ALBA, GEORGES, dit Paul Cazeneuve (Cazenuve) (à sa naissance, il reçut les prénoms de Georges-Jean-François-Paul-Charles-Ludovic), comédien et directeur de théâtre, né le 11 mai 1871 à Revel, France, fils de Gabriel Alba, professeur, et d’Augusta Grillières ; le 27 juin 1894, il épousa à Boston Eleonore M. E. Balch, et ils eurent un fils et une fille, puis le 17 novembre 1920, à Los Angeles, Orpha L. Kinne, veuve d’Edgar L. Taylor, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 22 juin 1925 à Hollywood (Los Angeles).

Georges Alba serait le filleul du célèbre ténor français Joseph-Amédée-Victor Capoul, qui vient en tournée au Québec en 1883. Il aurait débuté comme comédien à l’âge de quatre ans et demi à Toulouse, en France, ville natale de son parrain. Comme son père s’installe aux États-Unis pour enseigner à la Harvard University de Cambridge, au Massachusetts (il y est fort probablement professeur de droit), Paul Cazeneuve, ainsi qu’il sera désormais connu, fait ses débuts véritables dans ce pays en 1889 dans la troupe française The Maude Banks, qu’il accompagne à Montréal cette année-là. Il en fera partie pendant deux ans. Il se forme en même temps auprès de Tomasso et Alessandro Salvini et du shakespearien John A. Lane. Pendant la saison 1891–1892, il participe aux tournées de la comédienne Hortense Barbe-Loret, dite Mme Rhéa. Il partage alors la scène avec les plus grandes célébrités du temps, dont Edwin Thomas Booth et Helena Modjeska. En 1893, il revient à Montréal.

De 1896 à 1898, Cazeneuve donne des représentations au Canada et aux États-Unis à la tête de sa propre troupe. En février 1899, on le retrouve à Québec et à Montréal avec la Columbia Stock Company ; il interprète, entre autres, le rôle de Méphisto dans une adaptation du Faust de Goethe et celui de l’Italien dans Melbourne. La Gazette de Montréal souligne que le jeune acteur, bien qu’il s’exécute en anglais, attire au théâtre une bonne portion du public de langue française, qui l’a déjà adopté.

Le 18 février 1901, Cazeneuve reprend Melbourne au Her Majesty’s Theatre de Montréal. Au même moment, George Gauvreau, qui veut élever son Théâtre national français, construit l’année précédente, au niveau des salles anglaises, l’engage à titre d’acteur et de directeur artistique. Cazeneuve débute le 11 mars suivant dans sa propre adaptation française du Faust selon la version de Lewis Morrison. Sa conception de la mise en scène conquiert aussitôt le public et la critique, qui vante la splendeur des décors et des costumes, et l’exploitation audacieuse des effets électriques. En une seule semaine, le spectacle attire plus de 12 000 spectateurs et connaîtra une série de 28 représentations consécutives. Cazeneuve continue à privilégier les productions à grand déploiement à l’américaine et, en juin 1901, il s’adjoint le futur cinéaste Léo-Ernest Ouimet* qui, à titre d’éclairagiste, met en place de nouveaux dispositifs pour monter avec éclat Quo Vadis ? de Henryk Sienkiewicz. Cazeneuve structure le répertoire autour d’une dramaturgie étrangère, composée souvent de pièces françaises adaptées en anglais, mais qu’il traduit lui-même à nouveau en français ! Toutefois, il encourage des créations locales, en particulier celles de Louis Guyon*, dont il montera Denis le patriote (1902), Joe Montferrand (1903), Un mariage à la gaumine (1904) et Montcalm (1907). La Patrie écrit en octobre 1903, à propos de Joe Montferrand, que « c’est une magnifique peinture des mœurs canadiennes ». En septembre 1904, Cazeneuve part du Théâtre national français pour organiser une saison à l’Auditorium de Québec ; il quitte la ville en mars 1905, après avoir présenté sensiblement le même répertoire que dans la métropole. En même temps, il effectue quelques tournées hors des grands centres, notamment à Sorel et à Trois-Rivières. De retour à Montréal, il entreprend une saison d’été au Théâtre français, du 29 mai au 8 juillet, au cours de laquelle il donne la première montréalaise d’Un fil à la patte de Georges Feydeau, mais l’entreprise ne connaît pas un très grand succès.

