GOHIER, ÉDOUARD (baptisé Benjamin-Édouard), homme d’affaires, homme politique et philanthrope, né le 27 avril 1861 à Saint-Martin (Laval, Québec), fils de Benjamin Goyer, fermier, et de Célina Crevier ; le 2 avril 1883, il épousa dans la paroisse de Saint-Laurent, Québec, Pomela Gosselin, fille de Narcisse Gosselin, aubergiste, et de Philomène Saint-Aubin, et ils eurent 13 enfants, dont 8 atteignirent l’âge adulte ; décédé le 12 mars 1923 au même endroit.

Issu d’une famille de cultivateurs établie à Saint-Laurent depuis plusieurs décennies, Édouard Gohier passa les premières années de sa vie à Saint-Martin, ainsi que dans la ferme familiale du chemin Côte-Vertu dans la municipalité de paroisse de Saint-Laurent, dont son père serait d’ailleurs le maire de 1885 à 1890. Édouard termina sa rhétorique au petit séminaire de Sainte-Thérèse et apprit ensuite le métier de tailleur en confection. En 1883, à l’âge de 22 ans, il ouvrit un commerce de nouveautés dans la paroisse de Saint-Laurent qu’il vendit en 1890. C’est alors qu’il entreprit une carrière de promoteur foncier et immobilier en achetant de son père, au prix de 2 700 $, des terrains sur lesquels serait aménagée la ville de Saint-Laurent trois ans plus tard. Il était alors associé à l’homme d’affaires Théophile Migneron (qui, tout comme Gohier, allait devenir maire de la ville).

Gohier fut l’un des artisans de la création de la ville de Saint-Laurent le 27 février 1893, où il résiderait avec sa famille jusqu’à son décès. Il fut élu sans opposition à trois reprises comme maire de Saint-Laurent, poste qu’il occupa du 25 avril 1893 au 5 février 1901, du 19 janvier 1903 au 19 janvier 1905 et du 7 février 1911 au 4 février 1913. Convaincu des avantages géographiques de Saint-Laurent (situé au cœur de l’île de Montréal et à proximité de plusieurs chemins), il obtint une charte qui permit entre autres à la nouvelle ville d’accroître son pouvoir d’emprunt afin d’aménager le territoire et d’améliorer les infrastructures. Sous l’administration de Gohier, Saint-Laurent changea considérablement de visage et devint une petite ville de banlieue dotée des services urbains modernes : réseau de rues, transport collectif (1896), réseau d’éclairage public (1900), égouts et aqueduc (1903). La ville se dota de lois et de règlements municipaux, et d’un service de protection contre les incendies. En 1911, la Cour du recorder fut mise sur pied et, l’année suivante, on fit construire le premier hôtel de ville et un poste de pompiers. Si le statut de propriétaire foncier de Gohier facilita beaucoup l’établissement des services urbains, son statut de maire lui permit de faire fructifier ses affaires de promoteur. En 1896, par exemple, il fournit gratuitement les terrains sur lesquels fut aménagée une ligne de tramways, ce qui eut pour effet d’accroître l’attrait des lots destinés à la construction situés à proximité et appartenant eux aussi à Gohier.

Après 12 ans de service, la maladie obligea Gohier à renoncer au poste de premier magistrat de Saint-Laurent. Aux élections générales provinciales de 1897 et de 1904, il avait entre-temps tenté de se faire élire pour le Parti conservateur dans la circonscription de Jacques-Cartier, dans laquelle se situait alors Saint-Laurent. Il fut battu aux deux tentatives ; en 1897, son adversaire, Joseph-Adolphe Chauret, remporta cependant la victoire par une mince majorité de dix voix. Un autre membre de sa famille marquerait l’histoire politique de Saint-Laurent. En effet, son fils Édouard, marchand de bois et promoteur foncier, serait maire de 1928 à 1938 et de 1943 à 1949.

