LEFROY, AUGUSTUS HENRY FRAZER, avocat, professeur, auteur et rédacteur en chef, né le 21 juin 1852 à Toronto, deuxième fils de John Henry Lefroy* et d’Emily Merry Robinson, fille de John Beverley Robinson* ; le 22 septembre 1884, il épousa dans cette ville Théodora Strathy, et ils eurent trois fils ; décédé au même endroit le 7 mars 1919.
Augustus Henry Frazer Lefroy fit ses études en Angleterre, à Rugby et au New College d’Oxford, où il obtint en 1875 une licence ès arts avec spécialisation. Il fut reçu au barreau en Angleterre en 1877 et en Ontario l’année suivante. Dans les années 1880 et 1890, il pratiqua le droit à Toronto dans une série de petits cabinets d’avocats. En outre, de 1895 à 1909, il fut greffier au tribunal. Devenu professeur de droit à la University of Toronto en 1899, il le demeurerait jusqu’à la fin de sa vie, tout en continuant d’exercer. Il fut nommé conseiller du roi en 1908 et occupa le poste de rédacteur en chef du Canadian Law Times de Toronto de 1915 à sa mort.
L’importance de Lefroy tient entièrement à ses travaux d’érudition : il fut le plus grand spécialiste de la common law au Canada à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Dès son retour d’Angleterre dans les années 1870, il écrivit abondamment sur la théorie de la common law et sur le droit romain, la jurisprudence et le droit constitutionnel. À sa mort, il avait à son actif 4 manuels, plus de 30 articles substantiels et un grand nombre de comptes rendus et de notes d’éditeur. En plus, il avait traduit ou annoté plusieurs autres textes.
La principale contribution de Lefroy à l’étude de la common law consiste en deux articles parus respectivement en 1904 et en 1906 dans la Law Quarterly Review de Londres : « Judge-made law » et « The basis of case-law ». Dans ces deux textes, Lefroy se demandait si les juges faisaient la loi et, si oui, de quelle manière – question qui passionnait la plupart de ses collègues anglais et canadiens spécialistes de la common law. Sa réponse était que les juges faisaient effectivement la common law, en raisonnant à partir de « principes généraux du droit » et « des divers rapports et relations » à l’œuvre dans la société. Les sources à partir desquelles les juges faisaient la loi et raisonnaient étaient : « 1. La justice, l’humanité et d’autres obligations morales [...] 2. Le sens commun et la raison des choses [...] 3. Le bien public et d’autres considérations pratiques. » Une fois faite, la loi ne changeait pas ; les juges devaient suivre la jurisprudence. Sans aboutir à des conclusions originales, ces deux articles avaient le grand mérite de traiter longuement des méthodes et des sources. Tout au long de ces deux articles et de ses autres écrits sur la common law, Lefroy restait fidèle aux idées anglaises et soumis à l’autorité des textes anglais. Rien n’indique qu’il ait pris en considération des écrits d’auteurs américains, où ces idées étaient contestées, notamment par Oliver Wendell Holmes et Roscoe Pound.
Lefroy écrivit davantage sur le droit constitutionnel que sur la common law. Le pivot de son œuvre dans ce domaine est un livre intitulé The law of legislative power in Canada, paru à Toronto en 1897–1898. On en trouve la préfiguration dans certains de ses articles antérieurs, et il en reprit les idées et la structure dans des écrits subséquents. Dans sa longue introduction, Lefroy exposait ses principales convictions en matière constitutionnelle en réfutant l’affirmation du fameux juriste anglais Albert Venn Dicey selon laquelle la constitution du Canada était essentiellement semblable à celle des États-Unis. Lefroy faisait valoir que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique donnait au Canada la constitution de la Grande-Bretagne, particulièrement la suprématie des Parlements et la liberté constitutionnelle, en plus du fédéralisme. La suprématie des Parlements différait fondamentalement du pouvoir ultime du peuple, qui était l’assise de la constitution américaine. Tout au long de cette introduction, Lefroy manifestait passionnément sa loyauté envers la Grande-Bretagne et l’Empire de même que sa conviction qu’une telle loyauté n’empêcherait nullement le Canada d’atteindre la maturité.
Le corps même du livre portait exclusivement sur la répartition des pouvoirs législatifs. Au moment où Lefroy le rédigea, les tribunaux avaient tranché plusieurs litiges importants, dont Russell c. la Reine, Citizens’ Insurance Co. c. Parsons, Hodge c. la Reine et l’affaire de la prohibition en 1896 [V. sir Oliver Mowat*]. Aux yeux des avocats, ces causes étaient un fouillis inextricable ; l’objectif de Lefroy, clairement exprimé dans sa préface, était d’extraire des principes généraux de la jurisprudence. Il en résulta 68 propositions numérotées, toutes suivies d’un long commentaire ; ensemble, elles représentaient l’un des premiers comptes rendus systématiques de la doctrine sur la nature et la division des pouvoirs législatifs. En outre, le texte constituait un exposé majeur de la doctrine du fédéralisme égalitaire ou classique, qui prévalait depuis les années 1880 et 1890. Dans ce type de fédéralisme, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux étaient sur un pied d’égalité et avaient chacun leurs propres sphères de compétence. D’influents avocats et hommes politiques tels Mowat, David Mills* et Edward Blake utilisèrent avec brio ces idées et ce langage sur le fédéralisme pour faire valoir les revendications des provinces dans le débat sur les droits provinciaux.
L’analyse d’Augustus Henry Frazer Lefroy était abstraite, sans description ni discussion du contexte social ou politique, et les tribunaux en étaient le point central. À cet égard, elle se démarquait beaucoup de la perspective adoptée dans des ouvrages canadiens antérieurs, par exemple dans A manual of government in Canada [...] de Dennis Ambrose O’Sullivan* (Toronto, 1879 ; édition révisée, 1887) et dans The law of the Canadian constitution de William Henry Pope Clement (Toronto, 1892), qui prenaient davantage en considération l’histoire et le contexte, et parlaient d’un plus large éventail d’institutions. Lefroy était convaincu que, même si les juges faisaient la common law et rendaient des jugements de toute première importance sur la répartition des pouvoirs, ils n’imposaient pas leur propre volonté. Ils raisonnaient plutôt de manière objective à partir des principes admis de la common law ou de la volonté du législateur telle qu’elle s’exprimait dans le texte des lois. Lefroy n’était pas un penseur original. Ses idées sur le raisonnement juridique, sur les tribunaux et sur sa fonction d’érudit étaient conformes aux manières de penser qui s’imposèrent graduellement en Angleterre, aux États-Unis et au Canada dans la dernière moitié du xixe siècle et qui allaient continuer de dominer pendant la plus grande partie du xxe siècle. Lefroy fut, au Canada, l’un des premiers représentants importants de cette transition.
A. H. E Lefroy a publié à Toronto trois autres monographies : Canada’s federal system : being a treatise on Canadian constitutional law under the British North America Act (1913) ; Leading cases in Canadian constitutional law (1914) ; et A short treatise on Canadian constitutional law [...], introd. de W. P. M[cC.] Kennedy (1918). Ses deux articles sur la common law intitulés « Judge-made law » et « The basis of case-law », ont paru dans Law Quarterly Rev. (Londres), 20 (1904) : 399–414 et 22 (1906) : 293–306, 416–430 ; le premier de ces articles a paru de nouveau dans Canadian Law Rev. (Toronto), 3 (1904) : 602–611, 673–680. Plus de 30 autres articles de Lefroy ont été publiés dans des revues juridiques, surtout dans Canadian Law Times, Canada Law Journal et Canadian Law Rev, de Toronto, et dans un périodique britannique, Law Quarterly Rev.
AO, RG 22-305, no 37849.— UTA, A67-0007/053a.— Globe, 8 mars 1919.— Annuaire, Toronto, 1887–1908.— G. B. Baker, « The reconstitution of Upper Canadian legal thought in the late-Victorian empire », Law and Hist. Rev. (Ithaca, N.Y.), 3 (1985) : 219–292.— Canada Law Journal, 55 (1919) : 157s.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— R. W. Gordon, « Legal thought and legal practice in the age of American enterprise, 1870–1920 », dans Professions and professional ideologies in America, G. L. Geison, édit. (Chapel Hill, N.C., 1983), 70–139.— M. J. Horwitz, The transformation of American law, 1780–1860 (Cambridge, Mass., 1977) ; The transformation of American law, 1870–1960 : the crisis of legal orthodoxy (New York, 1992).— R. [C. B.] Risk, « A. H. F. Lefroy : common law thought in late nineteenth-century Canada ; on burying one’s grandfather », Univ of Toronto Law Journal, 41 (1991) : 307–331 ; « Constitutional thought in the late nineteenth century »,dans Glimpses of Canadian legal history, Dale Gibson et W. W. Pue, édit. ([Winnipeg], 1991), 205–212.— S. A. Siegel, « Historism in late nineteenth-century constitutional thought », Wis. Law Rev. (Madison), 1990 : 1431–1547.— David Sugarman, « Legal theory, the common law mind and the making of the textbook tradition », dans Legal theory and common law, William Twining, édit. (Oxford, 1986), 26–61.— Univ. of Toronto Monthly, 1 (1900–1901) : 54s.
Richard C. B. Risk, « LEFROY, AUGUSTUS HENRY FRAZER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lefroy_augustus_henry_frazer_14F.html.
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Auteur de l'article: | Richard C. B. Risk |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
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