SKINNER, EMMA SOPHIA (Fiske), professeure de langues, partisane du suffrage féminin et réformatrice sociale, née le 23 octobre 1852 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fille de Samuel Skinner, charron, et de Phoebe Sherwood Golding ; le 15 juin 1876, elle épousa dans cette ville John MacKenzie Campbell Fiske, dentiste, oculiste et otologiste, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédée au même endroit le 29 octobre 1914.

Emma Sophia Skinner perdit sa mère à l’âge de 11 ans, mais on présume que son père et ses trois sœurs aînées prirent soin d’elle ainsi que de ses jeunes frères et sœurs. On sait peu de chose sur sa jeunesse. Elle fut élevée dans la foi baptiste, mais à l’âge adulte elle est identifiée comme unitarienne, puis anglicane. Elle fréquenta probablement des écoles de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, et poursuivit peut-être ses études ailleurs. Linguiste accomplie, elle donnait des leçons de français, d’allemand et d’italien ; on rapporte qu’elle enseignait aussi la littérature anglaise et le français à l’école secondaire locale. La mort prématurée de son mari en 1877 l’avait peut-être amenée à l’enseignement. Cette épreuve personnelle lui avait peut-être aussi fait prendre conscience de l’insécurité économique des femmes, car elle soutint par la suite que celles-ci devaient avoir un salaire égal à celui des hommes et pouvoir acquérir leur indépendance financière par rapport à eux.

La plupart des 13 enfants de la famille Skinner qui parvinrent à l’âge adulte participèrent aux affaires publiques. Emma Sophia se tailla une place dans la vie sociale, culturelle et politique de Saint-Jean. Selon la presse, elle était « l’une des femmes les plus connues et les plus actives de la ville » ; elle œuvra au Saint John Art Club, chez les dames auxiliaires de la Natural History Society of New Brunswick, à l’Associated Charities of Saint John, à l’Union chrétienne de tempérance des femmes, à la Société de la Croix-Rouge et à la Women’s Enfranchisement Association. Oratrice pleine d’esprit, elle donnait souvent des conférences sur les voyages, l’art, la littérature et l’histoire. Elle parlait aussi avec éloquence de questions sociales, l’industrialisation de Saint-Jean s’étant accompagnée d’une aggravation des fléaux sociaux et d’une multiplication des mouvements de réforme visant à les combattre.

En raison de ses activités publiques, Emma Sophia Skinner Fiske était en relation avec les plus éminents réformateurs de Saint-Jean, dont l’éducateur George Upham Hay et l’homme d’affaires, homme politique et socialiste fabien Warren Franklin Hatheway*, tous deux membres de la Natural History Society. Les réformateurs de la ville formaient un cercle uni et, en tant que membre de ce cercle, Mme Fiske contribua au lancement de diverses campagnes. En 1900, à titre de présidente de la Women’s Enfranchisement Association, elle organisa une assemblée publique en faveur de la fréquentation scolaire obligatoire ; par la suite, notamment avec Hay, Hatheway et Mabel Phoebe Peters, elle fit partie d’un comité de promotion de cette cause. Quatre ans plus tard, on la retrouve dans une délégation formée de membres de sociétés féminines, d’associations ouvrières et de la Fabian League de Saint-Jean, qui faisait pression sur le gouvernement de Lemuel John Tweedie pour l’adoption de lois sur les manufactures. Avec la recommandation de Hatheway, elle fut nommée à la commission sur les manufactures qui fut mise sur pied par le gouvernement et qui fit la tournée des principales localités industrielles du Nouveau-Brunswick en 1904–1905 pour recueillir des témoignages. Ces campagnes aboutirent à l’adoption du New Brunswick Factories Act de 1905, qui réglementait le travail des enfants en usine et les conditions de travail en milieu industriel, et par la loi de 1906 forçant les administrateurs scolaires à tenir un scrutin public chaque année sur la fréquentation scolaire obligatoire.

Emma Sophia Skinner Fiske consacrait la plus grande partie de son temps et de ses énergies à la promotion des droits politiques des Néo-Brunswickoises. Bien que, dans les années 1880, la Woman’s Christian Temperance Union ait promu le suffrage féminin, qui allait figurer à son programme à compter de 1895, Mme Fiske œuvra surtout par l’entremise de la Women’s Enfranchisement Association, fondée à Saint-Jean en 1894. Cette association était avant tout un groupe de défense des droits des femmes ; elle fut la première et la seule société de réforme de la province dont le principal objectif était l’égalité du droit de vote. Mme Fiske en devint l’âme dirigeante. Membre fondatrice, elle fut élue présidente en 1898 (elle était la deuxième à porter ce titre) et exerça cette fonction jusqu’à sa mort. En 1894, elle représenta son association à l’assemblée annuelle de la Dominion Women’s Enfranchisement Association à Ottawa. À cette occasion, elle fut nommée vice-présidente générale des Maritimes et organisatrice des cercles en faveur du suffrage féminin au Nouveau-Brunswick. Cependant, elle ne put exercer ces fonctions avec efficacité parce qu’elle avait beaucoup d’activités à Saint-Jean et que la Women’s Enfranchisement Association comptait peu de membres. Localement, elle travaillait sans relâche pour la cause du suffrage en aidant à rédiger des pétitions et à recueillir des signatures, en présidant des assemblées publiques et en y prenant la parole. En 1908, elle conduisit à Fredericton une délégation qui voulait convaincre le gouvernement de présenter un projet de loi rédigé par Mabel Priscilla Penery French* et visant à autoriser les femmes célibataires qui avaient les propriétés et les revenus requis à voter aux élections provinciales. Malgré les puissants arguments de Mme Fiske, le premier ministre John Douglas Hazen* écarta le projet de loi.