L’arrivée de Gohier, en 1890, dans le domaine immobilier a coïncidé avec l’essor des petites municipalités de banlieue dans diverses parties de l’île de Montréal. Les acteurs de ce mouvement de suburbanisation tentaient de convaincre les investisseurs d’acheter des terrains vacants ; pour ce faire, ils devaient toutefois effectuer certains aménagements. Grâce à son statut de maire, Gohier a pu réaliser cette stratégie à Saint-Laurent où, par exemple, il lança en 1896 un projet de lotissement avec son associé Ludger Cousineau. Appelé Grande Allée de Florence, ce projet constitua le premier plan de la ville, structurée autour d’une artère centrale (devenue depuis le boulevard Décarie) sur laquelle circulaient les tramways. Les difficultés économiques qui frappèrent le pays entraînèrent la dissolution de l’entreprise de Gohier et Cousineau à la fin du xixe siècle. Gohier ne mit pas un terme à ses activités de spéculation foncière pour autant, car il racheta des créanciers l’actif de la société.

En mars 1907, Gohier fonda, en association avec l’agent d’immeubles Ucal-Henri Dandurand* et l’avocat Joseph-Ulric Emard, la Compagnie des boulevards de l’île de Montréal « ayant pour objet l’achat et la vente de terrains spécialement destinés à la construction, et le placement de capitaux dans des entreprises d’améliorations publiques ». Quelques années après sa formation, cette entreprise possédait une bonne partie des terres de la paroisse de Saint-Laurent et du village de Cartierville (Montréal). De 1908 à 1910, elle procéda également à la promotion foncière de Bordeaux (Montréal), de la ville Emard (Montréal) et du village de Sainte-Geneviève-de-Pierrefonds (Sainte-Geneviève). Gohier et ses associés s’intéressèrent aussi au territoire situé à proximité du mont Royal, où ils achetèrent une partie des terrains sur lesquels seraient construits, dans les années 1930, les nouveaux bâtiments de l’université de Montréal. En 1911, la compagnie vendit à la Canadian Northern Land Company, pour la somme de 600 000 $, un terrain sur lequel serait érigée une partie de la ville de Mont-Royal ; cette transaction financière figure parmi les plus importantes que la firme réalisa. Gohier fut aussi administrateur de la Northmount Land Company.

Compte tenu de la rapidité avec laquelle Gohier, seul ou avec des associés, effectuait des transactions spéculatives, il est difficile d’évaluer la valeur des biens immobiliers qu’il a échangés. Chose certaine, les acquisitions et les ventes de terrains lui firent réaliser des profits considérables. De plus, Gohier fit preuve de vision en achetant d’immenses terres qu’il lotissait pour augmenter ses bénéfices. Durant les années 1908 à 1912, soit au moment où la carrière de Gohier atteignit son apogée, sa stratégie de spéculation s’avéra très rentable ; pendant cet intervalle, la valeur foncière de certains de ses terrains, notamment à Cartierville, se multiplia par dix.

En 1913, Gohier ne fut cependant pas épargné par la récession économique qui ralentit considérablement la demande de nouveaux logements et la vente de lots, entraînant Montréal dans une crise immobilière. En outre, dans certaines localités suburbaines, la croissance démographique n’avait pas rejoint les taux prévus. À titre indicatif, la population de Saint-Laurent était passée de 1 225 habitants en 1893 à 1 860 en 1911, alors que la superficie du territoire municipal avait doublé avec l’annexion de portions de la paroisse en 1901 et 1908. Autrement dit, la croissance démographique n’avait pas accompagné l’expansion territoriale et la hausse des valeurs foncières, ce qui plaça Gohier dans une situation financière précaire, compte tenu des prêts qu’il devait rembourser. Les années de guerre aggraveraient sa situation financière, et il ne parviendrait jamais à reprendre ses activités de spéculateur.

