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SAINT-PÈRE, AGATHE DE (Legardeur de Repentigny), manufacturière, née à Montréal le 25 février 1657, fille de Jean de Saint-Père*, notaire, et de Mathurine Godé, décédée à Québec en 1747 ou 1748.
Agathe de Saint-Père appartenait à une famille d’illustres colons de Ville-Marie. Son père, ainsi que son grand-père, Nicolas Godé, et son parrain, Raphaël-Lambert Closse*, moururent sous les coups des Iroquois. Dès 1658, sa mère, devenue veuve quelques mois auparavant, convola avec le négociant Jacques Le Moyne de Sainte-Marie ; Agathe de Saint-Père entrait ainsi dans une famille dont le nom fut rendu célèbre par les exploits de Charles Le Moyne* de Longueuil et de Châteauguay (frère de Jacques) et de ses fils.
On peut présumer qu’à l’instar de ses demi-sœurs Le Moyne, Agathe de Saint-Père fréquenta l’école de Marguerite Bourgeoys*. Dès 1672, après la mort de sa mère, Agathe, à peine âgée de 15 ans, prit la relève auprès des dix enfants Le Moyne dont le dernier était un nouveau-né. Elle semble avoir élevé ces enfants avec fermeté et en avoir gardé la responsabilité, même après son mariage célébré le 28 novembre 1685 avec l’enseigne Pierre Legardeur* de Repentigny ; un fils et sept filles naîtront de ce mariage.
La nature insouciante de Legardeur permit à la dynamique Agathe de Saint-Père d’éclipser souvent son mari. Elle signait des contrats, tirait profit de congés de traite, achetait et vendait des terres, effectuait des emprunts et réglait ses comptes ainsi que les dettes de son mari et celles de ses beaux-frères. En 1701, elle s’opposa au mariage de son demi-frère, Nicolas Le Moyne de Leau, avec une roturière. De concert avec Catherine Le Moyne de Sainte-Marie, sa demi-sœur, elle s’engagea avec succès dans des poursuites judiciaires pour empêcher cette union. Nicolas quitta la colonie pour le Mississipi d’où il ne revint jamais ; il avait nommé Agathe sa procuratrice.
Au début du xviiie siècle, la conjoncture économique obligea la colonie à vivre périodiquement en économie fermée ; ce fut alors un retour aux idées que l’intendant Jean Talon* avait mises de l’avant lors de ses deux séjours en Nouvelle-France. Pour pallier la pénurie de lin et de laine, Mme de Repentigny se livrait chez elle aux expériences les plus diverses, principalement sur les orties et les filaments d’écorces, sur le cotonnier sauvage et la laine de bœufs illinois. Le roi trouvait réussis les échantillons de toile et appréciait les dragées de sucre d’érable de sa fabrication qu’elle lui envoyait. Aussi quand arriva en 1705 la nouvelle du naufrage de la Seine, qui transportait le ravitaillement de toute une année, l’audacieuse femme établit dans sa maison « une manufacture de toile, droguet, serge croisée et couverte ». Elle racheta neuf tisserands anglais prisonniers des Indiens, les embaucha et leur adjoignit des apprentis canadiens. Elle mit à leur disposition et distribua à Montréal des métiers à tisser qu’elle avait fait construire d’après l’unique exemplaire trouvé dans l’île. Plusieurs insulaires s’initièrent aux techniques et bientôt on compta plus de 20 métiers qui fournissaient quotidiennement 120 aunes d’étoffe et de toile grossières, durables et à bon marché.
Poursuivant ses expériences, l’infatigable et industrieuse Mme de Repentigny, à l’aide d’une pierre bleue et de plantes tinctoriales indigènes, découvrit nombre de colorants et de nouveaux procédés de fixation. Elle parvint même à teindre les peaux de chevreuil sans les passer à l’huile. En 1707, quand les Bostonnais rachetèrent les neuf tisserands anglais, l’atelier de Mme de Repentigny était viable. Il conserva son rythme de production jusqu’en 1713, tant qu’elle en fut propriétaire. En 1712, le roi lui accordait toujours la gratification annuelle de 200# en appréciation de ses services. Victorieuse de la crise du vêtement, ayant pleinement atteint son but, Mme de Repentigny décida d’abandonner son industrie, le 9 octobre 1713, à Pierre Thuot Duval, maître-boulanger.
Quelques années auparavant, elle avait payé la rançon du jeune Warham Williams, âgé de 4 ans, que les Indiens avaient amené en captivité au Canada, en 1704, après l’expédition de Deerfield, Massachusetts. Elle refusa par la suite d’échanger cet enfant contre un tisserand anglais qu’on lui proposait en retour et dont elle avait pourtant grand besoin.
On perd la trace de cette femme exceptionnelle pendant quelque temps. Après le décès de son mari, survenu à Montréal en 1736, elle choisit de terminer sa vie à l’Hôpital Général de Québec. Elle retrouvait sa fille, Marie-Joseph de La Visitation, qui y sera supérieure durant neuf ans et se rapprochait aussi de son autre fille, Marie-Jeanne-Madeleine de Sainte-Agathe*, religieuse au monastère des ursulines depuis 1717.
Dans le testament qu’elle signa le 6 février 1746, elle indiqua qu’elle voulait être inhumée à l’Hôpital Général. Bien qu’on n’ait pas encore retrouvé son acte de décès, on peut croire qu’elle s’y éteignit dans sa 91e année. C’est en 1748, en effet, que l’annaliste de cette institution inscrivit au chapitre des recettes de fin d’année la somme de 400# constituant le « premier legs de Madame de Repentigny ».
AHGQ, Annales.— AN, Col., B, 34, ff.92 1/2, 193 ; Col., C11A, 22, f.188 ; 23, f.35 (copies aux ANQ).— ANQ, Greffe de C.-H. Du Laurent, 7 févr. 1746.— ANQ-M, Greffe d’Hilaire Bourgine, 24 juill. 1685 ; Registre d’état civil, Notre-Dame de Montréal, 25 févr. 1657.— Tanguay, Dictionnaire.— J.-N. Fauteux, Essai sur l’industrie, II : 465–469.— Lemire-Marsolais et Lambert, Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, II : 131, 134 ; IV : 420.— Marine Leland, Madame de Repentigny, BRH, LX (1954) : 75–79.— É.-Z. Massicotte, Agathe de Saint-Père, Dame Legardeur de Repentigny, BRH, L (1944) : 202–207.
Madeleine Doyon-Ferland, « SAINT-PÈRE, AGATHE DE (Legardeur de Repentigny) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/saint_pere_agathe_de_3F.html.
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Auteur de l'article: | Madeleine Doyon-Ferland |
Titre de l'article: | SAINT-PÈRE, AGATHE DE (Legardeur de Repentigny) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |