BENNETT, PHILIP, machiniste et organisateur syndical, né vers 1876 à Cupids, Terre-Neuve ; il se maria deux fois et eut trois enfants ; décédé le 10 août 1922 à St John’s.

Le cas de Philip Bennett est typique à plus d’un titre. Comme de nombreux jeunes Terre-Neuviens, il dut émigrer au Canada pour chercher un emploi et partit avec l’intention de rentrer au foyer un jour. Ses expériences de travail hors de l’île le mirent en contact avec des dirigeants syndicaux et contribuèrent à façonner sa conscience de classe. Après avoir terminé son apprentissage de machiniste en Nouvelle-Écosse, il trouva une place à St John’s dans les ateliers du chemin de fer de la Reid Newfoundland Company [V. sir Robert Gillespie Reid* ; sir William Duff Reid], le principal employeur de Terre-Neuve. À cause de son influence et de sa gestion opiniâtre, cette entreprise était la cible des militants ouvriers, surtout à St John’s, où elle employait près du quart de la main-d’œuvre masculine.

Le militantisme de Bennett s’inscrivait dans une tendance discernable parmi les ouvriers qualifiés. Partout en Amérique du Nord, les machinistes étaient à l’avant-garde d’un combat pour la justice sociale dont les objectifs immédiats étaient la reconnaissance syndicale et l’instauration du contrôle ouvrier dans les ateliers. Les hangars du chemin de fer de la Reid étaient peut-être le seul endroit à Terre-Neuve où des ouvriers de différents corps de métiers et qualifications pouvaient discuter, exprimer leurs frustrations et faire état de leurs espoirs. La venue de la Première Guerre mondiale et ses dures conséquences – marchands profiteurs, inflation galopante, mauvaises conditions de logement – convainquirent une partie des travailleurs de la nécessité de former un seul grand syndicat industriel dans toute l’île. En avril 1917, Bennett et plusieurs autres employés de la Reid mirent sur pied un organisme qui prit bientôt le nom de Newfoundland Industrial Workers’ Association. À titre de premier président de ce syndicat, Bennett ferait preuve d’un parti pris pour l’action sociale et d’un certain pragmatisme. Certes, il n’avait pas le charisme de William Ford Coaker*, chef du Fishermen’s Protective Union, mais les membres l’aimaient parce que cet homme humble et résolu partageait leur vision du changement social.

À ses débuts, la Newfoundland Industrial Workers’ Association comptait 35 membres ; dès l’année suivante, elle disait en avoir plus de 3 500. Elle n’eut pas à souffrir du sectarisme religieux et de l’éternel conflit entre citadins et habitants des petits villages de pêcheurs, qui avaient fait avorter d’autres tentatives de syndicalisation. Au contraire, l’enthousiasme qui avait entouré sa fondation persistait et se traduisait par de nouvelles inscriptions. Des demandes d’information venaient de partout dans l’île. Bientôt, l’association se mit à réclamer des lois progressistes, notamment sur la limitation du travail des enfants, l’indemnisation des accidentés du travail, les manufactures, l’accès des ouvriers à la propriété résidentielle et les coopératives de vente au détail. Au début de 1918, elle fonda des magasins coopératifs ; Bennett y œuvrait. En août, elle organisa une « section féminine », sous la direction de Julia Salter* Earle, dans l’espoir d’attirer des ouvrières dans ses rangs. Bennett se préoccupait particulièrement des enfants et des « jeunes ouvrières », victimes d’exploitation, selon lui, de la part des marchands locaux. En mai, l’association avait lancé un bihebdomadaire, l’Industrial Worker. En 1919, pour offrir une solution de rechange aux partis traditionnels, elle forma une organisation indépendante, le Workingmen’s party.

