ses parents respectaient une tradition solidement enracinée en Nouvelle-Angleterre, suivant laquelle un ministre devait être un érudit. « En vérité, disait-il, j’avais lu et appris plus qu’il n’était d’usage pour quelqu’un de ma condition », mais il ajoutait que ses connaissances étaient restreintes et que, dans une large mesure, il les avait « acquises par [lui-même et] non à l’école ». Enfin, il y avait le problème de la famille : « le domaine paternel, expliquait-il, n’était pas très vaste et, comme mes parents étaient presque trop vieux pour travailler, j’avais tout le souci de ces affaires temporelles ».

En octobre 1775, Henry tenta de se rendre en Nouvelle-Angleterre, la seule région de l’Amérique du Nord où, à toutes fins utiles, il pouvait faire les études avancées dont il avait besoin, mais la guerre éclata. Des corsaires prirent le bateau à bord duquel il avait l’intention de voyager et, tandis qu’il attendait un autre navire, il apprit que sa famille avait attrapé la petite vérole et souhaitait qu’il revienne à Falmouth. Lorsque le gouvernement décida, le mois suivant, de mobiliser une partie de la milice provinciale sous les ordres de Henry Denny Denson, obligeant ainsi les habitants de la Nouvelle-Écosse à prendre position concernant la guerre, Alline fut « requis par quelques officiers de solliciter une commission ». Justifiant par des raisons d’ordre religieux la neutralité dans laquelle il se réfugiait comme bien des Néo-Écossais, il rejeta cette demande en expliquant qu’il n’allait accepter qu’une commission « du ciel » qui lui enjoindrait « de se mettre en route et d’engager [ses] semblables à combattre sous la bannière du roi Jésus ». Après s’être ainsi, libéré de ses obligations politiques envers la Grande-Bretagne, il lui restait à s’affranchir du puritanisme traditionnel de la Nouvelle-Angleterre. Il le fit en une occasion qui avait à cet égard une valeur symbolique, soit le jour anniversaire des batailles de Lexington et de Concord. Le 19 avril 1776, lorsqu’il prit la décision définitive de prêcher, Alline devint un homme libre, capable d’offrir aux autres ce que lui-même avait trouvé : une certitude spirituelle qui rejetait et transcendait les tribulations du monde profane, britannique ou américain. Il livra un message qui, par son accent, était indubitablement néo-écossais. Pendant les trois années suivantes, il ne prêcha que dans le secteur avoisinant le bassin des Mines, en partie à cause des aléas de la guerre, mais aussi parce qu’il se sentait encore lié par ses obligations familiales. Ce n’est que le 6 avril 1779 qu’il fut ordonné évangéliste par trois congrégations de la vallée d’Annapolis – il avait participé à la fondation de deux d’entre elles –, et ce n’est qu’après l’ordination qu’il alla prêcher hors de la région immédiate où il demeurait.

Dans cette Nouvelle-Ecosse de défricheurs aucun peintre n’a fait le portrait de Henry Alline et il n’existe de lui qu’une description faite par un de ses contemporains, qui présente l’évangéliste comme un homme de « taille moyenne, droit, mince, [avec] un teint clair, des cheveux blonds frisés et des yeux bleus rêveurs ». On distinguait sans doute chez lui les signes caractéristiques de la consomption pulmonaire qui allait peu à peu s’aggraver vers la fin de sa vie et finalement l’emporter : une pâleur maladive contrastant avec un esprit hyperactif et parfois fiévreux. Cette apparence de poitrinaire, en lui donnant l’air d’un saint Jean-Baptiste de la Nouvelle-Écosse, ne faisait sans doute qu’ajouter à la vive impression qu’il produisait sur autrui. Ce n’est pas l’aspect physique, toutefois, qui explique le succès d’Alline en tant qu’évangéliste, mais plutôt sa maîtrise des méthodes propres au revivalisme du xviiie siècle. Sa doctrine faisait plus que s’écarter des sentiers battus. Toutefois, son utilisation de la prédication itinérante, sa façon d’improviser des sermons visant à des conversions soudaines, de faire participer les laïques aux services religieux, de céder à des accès d’émotion et d’affronter publiquement les « contradicteurs », tout cela démontrait qu’il était un héritier de la tradition évangélique qui circulait de part et d’autre de l’Atlantique.

