SAVAGE, JOHN, agent de développement foncier, officier de milice et juge de paix, né en 1740 en Irlande ; il épousa probablement à Spencertown, New York, Ann Pratt, et ils eurent sept enfants ; décédé le 27 septembre 1826 à Shefford-Ouest (Bromont, Québec) et inhumé deux jours plus tard au même endroit.
La famille Savage serait arrivée en Amérique du Nord dans la seconde moitié du xviiie siècle. Il se peut qu’elle ait fait partie du contingent originaire du Palatinat (République fédérale d’Allemagne) qui s’était réfugié en Irlande. Une partie de ce groupe émigra dans la vallée de la rivière Hudson et se fixa aux environs d’Albany, dans la colonie de New York. Avant la guerre d’Indépendance américaine, les Savage possédaient des terres à Spencertown, où ils exerçaient une certaine influence.
En 1775, John Savage refusa le commandement de la compagnie locale de l’armée du Congrès malgré les pressions de ses concitoyens et de deux de ses beaux-frères. Considéré alors comme un ennemi, il fut condamné à fournir une caution, puis emprisonné. Plein d’audace et de ressources, il réussit, après plusieurs tentatives, à s’évader. Parvenu à New York, il obtint une commission de lieutenant dans les Loyal Rangers en 1776. Capturé de nouveau, il échappa à la pendaison mais fut incarcéré pendant plusieurs mois. Après avoir recouvré sa liberté, il entra au service de l’armée britannique à l’été de 1782 comme informateur. Le zèle dont il fit preuve au cours de ses missions dans les états de New York et du Vermont lui valut les plus hauts éloges. Toutefois, l’hostilité des républicains l’obligea à mettre sa famille à l’abri. Muni d’un sauf-conduit et accompagné de son frère James, Savage quitta Crown Point, dans l’état de New York, avec sa famille et vint se réfugier dans la province de Québec, en octobre 1783. Il signa une requête pour recevoir des terres à l’est du lac Champlain.
À cette époque, les frères Allen qui commandaient les Green Mountain Boys tentaient d’attirer les loyalistes au Vermont, sous prétexte de favoriser ainsi l’annexion de cet état à la province de Québec. Savage, qui avait servi d’intermédiaire aux Allen auprès des autorités militaires de la province, appuya ce projet avec l’assentiment d’officiers supérieurs, et malgré l’opposition du gouverneur Frederick Haldimand*, peu favorable à la colonisation près de la frontière américaine. En 1784, Savage résidait à Alburgh, dans l’ancienne seigneurie Foucault, au sud de la frontière, et il y passa plusieurs années. Cependant, les Allen, devenus partisans du Congrès, voulurent en 1791 le forcer à prêter un serment d’allégeance. Savage se vit alors forcé de déguerpir avec plusieurs autres loyalistes vers Caldwell’s Manor, propriété de Henry Caldwell*.
Le 16 juillet 1792, Savage présenta une pétition afin d’obtenir le canton de Shefford, dans le Bas-Canada. Comme la plupart des pétitionnaires, il s’acquitta à grands frais des nombreuses formalités : autorisation d’arpentage, listes d’associés, démarches auprès des commissaires sans compter plusieurs voyages à Québec, à Chambly et à la baie Missisquoi. Après avoir prêté le serment d’allégeance en 1792, Savage s’affaira à ouvrir des chemins et à compléter l’arpentage du canton, toujours à ses frais et sans titre de possession. Sa famille devait se contenter d’une cabane de bois rond. Au cours du premier hiver, Savage perdit presque tout son bétail. Les querelles entre le gouverneur Robert Prescott* et le Conseil exécutif devaient paralyser les octrois de terres pendant plusieurs années. Lassé de faire valoir ses états de service et de réclamer une juste compensation pour les pertes encourues pendant la guerre d’Indépendance américaine, il se joignit à d’autres mécontents, notamment Samuel Willard, pour envoyer un représentant plaider leur cause à Londres. En février 1800, Samuel Gale soumit un mémoire en leur nom ce qui produisit un certain émoi en haut lieu à Québec. Le 10 février 1801, les lettres patentes du canton de Shefford recevaient le sceau officiel ; Savage et ses 38 associés, dont son fils John et trois de ses gendres, pouvaient ainsi se partager environ 34 000 acres de terre. Afin d’assurer le financement de son entreprise, Savage avait conclu des transactions immobilières avant même la concession officielle et il continua de le faire ensuite.
En 1805, Savage fut nommé capitaine dans le 2e bataillon de milice des Cantons-de-l’Est. L’année suivante, il obtint une commission de juge de paix pour le district de Montréal, qu’on renouvela en 1810 et 1821. Sa maison fut longtemps le siège des principaux événements du canton, et on y célébrait même les offices religieux. Le révérend Charles James Stewart* se rendit dans Shefford en 1808 et fit la connaissance de Savage et de sa famille. Par la suite, il ne manqua jamais de les visiter lors de ses tournées pastorales et il tenait Savage en haute estime.
Malgré ses 72 ans, Savage voulut participer à la guerre de 1812. Un ordre du lieutenant-colonel sir John Johnson, daté du 10 janvier 1813, créait le Frontier Light Infantry. Savage obtint une commission de capitaine dans ce régiment. Le 13 août suivant, le Frontier Light Infantry fut rattaché au régiment des Voltigeurs canadiens, commandé par Charles-Michel d’Irumberry de Salaberry, dont il formait, à la fin des hostilités, les 9e et 10e compagnies.
Le canton de Shefford comptait environ 500 habitants à la fin de la guerre. Les voies de communication manquaient toujours malgré les efforts de Savage qui avait ouvert en 1792 le premier sentier à partir de la baie Missisquoi. En 1799, il se préoccupa d’établir une route vers Montréal via Dorchester (Saint-Jean-sur-Richelieu) ou la seigneurie de Saint-Hyacinthe. Vers 1816, des subsides gouvernementaux allaient permettre la construction de véritables chemins, que Savage fut chargé de surveiller.
La mise sur pied de services religieux réguliers et l’érection d’une église revêtaient une grande importance aux yeux de Savage. Au début de 1818, il fit part de son projet au révérend Stewart et, le 14 octobre 1819, il lui donna quatre acres de terre près de sa maison pour construire une église, ainsi que 800 acres d’une valeur de £200. Savage, alors âgé de 80 ans, surveilla les travaux à l’été de 1820 et arrondit de ses deniers la modeste subvention du diocèse anglican. Peut-être fut-il trop généreux puisque, le 20 mars 1824, son fournisseur depuis 1801, le marchand de Saint-Hyacinthe Joseph Cartier, le poursuivit en justice. Il lui réclamait £42, et Savage ne put que lui donner deux génisses en paiement. Le 4 juillet 1825, deux de ses lots furent saisis et vendus par le shérif.
Devenu un véritable patriarche, John Savage s’éteignit au milieu de sa famille, qui comptait un fils et cinq filles, leurs maris et 47 petits-enfants, tous nés dans le canton de Shefford. Savage s’était identifié à ce coin de pays qu’il avait créé grâce à son esprit d’entreprise et à sa persévérance. Il n’avait jamais dévié de sa ligne d’action, et son nom reste attaché à une œuvre durable.
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Marie-Paule R. LaBrèque, « SAVAGE, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/savage_john_6F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
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