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LAPOINTE, ALEXIS, dit Alexis le Trotteur, fabricant de fours à pain, ouvrier, coureur à pied et figure populaire, né le 4 juin 1860 à La Malbaie, Bas-Canada, fils de François Lapointe, cultivateur, et d’Adelphine Tremblay, dit Picoté ; décédé célibataire le 12 janvier 1924 à Saint-Joseph-d’Alma (Alma, Québec) et inhumé le 16 dans sa ville natale.
Alexis Lapointe, dit Alexis le Trotteur, fut le huitième enfant d’une famille qui en compterait 14. Son grand-père maternel, Alexis Tremblay*, dit Picoté, figura parmi les membres importants de la Société des entrepreneurs des pinières du Saguenay (connue plus tard sous le nom de Société des vingt et un), qui ouvrit la région du Saguenay à la colonisation au printemps de 1838.
Élevé chrétiennement dans un milieu modeste, Alexis reçut une éducation sûrement comparable à celle des autres fils de cultivateurs de son époque. Son instruction resta en revanche sommaire. Naïf et d’intelligence médiocre, il fréquenta probablement l’école du rang pendant tout au plus un an. Il reconnaissait assez bien les pièces de monnaie, mais se laissait facilement tromper. Aucun document écrit de sa main n’a été retrouvé ; il ne sut donc vraisemblablement ni lire ni écrire, contrairement à ses parents. Il garderait toute sa vie durant un esprit enfantin, ce qui ne l’empêcherait pas de se montrer, à l’occasion, spirituel et malin. Ses yeux, d’un vert incertain, présentaient une caractéristique spéciale : l’iris en était encerclé par une ligne pâle, de sorte que son œil comportait plusieurs couleurs différentes.
Seul et un peu à son propre insu, Alexis développa très tôt les prédispositions organiques et anatomiques pour la course à pied dont la nature l’avait doté. Il améliora sa capacité de parcourir de grandes distances à un point tel qu’il atteindrait des performances jusque-là insoupçonnées. Adulte, il serait de taille moyenne (soit environ cinq pieds sept pouces) et plutôt trapu. Sa forte cage thoracique, ses épaules larges, ses bras anormalement longs, ses cuisses musclées, ses genoux osseux et pointus lui donneraient une allure pour le moins athlétique.
Lapointe était un homme à tout faire et c’est ainsi qu’il gagna sa vie dans les régions de Charlevoix, du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, principalement dans les moulins à scier, les chantiers de bûcherons et les fermes. À la mort de sa mère, survenue le 13 avril 1890, il se rendit dans la vallée de la Matapédia, où le commerce du bois était florissant. Pendant les dix années qu’il passa au sud du fleuve Saint-Laurent, il pénétra dans les terres pour se rendre jusque dans le Maine et le Vermont, où il travailla dans les chantiers. Vers 1900, il rentra à La Malbaie. Il se découvrit un nouveau métier dans lequel il excella, celui de fabricant de fours à pain. Il l’exerçait surtout d’une façon bien spéciale : rares étaient en effet ceux qui mélangeaient la glaise et l’eau avec leurs pieds, en dansant et en piétinant dans l’auge, et qui y ajoutaient quelque potion magique pour donner à l’âtre toute son âme… Ce métier le força à se déplacer d’un village à un autre. Coureur devant l’Éternel, il ne demeura jamais plus d’une saison au même endroit.
Dans toutes les régions qu’il a parcourues, Lapointe fit également profession d’amuseur public. Musicien, il jouait de l’harmonica, de la bombarde ou simplement du peigne (recouvert d’une écorce de bouleau ou d’un papier mince). Pendant les soirées de danse, ses gigues éperdues, qui duraient de longues heures, en ont étonné plusieurs. Au fil des ans, il s’identifia de plus en plus au cheval : il hennissait, ruait, piétinait, se fouettait, s’attelait, courait, mâchouillait même de l’avoine. C‘est ainsi qu’il acquit de la popularité : petit à petit, on commença à le remarquer, à le pointer du doigt, à rire et à s’amuser de ses prouesses. À l’âge de 26 ans, il se mesurait aux meilleurs trotteurs, sautait des clôtures de cèdre, faisait la course avec des trains, défiait même les navires. Même si les exploits de Lapointe, rapportés principalement par des témoins oculaires, prendraient, au cours des années, un caractère légendaire, ils garderaient un fond de vérité appréciable ; l’étude de son ossature révélerait en effet l’étoffe d’un champion. Grâce à ses courses, ses sauts, ses danses interminables, sa manière de vivre, de travailler et de se déplacer, Alexis le Trotteur atteignit une forme physique maximale. À l’instar de bien d’autres, il aurait probablement pu faire bonne figure à l’épreuve du marathon à Athènes en 1896, à l’occasion des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne.
Amoureux sans complexe de tout ce qui portait jupe et cheveux longs, Lapointe demeura célibataire. Il demanda toutefois une douzaine de femmes en mariage ; il s’y prenait toujours de la même façon, soit en exhibant une lettre qui attestait qu’il possédait des biens et des propriétés au nord du lac Saint-Jean. Sa manière de manifester sa flamme aux belles qu’il convoitait a continuellement été celle d’un adolescent un peu original que l’on n’a jamais pris au sérieux.
Lapointe perdit la vie accidentellement. Un wagon plat le happa au moment où il déambulait sur une des voies ferrées qui reliait les rives de la rivière La Grande Décharge ; il exécutait alors différents travaux journaliers pour la Quebec Development Company Limited, compagnie responsable de la construction d’un important barrage hydroélectrique entre Alma et l’île Maligne, dans la région du Lac-Saint-Jean [V. sir William Price].
Courir, amuser les gens, raconter des histoires, animer des soirées, construire des fours, faire des blagues et jouer des tours, voilà ce qui a constitué l’univers d’Alexis Lapointe, celui à qui Marius Barbeau*, entre autres, consacrerait plusieurs ouvrages. Imaginatif, il passa souvent pour un original : sans objectif à atteindre, il se contenta de vivre du moment présent. Il semblait cultiver la certitude qu’il y aurait toujours des portes ouvertes pour l’accueillir, des chantiers de bûcherons dont il pourrait devenir le marmiton, des fermes et des moulins à scier pour l’embaucher comme main-d’œuvre passagère. En exécutant ces activités répétitives sous de multiples cieux, Alexis le Trotteur a transformé une existence qui aurait pu être banale en une vie étonnante qui a su alimenter l’imaginaire populaire.
ANQ-Q, CE304-S3, 4 juin 1860.— ANQ-SLSJ, P18.— Marius Barbeau, « Alexis le Trotteur », le Canada français (Québec), 2e sér., 27 (1939–1940) : 881–891 ; The Kingdom of Saguenay (Toronto, 1936) ; le Saguenay légendaire (Montréal, 1967).— Marjolaine Bouchard, le Cheval du Nord (Chicoutimi, Québec, 1999).— J.-C. Larouche, Alexis le Trotteur (Montréal, 1971 ; 2e éd., Chicoutimi, 1987) ; Alexis le Trotteur : athlète ou centaure ? (Saint-Nazaire-de-Chicoutimi, Québec, 1977).
Jean-Claude Larouche, « LAPOINTE, ALEXIS, dit Alexis le Trotteur », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lapointe_alexis_15F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Claude Larouche |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
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