En 1906, Cazeneuve retourne au Théâtre national français à titre de directeur artistique et de copropriétaire de l’établissement, qui accuse, depuis son départ, un déclin relatif que Cazeneuve attribue justement à une certaine usure du répertoire et à la trop grande prudence de ses successeurs. Le coup de génie de son second mandat est de remettre la revue à la mode avec Ohé ! Ohé ! Françoise ! d’Ernest Tremblay, Léon May et Gaston Dumestre, qui attire, en janvier 1909, 40 000 spectateurs en trois semaines et implante solidement la revue politique dans les goûts du public de la province de Québec. La Françoise du titre n’est nulle autre que Robertine Barry*, journaliste et directrice du Journal de Françoise (Montréal). La revue se veut une allégorie des problèmes que vit Montréal à cette époque, où l’administration municipale est de plus en plus décriée. Elle s’attaque aux mœurs politiques en mettant en scène le conseil municipal, aux services publics comme les tramways et les monopoles de l’électricité, et au problème que pose la cohabitation des « p’tits chars » et des automobiles. C’est un portrait sarcastique d’une ville à la veille d’être mise en tutelle [V. Lawrence John Cannon]. Le fait que la revue colle autant à la réalité en explique le succès : les citoyens s’y reconnaissent.

Plus tard dans l’année, Cazeneuve quitte de nouveau le Théâtre national français, mais sa carrière ne connaîtra plus les mêmes succès. En effet, la popularité croissante du cinéma ralentit le progrès du théâtre à Montréal. Cazeneuve tente sa chance dans d’autres salles francophones de la ville et renoue même avec les scènes anglaises, en assumant, entre autres, une saison de quelques semaines au New Empire Theatre de Montréal en 1917–1918. Comme la conjoncture demeure défavorable, il quitte Montréal pour Hollywood vers 1919, où il entreprend une nouvelle carrière au cinéma. Cazeneuve décroche quelques petits rôles dans des films muets comme The Queen of Sheba (1921) et The French doll (1923). Avec Léo-Ernest Ouimet, qui réside à Los Angeles depuis 1921, il tourne en 1923 Why get married ?, qui s’avère un échec. Cazeneuve propose aussi des scénarios de Faust et de Maria Chapdelaine, de Louis Hémon*, mais ces projets ne se concrétisent pas. La grave maladie qui l’emportera le force à abandonner le cinéma. Au début de l’année 1925, il vient à Montréal pour recevoir des traitements à l’hôpital Royal Victoria. Il retourne ensuite à Hollywood, mais fait une rechute dont il ne se relève pas. Il meurt dans un tel dénuement que le comédien William Farnum doit payer les frais de sa maladie et de ses funérailles.

Paul Cazeneuve laisse derrière lui une carrière impressionnante, avec la production de 300 drames français, anglais et américains et l’interprétation de quelque 200 rôles. L’exploitation qu’il a faite des techniques théâtrales américaines revitalisera la scène québécoise au point où on le considère comme l’un des fondateurs du théâtre français à Montréal. Certains critiques lui reprocheront de sacrifier le contenu dramatique aux effets, d’altérer parfois la trame des pièces en les tronquant allègrement et de négliger un répertoire français authentique. Néanmoins, il aura ainsi réussi à ramener vers la scène française un public trop subjugué jusque-là par le sensationnalisme des troupes américaines. À une époque où le Québec n’avait pas encore d’école d’art dramatique, Cazeneuve a transformé en professionnels des amateurs comme Elzéar Hamel, Joseph-Philéas Filion*, Antoine Bailly, dit Antoine Godeau, et Joseph-Sergius Archambault, dit Palmieri. Sur le plan humain, il laisse, au public tant anglophone que francophone, le souvenir d’un homme charmant et d’une courtoisie tout européenne. Avec lui disparaissait la vieille garde qui avait transformé la scène montréalaise et québécoise au début du xxe siècle.

