MUNN, ALEXANDER, constructeur et propriétaire de navires, né le 26 septembre 1766 à Irvine, Écosse, fils de John Munn, constructeur de navires, et de Catherine Edward ; le 6 décembre 1797, il épousa à Québec Agnes Galloway, et ils eurent 11 enfants, dont 6 moururent en bas âge ; décédé le 19 mai 1812 à Québec.

Alexander Munn est un personnage obscur. Comme ses papiers personnels et ses documents d’affaires semblent perdus, les seules indications qu’on a à son sujet sont disséminées dans des sources courantes comme les archives notariales, les annonces de journaux, les registres de navires et les registres paroissiaux. Difficiles à interpréter, ces sources ne fournissent pas un portrait complet. Dans l’ensemble, cependant, elles nous indiquent que Munn a joué à Québec un rôle majeur au cours des premières étapes du développement de la construction navale, secteur qui devait largement contribuer à l’économie de la ville. C’est surtout en sa qualité d’entrepreneur qu’on l’étudiera ici.

Avant d’immigrer à Québec en mai 1793, ou auparavant, Munn fut sûrement initié aux « mystères » de la construction navale par son père. Dans les années 1790, quiconque voulait se lancer dans la construction de gros navires à Québec devait d’abord avoir acquis un savoir-faire et des capitaux en Grande-Bretagne. Les renseignements accumulés sur ce type d’entreprises dans l’ensemble de l’Amérique du Nord britannique démontrent hors de tout doute que la technologie (au sens large du terme), les capitaux et les marchés britanniques étaient des soutiens essentiels. Avant 1830 environ, très peu de Canadiens de naissance se sont taillé une place dans ce domaine.

C’est en février 1794 que le nom de Munn figure pour la première fois dans des documents de Québec : il s’identifie alors lui-même comme « charpentier de navires » dans un acte notarié. En 1803 toutefois, il se dit « constructeur de navires ». De prime abord, ces appellations laissent supposer qu’il avait gravi des échelons, passant du statut de compagnon à celui de maître. Mais à Québec, au tournant du xixe siècle, il semble que le système corporatif n’ait été qu’une formalité désuète qui n’avait guère de poids dans l’économie réelle des chantiers navals. De toute évidence, les employeurs prenaient couramment des apprentis, mais c’était avant tout un moyen légal pour contourner les pénuries de main-d’œuvre. Le statut de maître constructeur de navires ne comportait aucun privilège politique précis, contrairement à ce qui se passait à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, où il permettait d’être nommé citoyen honoraire de la ville. Si Munn avait changé de titre, c’est plus probablement en vertu de ce que l’on croit avoir été une règle non écrite, mais bien observée, qui réservait le nom de constructeur de navires à ceux qui exploitaient de grands chantiers, comme le faisait Munn en 1803.

Munn loua d’abord, au milieu des années 1790, des installations de la Johnston and Purss [V. James Johnston*], au quai du Roi de la basse ville, puis acquit après 1806 un grand chantier à l’anse des Mères. Il lançait fréquemment deux gros navires par an, un au printemps, l’autre à l’automne, et ses chantiers semblent avoir fait certains travaux de réparation. En se fondant principalement sur les certificats d’enregistrement des navires, on peut estimer que, de 1798 à 1812 inclusivement, il construisit au bas mot 17 vaisseaux jaugeant en tout 4 470 tonneaux. Il en a peut-être lancé beaucoup plus, car les certificats n’identifient pas toujours clairement les constructeurs, et aucune autre source satisfaisante n’existe. Comme la plupart des navires construits dans l’Amérique du Nord britannique au cours du siècle qui suivit la Révolution américaine, les bricks et navires de plus gros tonnage lancés par Munn étaient destinés à la Grande-Bretagne. D’après ce que l’on sait, il finançait lui-même la plupart de ses constructions ou il travaillait sous contrat avec un représentant britannique : il le fit par exemple en 1807 avec John Drysdale pour la construction d’un navire de 435 tonneaux. Comme il semble que les contrats prévoyaient que le futur propriétaire devait faire des versements périodiques au constructeur pendant la construction, le fait que Munn ait enregistré dix navires à son nom témoigne de sa solide position financière. Il possédait ou pouvait se procurer un capital suffisant pour échapper à la dépendance habituellement assortie aux travaux à contrat. On ignore d’où il avait obtenu l’argent nécessaire pour se lancer en affaires. On présume qu’il avait fait appel à son réseau familial, mais il semble raisonnable de penser qu’ensuite il tira de ses ventes une grande partie de ses capitaux.

À l’époque, cinq Munn au moins, dont Alexander, construisaient des navires. Quatre d’entre eux s’établirent au Bas-Canada et appartenaient probablement à la même famille. Le cinquième, James, frère d’Alexander, était constructeur de navires à Troon, en Écosse, quand, en 1800, après la mort de leur père, Alexander lui signa une procuration pour qu’il s’occupe des intérêts maritimes qu’il avait dans ce pays. Il s’agit peut-être du James Munn, constructeur de navires, qui était à Irvine en 1803 et qui est mentionné dans la correspondance de la John Scott and Sons, compagnie de construction navale de Greenock, en Écosse, et Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. James fut l’un des premiers entrepreneurs de la rivière Clyde à construire des bateaux à vapeur. Un dénommé John Munn, qui était peut-être le frère d’Alexander, commença à construire des navires à Québec dès l’automne de 1797, et, quelques années plus tard, il associa son jeune fils John* à son entreprise et lui confia la direction d’un chantier dans le faubourg Saint-Roch. C’est dans ce secteur du port, au bord de la rivière Saint-Charles, qu’il devait y avoir plus tard au cours du siècle la plus forte concentration de construction navale de toute l’Amérique du Nord britannique. David Munn, qui était peut-être aussi le frère d’Alexander, exploita de 1805 à 1820 environ un chantier près de la brasserie Molson, dans le quartier montréalais de Sainte-Marie, et une grande partie de ses constructions ont pu être financées par Robert Hunter, le marchand de Greenock avec qui il enregistra 14 navires sur 17, jaugeant en tout 4 916 tonneaux. David avait aussi des intérêts commerciaux à Québec : en 1812, il garantit l’exécution d’un contrat dans lequel la John Munn and Son s’engageait à construire un navire pour un marchand londonien. La même année, il évalua avec un autre constructeur les vaisseaux de la succession d’Alexander et, deux ans plus tard, il loua le chantier d’Alexander de la veuve de celui-ci.

Étant donné le manque d’indications, il est difficile de décrire en détail les opérations des premiers chantiers coloniaux et le développement social qui en résulta, et cette tâche n’est pas moins complexe dans le cas d’Alexander Munn. Néanmoins, on obtient un tableau d’ensemble assez précis pour affirmer que le chantier naval était à l’avant-garde du développement de l’entreprise coloniale de production, que ce soit en termes de dimensions des unités, de division du travail, de rythme d’emploi, de contrôle des matériaux, de discipline des travailleurs ou de besoins en capitaux. De même, on peut considérer que les constructeurs de navires formaient une nouvelle classe d’entrepreneurs dans le contexte colonial, une catégorie de fabricants qui se distinguaient autant des maîtres artisans de leur époque que des industriels capitalistes qui allaient suivre. Si on ne peut donner qu’une image imprécise des structures de travail et des structures financières du chantier de Munn – en s’appuyant principalement sur la taille des navires construits (ceux qui ont été enregistrés jaugeaient de 119 à 469 tonneaux) – on a en revanche quelques précisions sur la situation économique et le statut social de Munn lui-même. Autour de 1800, la location du chantier du quai du Roi lui coûtait presque £400 par an et, en 1806, il versa à l’actif de la faillite des constructeurs de navires londoniens William et John Beatson £3 050 pour l’acquisition du chantier de l’anse des Mères. En 1812, un inventaire de ses biens meubles (excluant ses terres, ses bâtiments et son avoir en espèces) indiquait que les effets de ses « chantier et magasins » valaient £1 055. En outre, on évaluait un sloop prêt à naviguer à £300, un nouveau brick, le James, à £2 700, et un nouveau vaisseau en cale sèche, le Diana, à £4 000. Dans son contrat de mariage, en 1797, Alexander avait promis à Agnes Galloway que £300 lui seraient versées à son décès. Sa succession, dont elle était l’administratrice, la laissa dans une situation fort confortable. Elle vécut dans une grande maison en pierre nouvellement construite et employa pendant au moins un an un domestique à qui elle versa des gages de £20. Par la suite, le chantier fut loué annuellement à plusieurs individus, dont David et John Munn, et fut finalement vendu en 1839 à James Bell Forsyth* pour la somme de £6 250.

Alexander Munn ne semble avoir occupé qu’une seule charge publique : aux environs de 1807, il fut nommé par intérim officier hydrographe du port. Il était certainement un membre privilégié de la société de Québec et jouissait d’avantages qui découlaient clairement de sa situation de constructeur de navires. Outre les voyages qu’il fit en Grande-Bretagne, il est à noter que l’on trouve dans l’inventaire de sa succession des signes d’aisance matérielle : deux calèches et trois carrioles, une selle de cheval pour dame et un piano. De plus, Munn logeait un précepteur qui s’occupait de l’éducation de ses enfants. De tels luxes n’étaient pas à la portée de ses employés. Ainsi, en 1807, il embaucha un apprenti pour le modeste salaire de £8 par an, en lui fournissant en outre viande, boisson et logement. On ne peut guère douter non plus que ces luxes excédaient les moyens des maîtres artisans, qui, en dehors du secteur de la construction navale, formaient la classe typique des entrepreneurs dans l’économie préindustrielle de l’Amérique du Nord britannique.

En collaboration

ANQ-Q, CE1-66, 6 déc. 1797, 21 mai 1812 ; CN1-16, 23 oct., 18 nov. 1807, 25 mai, 12 oct. 1811, 20 févr. 1812 ; CN1-49, 13, 19 juin 1812, 1er mars, 24, 30 avril, 3 déc. 1813, 9 déc. 1814, 2 août 1815, 4 nov. 1825 ; CN1-99, 6 déc. 1797, 3 févr. 1808 ; CN1-145, 17 déc. 1806, 18 janv., 9 févr., 13 sept. 1809 ; CN1-147, 7 juill. 1804 ; CN1-171, 2, 27 oct. 1809 ; CN1-253, 25 janv. 1814 ; CN1-256, 15 févr. 1794, 23 avril 1795 ; CN1-285, 14 déc. 1803, 18, 19 janv. 1809, 11, 27 juin, 16 juill. 1810, 4 nov., 2, 4 déc. 1811, 11 mai 1812.— APC, RG 42, sér. 1, 183.— GRO, Reg. of births and baptisms for the parish of Irvine, 26 sept. 1766.— « Les dénombrements de Québec » (Plessis), ANQ Rapport, 1948–1949 : 180.— La Gazette de Québec, 30 mars 1797, 17 déc. 1800, 8 avril, 15 juill. 1802, 14 avril, 5 mai, 25 août, 20 oct. 1803, 28 août 1806, 9 avril 1807, 26 janv., 18 mai 1809, 27 sept. 1810, 2 mai 1811, 8 oct. 1812.— Richard Rice, « Shipbuilding in British America, 1787–1890 : an introductory study » (thèse de ph.d., Univ. of Liverpool, Angl., 1978).— D. T. Ruddel, « Apprenticeship in early nineteenth-century Quebec, 1793–1815 » (thèse de m.a., univ. Laval, 1969), 58, 68, 99, 107, 115, 118, 120, 172, 174s.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

En collaboration, « MUNN, ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/munn_alexander_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    28 novembre 2024