BARBEL, MARIE-ANNE (Fornel), marchande et entrepreneuse, née à Québec le 26 août 1704, fille de Jacques Barbel* et de Marie-Anne Le Picard, elle épousa le 31 décembre 1723 Louis Fornel*, et le couple eut 14 enfants, dont sept parvinrent à l’âge adulte ; décédée à Québec le 16 novembre 1793.
Le père de Marie-Anne Barbel connut une ascension rapide, passant de sergent de la garnison de Québec à un poste de fonctionnaire, mais il mourut criblé de dettes. Barbel était un parvenu – le fait n’était pas rare dans la colonie – et, à l’époque du mariage de Marie-Anne, sa carrière était en plein essor. La famille Fornel, à laquelle elle s’alliait, était plus stable : dans le contrat de mariage, que signèrent le gouverneur et l’intendant, son futur mari et le père de celui-ci sont tous deux désignés comme marchands bourgeois de Québec. Son futur beau-frère, Joachim Fornel*, allait bientôt être nommé chanoine du chapitre de Québec.
La vie de Marie-Anne Barbel est surtout intéressante par ce qu’elle laisse entrevoir du rôle des femmes dans la classe commerçante de l’époque. Sa connaissance des affaires et la poursuite du commerce de son mari, qu’elle assuma après la mort de ce dernier, en sont des caractéristiques. Si le rôle que l’épouse pouvait jouer dans les affaires, sous la Coutume de Paris, est difficile à préciser, la procuration par laquelle, le 15 mai 1743, Louis Fornel délégua à Marie-Anne entière autorité sur ses affaires pendant son séjour sur la côte du Labrador, montre qu’elle était bien au courant de son activité et qu’il la jugeait capable de prendre des décisions dans le domaine des affaires. Toutefois, pendant leur vie commune, ses grossesses, l’éducation des enfants et la conduite de la maisonnée auront été ses principales préoccupations. Son centre d’intérêt changea, en 1745, à la mort de son mari.
À ce moment, le régime de « communauté de biens » entre les époux ne fut pas aboli, les droits de Louis Fornel étant plutôt transférés à ses héritiers. Mme Fornel vit à l’administration de ces biens et donna aux entreprises familiales plus d’ampleur et de diversité. Elle conserva des rapports d’amitié et demeura en étroites relations d’affaires avec François Havy* et Jean Lefebvre*, deux marchands huguenots qui avaient été associés à son mari dans plusieurs entreprises, dont la chasse aux phoques du Labrador. Si elle fut incapable de poursuivre l’exploitation de cette chasse dans la concession de son mari à la baie des Châteaux, laquelle fut accordée à Jean-François Gaultier* après la guerre de la Succession d’Autriche, elle eut plus de succès à la baie des Esquimaux (inlet de Hamilton), un site que Fornel avait découvert en 1743 et rebaptisé baie de Saint-Louis. Au moment de sa mort, il venait de présenter une requête pour y obtenir le monopole du commerce. L’intendant Hocquart se proposait plutôt d’unir ce poste aux postes de traite de Tadoussac (parfois appelés les postes du roi), de façon qu’il ne nuisît pas à leur rendement. Son successeur, Bigot, le concéda cependant à Mme Fornel le 20 septembre 1749. Il nota qu’elle l’exploiterait en association avec Havy et Lefebvre, sa mise n’étant que d’un tiers. Il se peut que Bigot ait procédé à cette concession dans le cadre d’une stratégie plus générale visant à écarter les protégés de son prédécesseur, en l’occurrence François-Étienne Cugnet*, fermier des postes de traite de Tadoussac, d’autant que le bail de Cugnet ne fut pas renouvelé. Ces postes furent plutôt loués à Mme Fornel en 1749. « La Veuve Fornel a une compagnie [...] il ne manquera de quoi que ce soit au poste de Tadoussac et [...] le Roy sera bien payé chaque année », expliqua Bigot au ministre de la Marine. Certaines circonstances laissent croire qu’Havy et Lefebvre, bien que silencieux vu l’extrême aversion que le gouverneur général La Jonquière [Taffanel*] avait pour les protestants, étaient encore ses associés.
À l’instar de son époux, Mme Fornel investit une partie de ses profits dans des valeurs relativement sûres, soit les biens immobiliers. Mais l’entreprise la plus originale de sa carrière fut l’établissement d’une poterie, à la suite de la pénurie causée par la guerre. Ainsi qu’Havy et Lefebvre l’expliquaient dans une lettre de 1746, « Il ne vient Point de terrerie de france et En aparence tant que la guerre durera il en Sera de Mesme Mais voici une Resource que le Pays trouve en Mademoiselle fornel qui en a Elevé une Manufacture Elle a un tres Bon ouvrier et Sa terre Se trouve Bonne. » La poterie, finie avec des glaçures de plomb et de cuivre, obtint un succès immédiat et fut même confondue avec le produit français. L’atelier continua de fonctionner au moins jusqu’en 1752. Cette année-là, François Jacquet signait avec Mme Fornel un contrat d’une durée de trois ans qui révèle les conditions de travail à cette époque : rémunération à la pièce, bois de poêle et huile à lampe fournis par l’employeur et, fait curieux, engagement de deux hommes, l’un par l’employeur, l’autre par le potier, chacun payant le salaire et assurant la nourriture de son employé. Jacquet travaillait dans un édifice délabré de la basse ville, « la Briqueterie ».
La guerre de la Conquête précipita le retrait de Marie-Anne Fornel du commerce. Ses postes de la Côte-Nord et du Labrador étaient des placements non rentables pendant la guerre. Elle ne fit aucun effort pour renouveler le bail qu’elle détenait sur la traite de Tadoussac, échu en 1755, et il n’est pas sûr qu’elle poursuivait encore ses opérations à la baie de Saint-Louis quand expira son monopole, en 1761. Ses nombreuses maisons dans la basse ville de Québec furent détruites lors du bombardement de la ville en 1759, et l’on n’entend plus parler de la poterie de « la Briqueterie ». En 1764, Marie-Anne et les héritiers Fornel acceptent de régler leurs comptes avec les héritiers d’Havy et Lefebvre pour la somme de 12 000# – le dernier versement étant fait en 1769. Un inventaire des biens de la communauté Fornel, en 1765, révèle un haut degré de confort bourgeois mais aussi un fort endettement dû à des pertes durant la guerre. Entre 1765 et 1771, Mme Fornel chercha à payer ses dettes, reconstruisit plusieurs de ses maisons et consolida ce qu’elle possédait déjà. Les biens de la communauté Fornel furent divisés entre les héritiers en 1777, et Mme Fornel passa la dernière partie de sa vie dans la retraite, jusqu’à son décès en 1793 à l’âge de 89 ans.
AN, Col., B, 91, f.276 ; C11A, 85, ff.21, 375 ; 92, ff.229, 358–359 ; 93, ff.229, 241, 257 ; 96, f.101 ; 100, f.337 ; 101, f.398.— ANQ-Q, AP-P-753 ; Greffe de Claude Barolet, 20 déc. 1752 ; Greffe de P.-L. Descheneaux, 1er mars 1794 ; Greffe de C.-H. Du Laurent, 15 mai 1743, 15 oct. 1750, 31 mai 1752 ; Greffe de Claude Louet, 10 mai 1765 ; Greffe de J.-C. Louet, 31 déc. 1723 ; Greffe de J.-C. Panet, 10 oct. 1764.— APC, MG 24, L3, pp.872–876, 886–890, 1 144s.— Inv. de pièces du Labrador (P.-G. Roy), I : 90s., 99 ; II : 88, 255–260.— P.-G. Roy, Inv. jug. et délib., 1717–1760, passim.— Tanguay, Dictionnaire, I : 24 ; IV : 84.— Lilianne Plamondon, Une femme d’affaires en Nouvelle-France, Marie-Anne Barbel (thèse de
Dale Miquelon, « BARBEL, MARIE-ANNE (Fornel) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/barbel_marie_anne_4F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |