COHEN, JACOB RAPHAEL, ministre juif, né vers 1738, peut-être sur la côte de Barbarie, Afrique du Nord ; le 5 décembre 1764, il épousa à Londres Rebecca Luria, et ils eurent cinq filles et un fils ; décédé le 9 septembre 1811 à Philadelphie.
Jacob Raphael Cohen reçut son instruction à Londres, où il devint mohel (ministre chargé de pratiquer la circoncision). En 1777 ou 1778, quand la congrégation Shearith Israel de Montréal demanda à la congrégation hispano-portugaise Shaar Hashomayim de Londres de lui recommander un chef spirituel, on suggéra Cohen. Les ministres non ordonnés rabbins – hommes pieux tout dévoués aux obligations de leurs charges – n’ont pas été rares dans l’histoire des Juifs. Le 13 février 1778, Cohen fut engagé pour trois ans, au salaire de £50 par année, comme shochet (celui qui égorge les animaux de la manière fixée par la loi), hazan (chantre), professeur d’hébreu et de la tradition religieuse, et lecteur des rouleaux sacrés du Pentateuque. L’engagement fut conclu à Londres, au nom de la congrégation de Montréal, par le marchand Hyam Myers, qui avait vécu à Montréal du début des années 1760 à 1774.
Cohen arriva probablement à Montréal en 1779 ; c’était le premier ministre d’une communauté juive dans la province de Québec. Sa congrégation était formée en grande partie des familles de marchands prospères qui étaient venus dans la nouvelle colonie britannique au moment de la Conquête ou immédiatement après, à partir de l’Angleterre, des colonies américaines, de la Barbade, de la Jamaïque et de Curaçao. Au début des années 1760, 10 p. cent peut-être des marchands de Montréal étaient juifs ; mais, les conditions commerciales s’y étant révélées difficiles, la plupart étaient bientôt partis pour New York ou Philadelphie. Néanmoins, le 30 décembre 1768, ceux qui étaient restés avaient formé la première congrégation au Canada, la Shearith Israel. Bien que la majorité des membres de la congrégation eussent été des Ashkenazim, descendants de Juifs d’Allemagne et d’Europe de l’Est, ils avaient adopté le rite des Sephardim hispano-portugais, en usage dans le plus ancien établissement de la communauté juive britannique, la synagogue Shaar Hashomayim de Londres, avec laquelle ils avaient entretenu des contacts constants.
Comme le prescrivait la coutume des Sephardim, la vie sociale et religieuse de la congrégation de Montréal était surveillée, d’une façon presque autocratique, par la junta (chefs communautaires), tous partisans zélés de l’aristocratie, du traditionalisme et de l’orthodoxie. En 1768, on avait accordé aux fondateurs de la congrégation double vote sur toutes les questions soulevées aux assemblées communautaires, privilège que chacun pouvait transmettre à son fils aîné. Ainsi avait-on assuré à la congrégation une unité interne et un fort esprit d’orthodoxie, si bien que, même peu nombreuse, elle était suffisamment bien établie en 1777 pour construire une synagogue, Shearith Israel – la première au nord des Treize Colonies. Elle fut construite rue Notre-Dame, sur un emplacement qu’avait mis à sa disposition la famille David [V. David David*].
Cohen exerça probablement son ministère, selon la coutume des Sephardim, sous le contrôle strict du puissant comité laïque. L’une de ses premières cérémonies, semble-t-il, fut une bénédiction en faveur de trois bienfaiteurs de la synagogue, Abraham Judah, Phoebe Samuel et Naphtali Joseph ; des bénédictions furent aussi dites pour les congrégations de Londres, de New York, de Curaçao et du Surinam. Cohen exerça aussi son ministère en dehors de Montréal : à Trois-Rivières, il procéda aux cérémonies de la circoncision de deux des fils d’Aaron Hart*, Benjamin* en 1779 et Asher Alexander en 1782. Toutefois, les communautés juives étaient petites, celle de Montréal ne comptant que 20 familles, et celles de Trois-Rivières et de Berthier rassemblées, 5 seulement. Au cours des trois années que dura son ministère, Cohen ne présida qu’à quatre circoncisions et à deux mariages. En 1781, il fit sa propre traduction d’un document halachique ancien et compliqué, le ketuba (contrat de mariage) araméen, qui, probablement, n’avait jamais encore été traduit en anglais.
Cohen paraît avoir exercé son ministère à la satisfaction de sa congrégation, et la paix qui semble l’avoir caractérisé ne fut troublée qu’au cours de la dernière année, quand Cohen se plaignit de n’avoir pas été entièrement payé pour le temps de son engagement. La congrégation se divisa à ce sujet, une minorité appuyant Cohen qui, en septembre 1782, intenta une poursuite au montant de £50 contre Lucius Levy Solomons*, apparemment parnas (chef laïque de la congrégation). Cohen gagna sa cause devant la Cour des plaids communs, mais le jugement fut renversé, sur un point de droit, par la Cour d’appel, le 6 mai 1784.
Cohen était parti pour l’Angleterre en 1782, mais il se trouva bloqué à New York, où son navire avait été réquisitionné pour rapatrier les troupes britanniques. La communauté juive de New York était temporairement sans ministre, depuis que son hazan, Gershom Mendas Seixas, partisan de la Révolution américaine, avait fui à Philadelphie. Cohen remplit le poste de hazan jusqu’au retour de Seixas, en 1784 ; à ce moment-là, il partit pour Philadelphie, où il remplaça Seixas à la synagogue Mikveh Israel. Il mourut dans cette ville en 1811 et fut remplacé, comme hazan, par son fils Abraham Haim.
Après le départ de Jacob Raphael Cohen de Montréal, la congrégation Shearith Israel avait commencé de connaître ce qui allait être un long déclin, en partie à cause du refus du gouvernement de la reconnaître comme un organisme constitué juridiquement, ce qui eut pour conséquences qu’elle ne pouvait tenir légalement de registres de naissances, mariages et décès, et qu’elle éprouva des problèmes d’ordre administratif, en plus de difficultés relatives à son droit de posséder des biens. Au cours des décennies suivantes, la congrégation se désintégra presque entièrement. Pendant cette période, elle était desservie par des laïcs et, à l’occasion, par un ministre de la congrégation de New York ; en 1803, un laïc de Rivière-du-Loup (Louiseville), Barnett Lyons, présida le mariage de Henry Joseph* et de Rachel Solomons, à Berthier-en-Haut (Berthierville), et, en 1811, le ministre de la synagogue Shearith Israel de New York, le révérend Jacques Judah Lyons, circoncit les fils d’Ezekiel* et de Benjamin Hart, à Montréal, et de Henry Joseph, à Berthier-en-Haut. Quand la congrégation de Montréal fut reconnue juridiquement, en 1830, elle commença de renaître ; toutefois, ce ne fut qu’en 1840, année où elle engagea David Piza, qu’elle fut de nouveau en mesure de se doter d’un hazan permanent.
Jacob Raphael Cohen a gardé un registre de ses activités sacerdotales qui constitue aujourd’hui l’une des sources importantes de l’histoire juive nord-américaine de la fin du xviiie et du début du xixe siècle. En plus de contenir la liste des circoncisions, des mariages et des enterrements, le registre fournit sous une forme écrite une description des liturgies, ce qui est très rare dans la tradition juive. Ce registre fut édité par Alan D. Corré et Malcolm H. Stem sous le titre de « The record book of the Reverend Jacob Raphael Cohen », dans l’American Jewish Hist. Quarterly (New York), 59 (1969) : 23–82. [d. r.]
APC, MG 11, [CO 42] Q, 33 : 17–30.— First American Jewish families, M. H. Stem, compil. (Cincinnati, Ohio, et Waltham, Mass., s.d.), 180.— Solomon Frank, Two centuries in the life of a synagogue (s.l.n.d.), 28–60.— A. M. Hyamson, The Sephardim of England ; a history of the Spanish and Portuguese Jewish community, 1492–1951 (Londres, 1951), 150.— Louis Rosenberg, Some aspects of the historical development of the Canadian Jewish community (Montréal, s.d.).— B. G. Sack, History of the Jews in Canada, from the earliest beginnings to the present day, [Ralph Novek, trad.] (Montréal, 1945).— Edwin Wolf et Maxwell Whiteman, The history of the Jews of Philadelphia from colonial times to the age of Jackson (Philadelphie, 1957), 124, 141s., 190, 195, 203, 244–247.— [B. G. Sack], « A suit at law involving the first Jewish minister in Canada », American Jewish Hist. Soc., Pubs. ([New York]), 31 (1928) : 181–186.
David Rome, « COHEN, JACOB RAPHAEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/cohen_jacob_raphael_5F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
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