ÉVANTUREL, FRANÇOIS-EUGÈNE-ALFRED, avocat, fonctionnaire, homme politique et journaliste, né le 31 août 1846 à Québec, fils de François Évanturel*, avocat, et de Louise-Jeanne- Eugénie Huot ; le 3 juin 1873, il épousa dans cette ville Maria Victoria Louisa Lee, et ils eurent une fille et un fils ; décédé le 15 novembre 1908 à Alfred, Ontario.

François-Eugène-Alfred Évanturel étudia au petit séminaire de Québec et à l’université Laval, où il obtint une licence en droit en 1869. Deux ans plus tard, il fut reçu au barreau. Avant son mariage, il pratiqua un moment le droit à Québec, mais en 1874, il s’installa à Ottawa avec sa femme pour occuper un poste au cabinet du ministre des Travaux publics. C’est là qu’il commença sa longue carrière publique, notamment en collaborant à l’Institut canadien-français et à la Société Saint-Jean-Baptiste. De 1874 à 1876, il fut commissaire d’écoles pour le quartier Wellington. À cause de sa réputation d’orateur, on l’invitait à prononcer des discours dans toute la vallée de l’Outaouais. En 1880, il se rendit dans le comté de Prescott, dans la région francophone de l’est de l’Ontario, et prit la parole à l’inauguration de la Société Saint-Jean-Baptiste de L’Orignal. Après une courte période au département des Postes, il quitta la fonction publique et s’établit en 1881, avec sa famille, dans le petit village d’Alfred, la localité la plus francophone de la province. Bientôt, il commença à faire valoir que les Canadiens français de tout l’Ontario avaient une identité commune, identité qui découlait autant, sinon plus, du fait de leur résidence en Ontario que de leurs liens avec la société québécoise.

Par la suite, Évanturel expliqua qu’il avait élu domicile à Alfred parce qu’il avait le sentiment que les nombreux francophones du comté de Prescott étaient gravement désavantagés face au système judiciaire de l’Ontario. Parfait bilingue, il entendait non seulement servir d’interprète à ses clients devant les tribunaux, où tout se déroulait en anglais, mais aussi leur expliquer le système judiciaire. Deux ans après son arrivée, il affirmait réussir fort bien l’un et l’autre.

Pour Évanturel, les difficultés dans le domaine judiciaire n’étaient qu’un aspect de la condition des Franco-Ontariens. Bientôt, il aspira à défendre les intérêts de ce groupe minoritaire en représentant le comté de Prescott à l’Assemblée provinciale. En 1883, il remporta l’investiture conservatrice, mais perdit l’élection de justesse. Celle-ci révélait que, tant sur le plan local que provincial, la tension montait entre francophones et anglophones. La langue d’enseignement devenait un brandon de discorde. À la veille des élections de 1886, les conservateurs ne pouvaient plus compter du tout sur l’appui des Franco-Ontariens. Non seulement les conservateurs prônaient-ils des écoles unilingues anglaises, mais ils avaient approuvé la pendaison de Louis Riel*. Évanturel se présenta à ces élections sous la bannière libérale, même s’il avait un adversaire libéral qui courtisait le vote des anglophones. Victorieux, il conserverait son siège jusqu’à ce qu’un autre francophone le déloge en 1905.

En 1886, Évanturel devint rédacteur en chef d’un nouvel hebdomadaire d’Alfred, l’Interprète, qui se donnait pour mission d’aider les francophones à se tirer d’affaire en Ontario. Dans le débat sur l’enseignement en français, l’Interprète répliquait aux attaques lancées contre la population canadienne-française par des journaux anglophones tels le Toronto Daily Mail, qui envoya des reporters dans le comté de Prescott [V. Christopher William Bunting*]. Sous la direction d’Évanturel, l’Interprète devint un outil important d’affirmation pour les francophones de l’Est ontarien ; le journal suscitait une attention énorme en dehors du comté. En 1892, Henri Bourassa* s’en porta acquéreur et l’installa de l’autre côté de l’Outaouais, à Montebello.

Tout en étant populaire, Évanturel ne connut jamais la renommée, et les historiens ne l’ont pas rangé parmi les grands personnages de la politique ontarienne. Cela s’explique en partie par la façon dont il se comporta une fois élu à l’Assemblée. Dans Prescott, il parlait en termes véhéments de la nécessité de défendre les francophones de l’Ontario. En Chambre par contre, il était remarquablement discret. Ses quelques observations étaient toujours marquées par la même prudence que les déclarations de ses collègues anglophones du Parti libéral d’Oliver Mowat. Les libéraux pouvaient donc tirer parti de son nom sans se sentir pressés de modifier leur politique à l’endroit des francophones. Les conservateurs prônaient l’assimilation par la coercition. Les libéraux visaient le même but, mais employaient des méthodes plus patientes, plus conciliantes. Les francophones soutenaient les libéraux parce qu’ils constituaient un moindre mal.

Rester dans la droite ligne du parti ne répugnait pas à Évanturel, mais il escomptait profiter personnellement de sa discrétion et du dur travail qu’il faisait pour les autres candidats libéraux pendant les campagnes électorales. Peu après avoir accédé à l’Assemblée, il commença à faire pression pour entrer au cabinet en invoquant sa double qualité de francophone et de catholique. Soulignant que les minorités devaient être représentées au cabinet de l’Ontario, tout comme les anglophones l’étaient au cabinet du Québec, il faisait valoir qu’il aurait l’appui des francophones et des irlando-catholiques. Au début des années 1890, il employa une double stratégie : menaces de quitter la politique provinciale et lettres aux chefs libéraux, dont le chef fédéral Wilfrid Laurier*.

Les événements des années 1890, et surtout le fait que la question scolaire du Manitoba prit une dimension nationale [V. Thomas Greenway], jouèrent en faveur d’Évanturel. Pris dans la controverse manitobaine, Laurier, élu premier ministre du pays en 1896, finit par voir la logique de son raisonnement. À la fin de 1896, il commença à exercer des pressions considérables sur son homologue de l’Ontario afin qu’il trouve une place à Évanturel. Selon lui, cela ferait gagner des adeptes aux libéraux, tant sur la scène fédérale que provinciale. En décembre, il écrivait au premier ministre de l’Ontario, Arthur Sturgis Hardy : « du point de vue de la politique du dominion, pareille décision [...] ferait contrepoids à la question scolaire en montrant la libéralité de nos amis ontariens envers leurs frères de langue française ». Laurier se préoccupait beaucoup de la façon dont les électeurs ontariens jugeraient l’attitude que le gouvernement fédéral avait prise dans la crise du Manitoba : « Choisir Évanturel, disait-il, ce serait, selon toutes probabilités, être complètement assuré du suffrage des francophones. »

D’abord, Hardy ne se rendit pas aux arguments de Laurier. Les libéraux provinciaux savaient que, en donnant une fonction plus importante à Évanturel, ils n’avaient rien à gagner (les francophones votaient déjà pour eux) et beaucoup à perdre (les anglophones seraient mécontents). Toutefois, étant donné l’insistance de Laurier, le gouvernement de l’Ontario finit par nommer Évanturel président de l’Assemblée. Il exerça cette fonction de 1897 à 1902, à la satisfaction des conservateurs et des libéraux. Par la suite, le Globe de Toronto déclara qu’il avait été « l’un de ceux qui avaient le mieux présidé les délibérations de l’Assemblée ». À l’occasion du remaniement ministériel de novembre 1904, Évanturel devint ministre sans portefeuille. Il le resta jusqu’aux élections de janvier 1905, où il fut battu tout comme son parti. Il fut donc le premier francophone à être président de l’Assemblée et ministre en Ontario.

Après sa défaite, François-Eugène-Alfred Évanturel sollicita auprès de Laurier un poste de sénateur ou quelque autre prestigieuse fonction fédérale. En mars 1906, voyant que ses espoirs ne se concrétisaient pas, il envoya au premier ministre un message où s’exprimaient de la frustration et une certaine amertume. Il avait l’impression d’avoir « tout perdu » et d’être « le seul homme public qui ait été vingt-cinq ans dans la politique sans avoir reçu ou demandé quelque chose ». En décembre 1907, on le nomma greffier au Sénat, ce qui le consola quelque peu. Sa mort, survenue moins d’un an plus tard, fut l’occasion de rappeler qu’il s’était distingué comme orateur, journaliste et président de l’Assemblée. Il laissait dans le deuil sa fille, Stella, et son fils, Gustave, futur député provincial et partisan du bilinguisme dans les écoles ontariennes.

Chad Gaffield

Un discours prononcé par Alfred Évanturel sur l’utilisation du français dans les écoles a été publié dans Report of the speeches delivered by Hon. Mr. Mowat, Hon. Geo. W. Ross, Mr. Evanturel, m.p.p., in the Legislative Assembly, April 3rd, 1890, on the proposed amendments to the School Act in relation to the use of the French language in the public schools (Toronto, 1890). Un exemplaire de sa brochure intitulée « Aux Canadiens français du comté de Prescott », L’Orignal, Ontario, nov. 1883, est conservé aux Arch. de l’archidiocèse d’Ottawa.

AN, MG 26, G : 9605–9606, 10403–10404, 108212–108215.— ANQ-Q, CE1-1, 1er sept. 1846, 3 juin 1873.— AO, RG 22, Ser. 353, no 1427.— AUL, U-506/36/4/E-F.— Globe, 23 nov. 1904.— News and Ottawa Valley Advocate (L’Orignal), 22 juin 1880, 31 juill. 1883.— Canada, Sénat, Journaux, 1907–1908 : 37, 513.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 2.— Annuaires, Carleton County, Ontario, 1886–1887, 1895 ; Ottawa, 1874–1875 : 193 ; Québec, 1872–1873.— Kathleen Finlay, Speakers of the Legislative Assembly of Ontario, 1867–1984 (Toronto, 1985), 38–40.— Chad Gaffield, Language, schooling, and cultural conflict : the origins of the French-language controversy in Ontario (Kingston, Ontario, and Montreal, 1987), 131–152.— Ontario, Chief Election Officer, Hist. of electoral districts (1969).— P.-F. Sylvestre, « les Journaux de l’Ontario français, 1858–1983 », Soc. Hist. du Nouvel-Ontario, Doc. hist. (Sudbury, Ontario), n° 81 (1984), 24.

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Chad Gaffield, « ÉVANTUREL, FRANÇOIS-EUGÈNE-ALFRED », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/evanturel_francois_eugene_alfred_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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