Mireille Barrière

Arch. départementales, Haute-Garonne (Toulouse, France), État civil, Revel, 11 mai 1871.— Bibliothèque nationale du Québec (Montréal), Div. des coll. spéciales, Programmes de théâtre, 9.19 (Théâtre national français), semaine du 11 mars 1901.— Gazette (Montréal), 7 févr. 1899, 16 févr. 1901.— Le Monde illustré (Montréal), 30 mars 1901.— Montreal Daily Star, 27 juin 1925.— Le Passe-Temps (Montréal), 1er juin 1907.— La Patrie, 9 janv. 1909, 25 juin 1925.— La Presse, 27 févr., 9 mars 1901, 27 mai, 1er juill. 1905, 12 janv. 1909, 6 août 1910, 25 juin 1925.— Quebec Daily Mercury, 3 févr. 1899.— Le Soleil, 14 sept. 1904.— Christian Beaucage, le Théâtre à Québec au début du xxe siècle : une époque flamboyante ! ([Québec], 1996), 30–34, 70–73, 75–77.— L.-H. Bélanger, les Ouimetoscopes : Léo-Ernest Ouimet et les débuts du cinéma québécois (Montréal-Nord, 1978), 206–214.— Jean Béraud, 350 ans de théâtre au Canada français (Ottawa, 1958), 96.— Brooks Bushnell, Directors and their films : a comprehensive reference, 1895–1990 (Jefferson, N.C., 1993), 98, 203.— Denis Carrier, « le Premier Directeur artistique du National : Paul Cazeneuve », l’Annuaire théâtral (Montréal), automne 1987 : 153–164.— Franklin Graham, Histrionic Montreal ; annnals of the Montreal stage [...] (2e éd., Montréal, 1902 ; réimpr., New York et Londres, 1969).— Renée Legris et al., le Théâtre au Québec, 1825–1980 : repères et perspectives (Montréal, 1988), 53–58.— Magill’s survey of cinema – silent films, F. N. Magill et al., édit. (3 vol., Englewood Cliffs, N.J., 1982), 3 : 892–895.— David Ragan, Who’s who in Hollywood, 1900–1976 (New Rochelle, N.Y., 1976), 572.— G.-É. Rinfret, le Théâtre canadien d’expression française : répertoire analytique des origines à nos jours (4 vol., [Montréal], 1975–1978), 3 : 176–179.

Bibliographie de la version révisée :
Ancestry.com, « Index de la Sécurité sociale, États-Unis, 1936 à 2007 » : www.ancestry.ca (consulté le 8 nov. 2017).— Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, « California, county marriages, 1850–1952 » : www.familysearch.org (consulté le 8 nov. 2017) ; « California death index, 1905–1939 » : www.familysearch.org (consulté le 9 nov. 2017) ; « Massachusetts, town clerk, vital and town records, 1626–2001 » : www.familysearch.org (consulté le 8 nov. 2017) ; « New York, New York City births, 1846–1909 » : www.familysearch.org (consulté le 8 nov. 2017).— Minn. Assoc. of County Officers, « Minnesota official marriage system » : www.moms.mn.gov (consulté le 26 mars 2018).

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Mireille Barrière, « ALBA, GEORGES, dit Paul Cazeneuve (Cazenuve) (Georges-Jean-François-Paul-Charles-Ludovic) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/alba_georges_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2004
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    28 novembre 2024