En mars 1914, le gouvernement fédéral nomma Gohier membre de la Commission du canal de la baie Géorgienne, dont le mandat consistait à promouvoir un projet de construction d’un canal reliant Montréal, Ottawa et la baie Géorgienne par la rivière des Outaouais. Gohier fut aussi nommé membre de la Commission de la conservation [V. sir Clifford Sifton]. N’étant ni un spécialiste des enjeux environnementaux ni un scientifique, il y joua un rôle secondaire.

Édouard Gohier était reconnu pour son esprit pratique et charitable, son sens des affaires et son intégrité. Homme de son temps, il a participé à la modernisation de l’espace urbain tout en restant attaché aux valeurs du catholicisme. Fervent catholique et patriote, il a fait de nombreux dons à l’Église afin de créer des lieux de retraites fermées (notamment la Villa Saint-Martin, ouverte en 1913), dont il appréciait lui-même les vertus apaisantes. Ses contemporains le reconnaissaient aussi pour sa grande générosité, sa modestie et son enthousiasme à l’endroit de plusieurs œuvres qui lui tenaient à cœur : l’aide aux démunis, aux malades, aux mourants et aux retraitants, la communication des valeurs chrétiennes et nationalistes (comme la conservation de la foi et des traditions, ainsi que le développement économique de la province). Par son mécénat, il a également contribué en 1911 à la fondation de l’École sociale populaire [V. Joseph-Papin Archambault*]. Il était de plus membre de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, administrateur de l’hôpital Notre-Dame à Montréal et de l’hôpital Notre-Dame-de-l’Espérance à Saint-Laurent. Après avoir participé à la fondation, en 1910, du Devoir, il fut également administrateur de ce journal et de l’Imprimerie populaire Limitée (où était imprimé le Devoir). Selon un article paru dans ce périodique le 14 mars 1923, Gohier, qui aurait eu « de légères divergences d’opinion sur des questions secondaires » avec les autres membres fondateurs, était « un bon type de Canadien, à l’esprit alerte, au cœur large et généreux : ce que les Anglais appellent un big-minded, big-hearted man ».

Claire Poitras

ANQ-M, CE601-S44, 2 avril 1883 ; CE601-S48, 28 avril 1861.— Arch. de la ville de Saint-Laurent, Québec, Fonds institutionnel de la paroisse et de la ville de Saint-Laurent, 1788–1965, 11a/6, plans ; 11b/2, lots 409-137 et 409-137a, 1890–1938.— Palais de justice, Montréal, Cour supérieure, Greffes, Hercule Gohier, 25 juin 1901, 13 sept. 1907, 8 avril 1908, 22 févr. 1910, 24 juin 1913, 2 mars 1914, 13 avril 1917, 28 mai, 21 juin 1923.— VM-DGDA, P12, Rôles d’évaluation, 1908–1912.— Le Devoir, 13–14 mars 1923.— La Presse, 13 mars 1923.— J.-P. Archambault, Figures catholiques (Montréal, 1950), 76–94.— W. H. Atherton, Montreal, 1534–1914 (3 vol., Montréal, 1914), 3.— M. F. Girard, l’Écologisme retrouvé : essor et déclin de la Commission de la conservation du Canada : 1909–1921 (Ottawa, 1994).— Linteau, Hist. de Montréal.— Montréal fin-de-siècle ; histoire de la métropole du Canada au dix-neuvième siècle (Montréal, 1899), 193s.— Mario Nadon, les Maires de Saint-Laurent et les Conseils municipaux : une histoire à découvrir ([Saint-Laurent, 1993]) ; les Rues de Saint-Laurent, répertoire toponymique : un patrimoine à découvrir ([Saint-Laurent, 1992]).— Québec, Statuts, 1907, c.94.— Robert Rumilly, Histoire de Saint-Laurent (Montréal, 1969).

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Claire Poitras, « GOHIER, ÉDOUARD (baptisé Benjamin-Édouard) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gohier_edouard_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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