Comme tous les grands évangélistes, Alline renonça à se fixer quelque part, préférant le déplacement continuel ou l’« itinérance », comme on disait à l’époque. Il partait de Falmouth – car il ne se libéra jamais complètement de sa famille – et il voyageait durant six à neuf mois de l’année à dos de cheval, en bateau, en raquettes ou à pied. Au cours de sa carrière, il parcourut la plus grande partie de la Nouvelle-Écosse ainsi que les régions colonisées de l’actuel Nouveau-Brunswick, et il visita un grand nombre d’îles au large des côtes. En 1782, il se rendit à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard). En général, il ne tenait pas ses réunions dans les églises, lesquelles n’étaient pas nombreuses et, la plupart du temps, lui étaient fermées. De toute façon, Alline n’accordait pas beaucoup d’importance aux églises, aux organisations religieuses et aux ressources financières. C’est d’égal à égal qu’il rencontrait ces défricheurs de la Nouvelle-Ecosse, dont il connaissait bien les conditions de vie.

Bien qu’improvisés, les sermons d’Alline, comme ceux de la plupart des évangélistes, contenaient une série d’arguments conventionnels exposés dans un langage biblique qui lui était familier. Sans doute lui arrivait-il à la longue de se répéter, mais il restait rarement au même endroit assez longtemps pour ennuyer ses auditeurs. Ses sermons, typiques en cela du revivalisme de l’époque, mettaient l’accent sur la nécessité de la « nouvelle naissance », une forme de catharsis qui amenait les participants à reconnaître le Christ comme leur sauveur. Mais Alline n’était pas seulement un prédicateur. Il connaissait la valeur de la prière et du chant. Il invitait les gens à chanter des hymnes au cours de ses réunions et ailleurs, et il en composa un grand nombre lui-même car il n’y avait pas de recueils. On réimprima au moins quatre fois aux États-Unis une collection posthume de ces hymnes, et plusieurs de ceux-ci figurèrent dans les recueils en usage au xixe siècle.

Le chant n’était qu’un des moyens utilisés par Alline pour inciter les auditeurs à prendre part à ses services religieux. Une femme de Windsor, réagissant de façon typique, « fut transportée de joie à tel point qu’elle ne pouvait s’empêcher, dans une extase divine, de crier sa louange à Dieu en exhortant les âmes à se joindre à elle ». Estimant que la « nouvelle naissance » était la seule condition nécessaire à l’exercice du ministère, Alline encourageait les nouveaux convertis à prendre la parole et même à prêcher. Une telle participation des laïques était qualifiée de « nivellement » par les dirigeants des Églises en place et elle constituait le gros des critiques qu’ils formulaient à l’endroit de son mouvement évangélique. Mais cette opposition stimulait Alline. Il savait ce en quoi il croyait ; il avait la certitude absolue d’être dans le droit chemin, et sa logique était en pratique inattaquable, si l’on acceptait ses postulats. L’un de ses principaux adversaires cléricaux, le congrégationaliste Jonathan Scott*, de Yarmouth, soutenait qu’Alline exagérait en public la véhémence de ses opposants, ce qui « lui attirait la pitié, selon toute apparence, et servait à enflammer les gens et, sans doute, à promouvoir la cause qu’il défendait ». Alline ne se livrait peut-être pas consciemment à de pareils calculs, mais il sut toujours tourner l’opposition à son avantage.

Presque d’instinct, semble-t-il, Alline porta son message évangélique surtout dans les secteurs de la population néo-écossaise qui étaient, mentalement et émotivement, les mieux préparés à le recevoir. Sur les terres lointaines de la Nouvelle-Écosse, et particulièrement dans les régions défrichées par les Yankees, les colons éprouvaient des difficultés financières ainsi que des sentiments d’insécurité causés par le déracinement, situation encore plus grave depuis qu’ils avaient été obligés par la rébellion de rompre des liens étroits avec la Nouvelle-Angleterre. Plusieurs anciens habitants de la Nouvelle-Angleterre avaient connu les beaux jours du Grand Réveil dans les années 1740 et étaient tout disposés à les revivre. En outre, il faut souligner ce facteur encore plus important mis en lumière dans une étude récente : au sein des communautés éloignées et économiquement instables, où le fait d’être un propriétaire foncier ou d’avoir un poste officiel ne garantissait pas nécessairement le statut social des individus, « le statut religieux pouvait acquérir en soi une valeur indépendante de presque toute autre chose, portant ainsi un grand nombre de gens à la piété et à la conversion ». En Nouvelle-Écosse, le réveil n’empêcha pas la population d’éprouver de la sympathie à l’égard de la rébellion américaine, mais il servit d’exutoire d’ordre sentimental à ceux qui ne pouvaient entreprendre une action politique. Il est possible également qu’il ait suscité une forme élémentaire de patriotisme local inspiré de la « mission » particulière de la Nouvelle-Écosse en Amérique du Nord.

La carrière d’évangéliste que mena Alline coïncida pratiquement avec la rébellion américaine, et sa conception de l’organisation ecclésiale cadrait bien avec les incertitudes de ces années de crise et de chaos. Sans se soucier véritablement des institutions, il mit sur pied quelques congrégations dont l’existence fut éphémère : deux dans la région des Mines, une dans le comté d’Annapolis et d’autres à Liverpool et à Maugerville ; dans tous ces endroits, les Églises traditionnelles étaient faibles ou absentes. Le réveil ne fit pas tellement concurrence aux religions déjà implantées, mais il répondit plutôt à un besoin de leadership spirituel durant cette période critique où la pauvreté et la confusion des années de guerre avaient provoqué le départ de la plupart des membres du clergé en place. Les congrégations New Light établies par Alline érigeaient en principe la nécessité de la conversion lors d’une crise religieuse et traduisaient partiellement les convictions de leur fondateur. Seuls ceux qui avaient bénéficié d’ « une action de la grâce dans leur cœur » pouvaient en être membres. À l’exception de la congrégation de Horton (région de Wolfville), qui s’opposait fermement au baptême des enfants, les congrégations New Light adoptèrent l’opinion d’Alline suivant laquelle un vrai chrétien n’attachait pas d’importance aux modalités et aux règles du baptême. De la même façon, la contribution financière au soutien du pasteur était libre et laissée à la conscience de chacun, conformément au souhait d’Alline. Celui-ci ne s’intéressait pas aux choses matérielles ; quand il mourut, ses biens comprenaient « un cheval et un traîneau, ses vêtements et environ 12 dollars en argent ». Il ne se souciait pas beaucoup non plus des nécessités administratives de tous les jours. Les congrégations New Light convenaient certes à une période de crise, mais elles eurent du mal à s’adapter aux situations moins troublées, vu leur manque de structures définies. Créé et unifié par Alline en Nouvelle-Écosse, le mouvement était fondamentalement instable et portait trop la marque de sa personnalité ; il ne pouvait guère lui survivre. À part John Payzant* et Thomas Handley Chipman, peu de disciples prirent la relève de son ministère auprès de la population.

L’aspect de son œuvre qui souleva les plus vives controverses, en ce temps-là et depuis lors, fut peut-être sa théologie. Étant donné qu’il avait peu fréquenté l’école, qu’il avait fini par s’opposer à l’éducation traditionnelle, qu’il vivait dans un milieu primitif et qu’il insistait principalement sur la ferveur évangélique, on serait porté à croire qu’Alline était un revivaliste anti-intellectuel typique, du genre de ceux qui s’attiraient constamment la colère des opposants au réveil. Au contraire, il s’efforça véritablement d’appuyer sur des données intellectuelles ses intuitions concernant la nature de Dieu, de l’homme et des rapports entre eux. Mais ses efforts suscitèrent peu d’éloges. Lorsque William Black*, leader méthodiste de la Nouvelle-Écosse, fit parvenir les écrits d’Alline à John Wesley, celui-ci n’y vit qu’un « lamentable jargon » et, depuis, les commentateurs ont généralement partagé cet avis. La principale faiblesse d’Alline était un manque de subtilité intellectuelle ; son esprit naïf l’amenait à entreprendre plus qu’il n’était sage de le faire, faute de voir les difficultés. Autodidacte, peu connu, le jeune Néo-Écossais voulut, sans aide, non seulement démolir la vénérable théologie du calvinisme, mais lui substituer un mysticisme existentiel dont il était beaucoup plus facile de faire l’expérience que d’exposer les principes. Il lui manquait le langage figuré dont se servaient des hommes comme William Blake et le cordonnier allemand du xvie siècle, Jacob Boehme, mais sa vision de Dieu et de l’univers était remarquablement semblable à la leur.

Lorsqu’il exposa ses vues théologiques, que l’on retrouve surtout dans les 200 premières pages de son principal ouvrage, Two mites on some of the most important and much disputed points of divinity [...], publié à Halifax en 1781 par Anthony Henry, Alline commença par relater ses propres expériences. Autodidacte vivant dans l’isolement, il ne pouvait concilier la doctrine du calvinisme, même transformée par le puritanisme de la Nouvelle-Angleterre, avec ce qui lui était arrivé. Il fallait surtout retenir, selon lui, que Dieu était Amour. Si Dieu aimait les hommes, la divinité sévère et juste de la Nouvelle-Angleterre, qui ne voulait le salut que d’un petit nombre de personnes, ne pouvait faire l’objet de la foi. Dans les écrits d’un jacobite du xviiie siècle, membre de l’Église d’Angleterre, William Law, il trouva une théorie rejetant le calvinisme. Tous les adhérents à l’évangélisme furent influencés par les premiers travaux de Law, mais il semble qu’Alline fut le seul qui, à sa suite, adopta le mysticisme de Jacob Boehme.

Dans Two mites, Alline insiste sur le fait que Dieu est bon et que, si l’homme a perdu la grâce par sa propre faute, il est également en mesure de se racheter lui-même. Sa façon de voir se rapproche de la théorie du salut universel ; il n’affirme pas, cependant, que tous seront sauvés mais uniquement que tous peuvent l’être. Bien qu’elle prêtât à controverse, cette idée était bien plus intelligible que le mysticisme imprégnant certains de ses autres textes, notamment les dernières pages de Two mites et la brochure intitulée The anti-traditionist publiée à Halifax, probablement en 1783. Dans ces pages, Alline parle de la « créativité transcendantale » qui imprègne l’univers créé et il tente d’exprimer ses sentiments sur Dieu. Jonathan Scott fit paraître une étude critique dans laquelle il accusait l’évangéliste de s’adresser aux « passions des lecteurs, particulièrement chez ceux qui, étant jeunes, ignorants et inconsistants, sont davantage influencés par le son et le cliquetis des mots ». Des accusations semblables avaient été portées contre Boehme et Blake.

Compte tenu de ses expériences et de son milieu de vie, il n’est pas étonnant qu’Alline ait prôné non seulement le mysticisme, mais encore l’ascétisme, l’égalitarisme et le détachement de ce monde. Par suite de la déchéance du monde visible, estimait-il, le corps humain était naturellement enclin au péché et avait besoin de mortification. Il fulminait donc contre « les divertissements », la boisson, les courses de chevaux et autres formes de plaisirs mondains. Sans doute l’ascétisme d’Alline était-il trop sévère pour être imité par la plupart des habitants de la Nouvelle-Écosse, mais son attitude plut à un grand nombre d’entre eux. Sa foi en un salut possible pour toute l’humanité laissait entendre que tous les hommes étaient égaux au regard de Dieu ; cette assurance et le thème du salut éternel dans un autre monde, sur lequel il revenait souvent, avaient un grand pouvoir de séduction sur une population de pionniers aux prises avec les difficultés matérielles de cette époque.