Emma Sophia Skinner Fiske ne craignait pas de défier le statu quo et, en 1908, elle présenta à un auditoire de Saint-Jean la militante canadienne des droits des femmes Flora Macdonald Denison [Merrill*], connue pour son franc-parler ; de plus, elle parut en 1912 sur une tribune de cette ville aux côtés de Sylvia Pankhurst, militante britannique pour le vote des femmes. À titre d’organisatrice désignée des cercles en faveur du suffrage féminin et de directrice de la section du droit de vote à l’Union chrétienne de tempérance des femmes de la province, elle sillonna le Nouveau-Brunswick pour informer hommes et femmes sur la question de l’égalité des droits. Après qu’elle se fut adressée à un auditoire de Moncton en 1912, on décida d’organiser dans cette ville un cercle en faveur du suffrage féminin. Mme Fiske portait son message dans plusieurs régions de la province, mais ses activités, comme celles de la Women’s Enfranchisement Association, continuaient de se concentrer à Saint-Jean.

La Women’s Enfranchisement Association n’avait pas toujours pu soutenir le rythme de sa croisade. En 1899, après la défaite de plusieurs projets de loi sur le suffrage féminin, la campagne s’essouffla. Les membres de l’association se tournèrent vers l’étude de la théorie collectiviste, particulièrement vers les idées de l’écrivain américain Edward Bellamy. Pendant environ quatre ans, des lectures, des simulacres de débats et des exposés sur des thèmes socialistes marquèrent les réunions des cercles de l’association. Les femmes devinrent si absorbées qu’elles envisagèrent de transformer leur association en société fabienne. Elles confièrent à Mme Fiske et à Ella Hatheway, femme de Warren Franklin, le mandat d’« agir en comité pour promouvoir la cause du collectivisme ». Pendant cette période, Mme Fiske et d’autres membres firent campagne pour la scolarité obligatoire et pour l’adoption de lois sur les manufactures. En outre, elles pressèrent l’Union chrétienne de tempérance des femmes de les aider à faire nommer un comité d’inspection des hôpitaux, hospices et autres établissements publics. Néanmoins, la Women’s Enfranchisement Association resta vouée à son but premier.

Emma Sophia Skinner Fiske ne vit pas cet objectif se réaliser. Elle mourut subitement en 1914, cinq ans avant que les Néo-Brunswickoises obtiennent le droit de voter aux élections provinciales. Pour perpétuer l’« influence bénéfique » de celle qui avait été leur amie et, pendant longtemps, leur présidente, les membres de la Women’s Enfranchisement Association créèrent l’Emma S. Fiske Memorial Fund, qui recueillit des étoffes pouvant servir à coudre des vêtements d’enfants. C’est ainsi que l’Associated Charities of Saint John put distribuer des centaines de vêtements aux garçons et filles nécessiteux de la ville.

Janice Cook

AN, RG 31, C1, Saint John, Prince Ward, div. 1, 1871 : 41 ; 1891 : 9 ; 1901 : 6 (mfm aux APNB).— APNB, RS9/1904/22–22.1 ; RS 113/3/20 ; RS250, témoignage, 1904–1905 ; RS315, A, 1 : 848.— Fernhill Cemetery Company (Saint-Jean, N.-B.), Burial records, lot no 934 (Samuel Skinner).— Musée du N.-B., Reg. of marriages for the city and county of Saint John, book I (1875–1880) : 254 (mfm aux APNB) ; Women’s Enfranchisement Assoc. of Canada, Saint John branch, minute-books, 1894–1919.— Daily Evening News (Saint-Jean), 5 juill. 1877.— Daily Telegraph (Saint-Jean), 18 févr. 1908, paru par la suite sous le titre Daily Telegraph and the Sun, 16 janv. 1912.— Saint John Globe, 18 avril 1894, 14 avril 1899, 13 févr., 21 nov. 1904, 13 mai 1908, 9–10 avril 1912, 29 oct. 1914, 28, 30 janv. 1915.— St. John Daily Sun, 19 janv. 1900, 19 févr., 8 avril 1901, 5 juin 1902.— St. John Standard, 29 oct. 1914, 30 janv. 1915.— Annuaire, Saint-Jean, 1876–1877 : 114.— M. E. Clarke, « The Saint John Women’s Enfranchisement Association, 1894–1919 » (mémoire de m.a., Univ. of N.B., Fredericton, 1980).— C. L. Cleverdon, The woman suffrage movement in Canada, introd. de Ramsay Cook (2e éd., Toronto, 1974).— N.-B., Acts, 1905, c.7 ; 1906, c.13.— The New Brunswick census of 1851 : Saint John County (2 vol., Fredericton, 1982), 2.— Elspeth Tulloch, We, the undersigned : a historical overview of New Brunswick women’s political and legal status, 1784–1984 (Moncton, N.-B., 1985).

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Janice Cook, « SKINNER, EMMA SOPHIA (Fiske) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/skinner_emma_sophia_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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