La situation engendrée par la guerre avait poussé la Newfoundland Industrial Workers’ Association à entreprendre au début de 1918 son action la plus retentissante : une grève contre la Reid Newfoundland Company. Le 27 mars, à St John’s, les machinistes, électriciens, forgerons et manœuvres des ateliers du chemin de fer déposèrent leurs outils et quittèrent les lieux. Beaucoup d’autres ouvriers se joignirent à eux, si bien que le conflit prit bientôt l’allure d’une grève générale. Les organisateurs avaient fait en sorte que le début de la grève coïncide avec la fin de la saison de la chasse au phoque. La Reid se trouvait dans une position fâcheuse puisque tout retard à desservir les chasseurs de phoques nuirait énormément à l’économie locale. Le conflit portait principalement sur les salaires ; des questions plus complexes, relatives à la classification des postes et aux droits sur les lieux de travail, étaient aussi en jeu. En principe, Bennett s’opposait aux grèves, mais ses efforts en vue d’obtenir un règlement négocié se heurtaient à une résistance farouche de la part des administrateurs de la Reid, qui ne croyaient pas le syndicat capable de soutenir un débrayage. Pourtant, les grévistes tenaient bon. Sur tout le parcours du Newfoundland Railway, propriété de la Reid, les sections du syndicat transmettaient des télégrammes qui proclamaient : « tous solidaires le long de la ligne ».

Malgré la solidarité impressionnante des grévistes, la Newfoundland Industrial Workers’ Association eut besoin de l’aide du gouvernement de William Frederick Lloyd* pour obtenir un règlement. Ce fut au cours de ces discussions que la diplomatie de Bennett se révéla inestimable. Les parties s’entendirent sur une formule de règlement le 12 avril ; de modestes augmentations de salaire et des garanties de classification équitable furent négociées plus tard. Le plus important, peut-être, était que les hommes et les femmes du syndicat avaient forcé le plus gros employeur de Terre-Neuve à laisser ses ouvriers se syndiquer et négocier collectivement.

Atteint de la tuberculose, Philip Bennett dut réduire ses activités à la Newfoundland Industrial Workers’ Association après la grève. En 1919, il démissionna de la présidence et accepta la vice-présidence. Le syndicat offrit de lui payer le voyage jusqu’à un sanatorium canadien, mais il refusa et continua de parcourir l’île et de faire du travail d’organisateur syndical jusqu’à ce que son état de santé l’oblige à se retirer. Le syndicat survivrait à la dépression d’après-guerre et continuerait d’exister jusqu’en 1943. Les Terre-Neuviens pourraient alors compter sur d’autres syndicats nationaux et internationaux. Lorsqu’il mourut à St John’s à l’âge de 46 ans, Bennett laissait en héritage l’exemple d’un militantisme ouvrier qui est toujours vivace à Terre-Neuve et au Labrador.

Peter S. McInnis

Memorial Univ. of Nfld, Folklore and Language Arch. (St John’s), Tape C-7232 (R. Hattenhauer, entrevue avec T. C. Noel, 26 mai 1967).— PANL, GN 2/5, file 344 ; MG 17, files 365–410 ; MG 73, 1916–1925.— Daily News (St John’s), 1916–1922.— Evening Advocate (St John’s), 1922.— Evening Telegram (St John’s), 1916–1922.— Industrial Worker (St John’s), 18 mai 1918.— St. John’s Daily Star, 1916–1921.— The book of Newfoundland, J. R. Smallwood et al., édit. (6 vol., St John’s, 1937–1975 ; vol. 1–2 réimpr., [1968] et 1979).— Ron Crawley, « Off to Sydney : Newfoundlanders emigrate to industrial Cape Breton, 1890–1914 », Acadiensis (Fredericton), 17 (1987–1988), nº 2 : 27–51.— DNLB (Cuff et al.).— P. [S.] McInnis, « All solid along the line : the Reid Newfoundland strike of 1918 », le Travail (St John’s), 26 (1990) : 61–84.— A. B. Morine, The railway contract, 1898, and afterwards : 1883–1933 (St John’s, 1933).— P. [F.] Neary, « Canadian immigration policy and the Newfoundlanders, 1912–1939 »,Acadiensis, 11 (1981–1982), nº 2 : 69–83.

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Peter S. McInnis, « BENNETT, PHILIP », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bennett_philip_15F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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