Cependant, le ministère qu’exerçait Alline prit une orientation différente à partir du moment où il s’efforça, avec la publication de Two mites, d’exposer clairement ses positions intellectuelles. La plupart des congrégations qu’il fonda se conformèrent à ses idées concernant la pratique religieuse ; sur le plan doctrinal, toutefois, elles adoptèrent des vues qui, dans leur puritanisme traditionnel, étaient pratiquement en contradiction avec les idées nouvelles qu’Alline élaborait. En avril 1781, l’une des congrégations qui l’avait ordonné en 1779 lui reprocha d’avoir « fait paraître des théories erronées sous forme imprimée », et un grand nombre de ses disciples eurent du mal à admettre ses opinions théologiques. L’opposition aux idées d’Alline augmenta à mesure que son champ d’apostolat s’agrandissait et devenait plus stable, après la conclusion de la paix entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Toujours désireux d’élargir la portée de sa mission, il partit pour la Nouvelle-Angleterre vers la fin de 1783. Il mourut à North Hampton, dans le New Hampshire, au début de 1784. Sa mort à cet endroit était un présage de la forme que son influence allait bientôt prendre : non loin de là, en effet, se trouvait la demeure de Benjamin Randall qui fonda aux États-Unis le mouvement baptiste Freewill, inspiré largement des idées d’Alline. La plupart des congrégations établies par ce dernier en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick disparurent ou passèrent aux mains des baptistes qui rejetèrent sa théologie anticalviniste.

Les historiens des Maritimes, en particulier ceux dont les ouvrages s’inscrivent dans la tradition de l’histoire des diverses sectes, n’ont jamais ignoré tout à fait Henry Alline, mais sa carrière et ses activités ont été l’objet, ces dernières années, d’une plus grande attention, comme en témoignent les nombreuses études qui ont paru depuis 1945. Ce nouvel intérêt correspond à un changement dans l’orientation des travaux d’histoire, lesquels délaissent les élites des grands centres et leurs institutions pour chercher à comprendre la vie, les préoccupations et les aspirations des gens ordinaires. Le Grand Réveil, en Nouvelle-Écosse, n’est plus considéré comme une étrange aberration dans l’évolution des Maritimes, ni comme un simple phénomène à l’origine des futures institutions religieuses de cette région. On y voit maintenant un mouvement populaire qui fut, en vérité, le plus important de l’époque. Premier leader de ce mouvement, Henry Alline commence à être vu comme un héros populaire exprimant les préoccupations des gens qui tentaient confusément de surmonter les difficultés de la vie quotidienne et de s’accommoder de l’évolution rapide d’un monde extérieur sur lequel ils n’avaient que peu d’emprise. Dans son opposition au matérialisme et aux institutions, et même dans son mysticisme, Alline se révoltait contre la société de son temps et cherchait un nouveau sens à la vie. Parce que nous vivons dans un monde tourmenté, nous pouvons comprendre cette attitude beaucoup plus facilement que nos ancêtres, dont les vues étaient plus optimistes.

J. M. Bumsted

Pour une liste complète des ouvrages publiés de Henry Alline, des sources et des études concernant sa carrière, voir : J. M. Bumsted, Henry Alline, 1748-1784 (Toronto, 1971). Aux études citées dans cet ouvrage, nous devons ajouter les titres suivants : J. M. Bumsted et J. E. Van de Wetering, What must I do to be saved ? The Great Awakening in colonial America (Hinsdale, Ill., 1976) ; Gordon Stewart et G. [A.] Rawlyk, A people highly favoured of God : the Nova Scotia Yankees and the American revolution (Toronto, 1972) ; Gordon Stewart, Socio-economic factors in the Great Awakening : the case of Yarmouth, Nova Scotia, Acadiensis, III (1973–1974), no 1 : 18–34 ; et T. B. Vincent, Alline and Bailey, Canadian Literature (Vancouver), nos 68–69 (printemps-été 1976) : 124–133.

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J. M. Bumsted, « ALLINE, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/alline_henry_4F.html.

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Auteur de l'article:    J. M. Bumsted
Titre de l'article:    ALLINE, HENRY
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    1 décembre 2024